Point chaud - L'art de «taxer intelligemment»

L'économiste de l'Université de Sherbrooke, Luc Godbout, se fait un malin plaisir à débusquer et à contredire les idées reçues sur la fiscalité au Québec. Sa dernière étude plaide pour une mesure souvent qualifiée de régressive, consistant à réduire les impôts sur le revenu en échange d'une hausse des taxes à la consommation.
Les Québécois ont choisi de s'offrir plus de services publics en échange d'un fardeau fiscal généralement plus lourd que celui de ses voisins et concurrents nord-américains. Soit. «Mais tant qu'à taxer beaucoup, aussi bien taxer intelligemment», dit Luc Godbout, professeur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.Comme dans plusieurs pays anglo-saxons, tel que les États-Unis, le Canada et l'Australie, les recettes fiscales au Québec reposent beaucoup plus sur les impôts sur le revenu personnel que sur n'importe quelle autre forme d'impôt ou taxe, commence-t-il par rappeler dans sa dernière étude, cosignée par Matthieu Arseneau et Ngoc Ha Dao. Le niveau de cet impôt sur le revenu est toutefois plus élevé que celui de ses concurrents immédiats et même de la plupart des autres pays développés. Il s'élevait ainsi à 14 % de son produit intérieur brut (PIB) en 2007, contre une moyenne de 12,3 % au Canada et 10,6 % aux États-Unis, mais aussi 25,3 % au Danemark, 14,6 % en Suède, 9,7 % en Norvège, 9 % en Allemagne, 7,7 % aux Pays-Bas et 7,2 % en France.
En comparaison, ses taxes à la consommation, comme la TVQ, apparaissaient beaucoup moins lourdes, à 5,5 % de son économie, soit bien moins que dans tous les pays européens. Ce chiffre est légèrement supérieur aux moyennes canadienne (4,6 %) et américaine (2,2 %).
Or, la théorie économique dit que les taxes à la consommation nuisent moins à la croissance économique que les impôts sur le revenu. Cela tiendrait entre autres au fait que les impôts sur le revenu décourageraient les individus à fournir des efforts supplémentaires pour gagner plus d'argent qui serait, de toute manière, taxé. Cette ponction sur les revenus des particuliers a également pour effet de réduire d'autant leur capacité d'épargne et d'investissement dans l'économie. En revanche, les taxes à la consommation auraient l'avantage de frapper tant les produits locaux que ceux qui sont importés. De plus, les taxes à la valeur ajoutée (TVA), comme la TPS et la TVQ, se prêteraient beaucoup moins à l'évasion fiscale que les autres formes d'impôts.
Pour ou contre
Toutes ces théories sont bien connues. Elles expliquent pourquoi plus de la moitié des pays de l'Union européenne ont relevé leur taux de TVA depuis la fin de la crise pour favoriser leur retour à l'équilibre budgétaire sans trop nuire à la faible reprise.
Dans son étude, Luc Godbout et ses complices cherchent à évaluer le gain économique à long terme d'une baisse d'impôt sur le revenu qui serait compensée par une hausse équivalente des taxes à la consommation. Ils se basent sur l'expérience vécue par 21 pays développés entre 1972 et 2007. Ils arrivent à la conclusion qu'une hausse d'un point de pourcentage de la TVQ (environ 1,5 milliard) accompagnée d'une baisse équivalente des impôts sur le revenu augmenterait le PIB québécois de 0,12 point de pourcentage, soit un total de 4,3 milliards au bout de 10 ans ou 511 $ par habitant.
Luc Godbout entend déjà le choeur des critiques dénoncer le caractère profondément régressif de taxes à la consommation dont les taux restent les mêmes, qu'on soit riche ou pauvre. «Le Canada et le Québec ont montré comment on pouvait annuler cet effet régressif, notamment en détaxant les biens de première nécessité, en accordant des crédits de taxes, crédits de solidarité...»
Quand même. Les chercheurs de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne disaient-ils pas justement, la semaine dernière encore, que les taxes à la consommation pouvaient aggraver le problème de l'augmentation des inégalités? «Le problème avec ces petits coquins là, c'est qu'aucun pays de l'OCDE, sauf le Canada, n'a de mesures directement destinées à réduire l'impact négatif des taxes à la consommation sur les gens à plus faible revenu. Vous me faites penser qu'il faudrait qu'on leur envoie nos dernières études sur le sujet», ajoute-t-il en riant.
Science et politique
Les politiciens auront aussi besoin d'être convaincus. Le gouvernement de Stephen Harper s'est fait élire, la première fois, avec la promesse non pas d'augmenter, mais de réduire la TPS. «Ç'a été un bon coup politique pour Harper, mais une décision économique douteuse.»
De mémoire, Bernard Landry a été le seul ministre des Finances à jamais annoncer ici des baisses d'impôt sur le revenu en échange d'une hausse des taxes à la consommation. C'était il y a presque 15 ans. C'est aussi ce que fait aujourd'hui, par la bande, le gouvernement Charest en augmentant la TVQ quelques années après avoir baissé les impôts, observe Luc Godbout.
L'économiste de 42 ans a l'habitude de composer avec le facteur politique. Il a travaillé, au début de sa carrière, à la fameuse Commission sur le déséquilibre fiscal et comptait, plus récemment, parmi les quatre experts du comité consultatif que s'était donné le ministre des Finances, Raymond Bachand, pour élaborer son premier budget. Il siège aujourd'hui au nouveau comité d'experts sur l'avenir des régimes de retraite présidé par l'ex-président du Mouvement Desjardins, Alban D'Amours. Il collabore aussi depuis une dizaine d'années à des projets de coopération en Afrique à titre d'expert en politique fiscale.
Contre les idées reçues
Luc Godbout n'a pas peur de prendre à contre-pied les idées reçues. Auteur de plusieurs ouvrages, dont un portrait du Québec économique publié chaque année aux Presses de l'Université Laval, ainsi que de plusieurs dizaines d'articles scientifiques ou destinés aux journaux, il a notamment montré comment l'État-providence québécois avait su résister aux pressions inégalitaires croissantes du marché ou comment le fameux «modèle québécois» a été le contraire du frein économique que certains disent. Comme sa dernière étude sur les taxes à la consommation le laisse entrevoir, son travail porte souvent sur les réformes qui pourraient être apportées à ce modèle québécois pour l'adapter aux nouvelles contraintes économiques auxquelles il fait face, mais sans qu'il y perde son âme.
En ce qui trait à cette idée d'augmenter la TVQ pour réduire les impôts, il admet d'emblée qu'on se cognerait rapidement le nez contre la réalité du contexte nord-américain. «Les taxes aux Québec sont déjà plus élevées que celles en Ontario et aux États-Unis. Il n'en faudrait pas beaucoup plus pour que les gens commencent à faire leurs achats importants de l'autre côté de la frontière, ce qui nous laisserait perdants sur les deux fronts.»
Les deux dernières hausses de la TVQ de 1 point de pourcentage chacune laissent tout au plus, selon lui, la place pour des augmentations supplémentaires de 1 ou 2,5 points de pourcentage. Cela équivaudrait, au maximum, à une augmentation de 0,3 % du PIB québécois, soit un total de 10,8 milliards au bout de 10 ans sur un PIB qui approchait les 320 milliards en 2010.
Est-ce que tout cela en vaut bien la peine? «Ce n'est pas rien. C'est ça, plus d'autres choses, qui va faire qu'on va s'en sortir, qu'on va payer nos services publics, qu'on va s'enrichir. Il n'existe pas de solution unique.»
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Luc Godbout en cinq dates
2002 Membre du secrétariat de la Commission sur le déséquilibre fiscal présidée par Yves Séguin.
2004 Obtention du doctorat en économie de l'Université d'Aix-Marseille III (mention très bien avec félicitations du jury).
2004 Entrée au département de sciences comptables et fiscalité de l'Université de Sherbrooke à titre de professeur.
2010 Membre du Comité consultatif sur l'économie et les finances publiques du ministre des Finances, Raymond Bachand.
2012 Membre du Comité d'experts sur l'avenir des régimes de retraite présidé par Alban D'Amours.