À partir de 1900 - La grande aventure coopérative au Québec est un modèle planétaire

Ce texte fait partie du cahier spécial Année internationale des coopératives
Pour une aventure, celle des coopératives québécoises en fut toute une! Elle a été vécue à ses débuts dans la sphère financière, pour se répandre par la suite en agriculture, dans les pêches, en forêt, dans la consommation, en habitation et même dans les services funéraires. Tant et si bien que le Québec sert aujourd'hui de modèle dans plusieurs pays en matière d'entreprises économiques associatives fondées sur la coopération.
Les mutuelles du XIXe siècle figurent comme la source d'inspiration à l'origine d'un vigoureux mouvement coopératif en terre québécoise. La preuve en est que, dès le début de l'autre siècle, Alphonse Desjardins fonde les caisses populaires, devenues aujourd'hui le Mouvement Desjardins, un établissement financier coopératif moderne, de forte taille et largement à l'image du Québec dans son parcours historique.En 1900, Desjardins s'appuie, dans ses idées, sur l'encyclique du pape Léon XIII, Rerum Novarum, qui énonce des réformes sur le catholicisme social, pour ouvrir sa première caisse.
L'Église soutient
Titulaire de la Chaire de coopération Guy-Bernier de l'UQAM, Michel Séguin se rapporte à cette époque: «Les valeurs qui étaient en place étaient très catholiques et, sur le plan historique, elles ressemblaient à celles qui sont alors prônées par le mouvement coopératif en général: ce sont les valeurs du mouvement ouvrier chrétien, des valeurs de solidarité, d'entraide, de prise en charge, etc. Donc, ce précurseur a réussi dans ses réalisations parce qu'il était beaucoup appuyé par l'Église.»
Durant les débuts, il y a des curés qui se sont retrouvés gérants de caisse, ce que confirme M. Séguin, qui étoffe ce constat du passé: «On a souvent dit que, si on cherchait une caisse pop, on allait la trouver à l'ombre d'un clocher d'église.» En fait, Alphonse Desjardins a largement favorisé l'émergence des caisses en s'appuyant sur l'autorité morale ecclésiastique.
Durant les premiers temps...
De son côté, Pierre Poulin, docteur en histoire, au service du Mouvement Desjardins à titre de responsable de projets à la Société historique Alphonse-Desjardins, effectue un retour exhaustif sur l'aventure coopérative au Québec. Il retient les dates-charnières qui ont marqué l'existence des coopératives québécoises à partir de 1900. Des extraits tirés de ses propos servent à remonter le cours de l'histoire et à revivre en partie cette aventure...
La première caisse voit le jour en 1900 à Lévis, au moment où son fondateur, Alphonse Desjardins, occupe les fonctions de sténographe français à la Chambre des communes à Ottawa. Son épouse, Dorimène, vient l'épauler en 1902 et sera considérée comme la cofondatrice des caisses: «Il passait six mois par année dans cette ville et, pendant ses absences, madame, constatant le désarroi de son mari, elle qui était mère de dix enfants, s'est occupée de la gérance et de l'administration de la caisse sans titre ni salaire; elle en assure la survie. À partir de cette année, elle va consacrer environ une trentaine de semaines par année pour remplir ces fonctions.» De nos jours, Monique F. Leroux est la première femme à occuper le poste de présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins.
Il apporte cette remarque: «De tout temps, les femmes ont joué un rôle important dans les coopératives, particulièrement au Québec; elles ont été nombreuses à s'occuper de la gérance des caisses. Un doyen du Mouvement, qui en fut le chef des inspecteurs et qui connaissait tout le réseau, Rosario Tremblay, aujourd'hui âgé de 100 ans, laisse même savoir que plus de 50 %, voire 75 %, des caisses étaient dirigées par des femmes à une certaine époque.»
En 1905, une loi provinciale apporte un cadre juridique aux caisses en définissant leurs droits et leurs devoirs. De 1907 à 1915, Desjardins participe à la fondation de plus de 130 caisses au Québec; il se tourne aussi du côté de l'Ontario et des États-Unis pour l'ouverture de quelques établissements, là où s'est étendue sa renommée. À sa mort, en 1920, il aura participé à la fondation de plus de 160 caisses, tout en accomplissant un travail colossal de sensibilisation populaire auprès de ses partenaires durant une quinzaine d'années.
Fermes, pêcheries et forêts
De 1909 à 1920, 311 coopératives agricoles apparaissent dans le portrait: «À la suite de quoi, en 1922, la Coopérative fédérée va réunir les grandes entreprises provinciales qui vont se regrouper dans la Fédération des coopératives agricoles. Celles-ci sont là pour répondre à des besoins d'approvisionnement, de transformation et de mise en marché des produits agricoles; finalement, elles serviront à la modernisation de l'agriculture en favorisant une meilleure organisation des agriculteurs.»
Toujours dans les années 1920, il y a une quinzaine de coopératives de pêche qui sont mises sur pied, mais les temps sont devenus difficiles à la fin de la Première Guerre mondiale. À un point tel que plusieurs caisses et coopératives n'ont d'autre choix que de fermer leurs portes, jusqu'à ce que se produise une reprise vers le début des années 1930.
Les coopératives gagneront le secteur forestier à Grande-Vallée, en 1938, sous l'impulsion du professeur Esdras Mainville, de HEC: «Plusieurs coops s'ajouteront par la suite, ce qui conduira à la création d'une fédération en 1944.»
Le krach et la crise sont suivis d'un essor
La débandade financière de 1929 cause de graves dommages à l'économie. Les Québécois vont se serrer les coudes et faire preuve de solidarité pour s'en sortir en recourant davantage à la formule coopérative. Dans ce temps-là, tout comme il n'y a pas très longtemps, on se montre très critique envers un capitalisme qui a entretenu la spéculation, qui elle-même a entraîné la déconfiture boursière: «On remet beaucoup en question les promesses de développement et de prospérité qui sont liées au libéralisme économique.»
Les coops poussent comme des champignons, après avoir connu la dégringolade des années 1920: «Une deuxième vague de fondation survient du côté des coopératives agricoles; de 1909 à 1920, on en avait fondé plus de 300, et de ce nombre il n'en restait plus que 167. À partir de 1936, il y a une relance et on passe de 167 à 462 en 1942, soit une hausse plutôt spectaculaire de près de 300 en l'espace de six ans. Il ne restait qu'une seule coopérative de pêche en 1938, alors que le nombre grimpe à 17 en 1942.»
Les coopératives d'habitation en profitent pour se pointer le nez en 1941: il en existe quatre en 1943. Un autre secteur prend son envol en 1937, celui des coopératives de consommation, dont le nombre s'élèvera à 110 autour de 1942-1943 et qui seront regroupées au sein de l'Alliance du même nom.
Et, pendant ce temps, il existe tout un programme de sensibilisation coopérative qui est lancé: «Le père Lévesque crée en 1938 une chaire de coopération à la Faculté des sciences sociales de l'Université Laval. C'est vraiment durant toutes ces années-là que démarre au Québec le véritable mouvement coopératif; on est toujours dans l'époque pionnière, mais elle en est à sa deuxième vague, qui résulte en une mobilisation sociale élargie, du fait de la présence de l'Union catholique des cultivateurs (UCC), qui contribue à la formation économique de ses membres.» Les résultats se font sentir: «C'est réellement le creuset qui donnera naissance à la mise sur pied de très nombreuses caisses populaires; de 1933 à 1944, celles-ci sont 724 à voir le jour à un rythme inouï.»
Du temps de l'aventure à l'ère de la maturité
À compter de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en 1945, jusqu'au début de la Révolution tranquille, en 1960, les caisses vivent une période de consolidation et d'élargissement du champ d'action: elles se dotent de systèmes d'inspection et d'organismes de services. Dans les autres secteurs de la coopération, on traverse une phase de statu quo durant laquelle le développement se fait rare. Il n'en demeure pas moins que les coopératives d'habitation, de consommation et de services funéraires connaîtront un essor.
Les coopératives arrivent à maturité sur le plan financier dans les années de foisonnement que le Québec traverse à partir de 1960 jusqu'au milieu des années 1980, fait observer l'historien Pierre Poulin, au terme de la trajectoire aventureuse de la coopération: «L'imaginaire des Québécois est frappé en 1964 quand le Mouvement Desjardins atteint son premier milliard de dollars d'actif; il subit de plus en plus de pression, à l'intérieur de la société québécoise, pour jouer un rôle plus dynamique et pour participer plus étroitement au développement économique.»
Dans Le Devoir, Gérard Filion incite le Mouvement à être plus audacieux et à s'engager davantage en cette ère du «Maître chez nous». «Desjardins répondra à l'appel en se dotant notamment d'une société de fiducie et de fonds mutuels; il se tournera également vers le crédit à la consommation.»
De 1990 à 1992 auront lieu les états généraux de la coopération, qui seront suivis de deux sommets. En 1997, les caisses procéderont à une importante opération de réingénierie et, quelques années plus tard, à une restructuration majeure dans le but de hausser leur taux de rentabilité. Et surviendront toutes les transformations majeures que les avancées technologiques imposeront au milieu coopératif, comme aux autres.
Enfin, dans les années 2000, surviendra, à la faveur d'une autre tourmente financière, quelque 80 ans plus tard, une remise en question en profondeur du système économique capitaliste et des valeurs qui en résultent: les sociétés auront tendance à valoriser le développement durable et l'investissement responsable dans un monde où redémarre une aventure coopérative qui reprend de la vigueur.
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Collaborateur du Devoir
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