Des Québécois en Chine

Photo: Agence Reuters Shaun Best

Les missions commerciales à saveur politique sont de plus en plus prisées par les entrepreneurs québécois qui veulent sonder le potentiel des marchés internationaux. C'est ainsi que des dirigeants de grandes PME achètent un «forfait» d'une semaine, d'une valeur approximative de 10 000 $, auprès du World Trade Center, pour participer à une mission en Chine, en Inde, au Brésil, en France, dans les Émirats arabes unis, ou ailleurs sur la planète économique. Ce forfait sur mesure, on le devine aisément, n'a rien à voir avec la formule du «tout inclus» dans une destination des Antilles. Les entrepreneurs qui participent à ces tournées exploratoires sont soumis à des horaires chargés, prennent part à de nombreuses rencontres avec des partenaires potentiels, accompagnés d'interprètes. Il paraît que ces voyages d'affaires rapportent de précieux dividendes.

«Ces missions-là sont généralement très médiatisées, compte tenu de la présence de nos leaders politiques. Nous en profitons pour nouer plus rapidement des contacts avec des clients d'affaires ou des partenaires qui se montrent réceptifs. Les portes s'ouvrent plus facilement», résume le président et chef de la direction du World Trade Center, Michel Leblanc, également à la tête de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Signe révélateur de cet engouement: depuis deux ans, l'organisme a organisé des missions internationales à sept reprises, sur plusieurs continents. Sept autres missions économiques sont prévues d'ici à l'été 2012. Chaque fois, on invite une quinzaine de dirigeants d'entreprises à se joindre à une délégation composée de dirigeants du gouvernement. Les entreprises sont sélectionnées en fonction des secteurs jugés «prometteurs» pour les marchés visés.

Michel Leblanc, un économiste qui a travaillé à la firme internationale de conseil en stratégie et management SECOR avant d'accepter ce mandat, aime citer l'exemple de deux entrepreneurs québécois qui étaient présents, en septembre 2011, lors d'une mission québécoise menée en Chine avec le premier ministre Jean Charest. «On avait dans notre groupe composé de 11 entrepreneurs deux entreprises spécialisées dans la fabrication de bijoux. La première cherchait un partenaire chinois pour produire une nouvelle ligne de bijoux et profiter d'économies d'échelle pour la fabrication. La deuxième souhaitait vendre en Chine et cherchait un distributeur pour faire une percée dans ce marché. Les efforts des deux entrepreneurs ont été fructueux. C'est un peu cela, l'internationalisation. Ça vient à la fois de la volonté de se trouver des fournisseurs, des clients et d'exporter», souligne Michel Leblanc.

Mais ça ne marche pas à tout coup. Les entrepreneurs en mission doivent parfois s'y prendre par trois fois avant de parvenir à négocier des partenariats. «Parce qu'il faut d'abord se faire un nom, se faire connaître et reconnaître, avant d'espérer s'établir outre-mer. Il faut explorer avant de plonger», explique le président du World Trade Center. Il ne cache pas que la Chine et l'Inde présentent un très grand attrait pour les entrepreneurs qui voient dans les économies de ces pays émergents un immense potentiel de croissance. C'est effectivement le cas. Ce n'est pas étonnant que l'organisme de promotion se soit rendu en Chine à deux reprises depuis deux ans. Michel Leblanc précise toutefois que c'est encore en Europe que les entrepreneurs d'ici se sentent le plus à leur aise de faire de la business. «Nous ne pouvons ignorer qu'il y a un flottement d'insécurité au sein du marché européen, en raison des crises qui ont frappé la Grèce et l'Italie, mais ça demeure le continent le plus performant et le plus rentable, en temps normal. Pour des raisons culturelles et d'affinités, c'est aussi plus facile de lire les tendances de ce marché que si on va en Chine et en Inde, par exemple», observe-t-il.

À vrai dire, les frontières économiques ne semblent pas exister pour ceux qui font la promotion de l'international. À entendre Michel Leblanc, les entrepreneurs québécois qui veulent voir si l'herbe est plus verte chez le voisin trouveront leur compte en choisissant de produire ailleurs, loin de la maison. Toutefois, cela ne doit pas se faire dans la plus totale improvisation, prévient le président et chef de la direction du World Trade, qui compte sur une équipe de huit spécialistes et employés permanents. Il insiste sur l'importance de bien se préparer à effectuer ce virage. «Nous donnons des formations pour aider les entrepreneurs à mieux s'y retrouver. Nous ciblons particulièrement les PME qui en sont au début de leur stratégie internationale», soumet-il.

Missions inversées

Les stratèges organisent également ce qu'ils appellent des missions commerciales inversées, où on invite des dirigeants de grandes sociétés internationales à venir rencontrer nos entrepreneurs, en sol québécois cette fois. «Parce qu'il ne faut pas penser que l'international consiste uniquement à prendre le premier avion pour aller négocier des ententes. Il y a d'autres manières de faire les choses. Par exemple, nous avons de bonnes entreprises qui ont beaucoup à offrir à des multinationales étrangères, et qui ne demandent pas mieux que de faire partie de leur réseau élargi de fournisseurs», relève le président et chef de la direction.

Ces rencontres d'affaires ont un cachet particulier. Dans le vocabulaire de ces initiés, on parle volontiers de speed dating pour entrepreneurs. Une soixantaine de dirigeants de PME se réunissent dans une même salle pour discuter de la possibilité de devenir fournisseurs de la multinationale qu'on a invitée à cette occasion. «C'est une façon, pour nombre d'entre eux, de se préparer à faire de l'international», soutient Michel Leblanc. Il évoque la démarche d'une grande entreprise de produits de quincaillerie, qui a son siège social en France, mais qui a aussi une présence forte en Russie. «Cette grande entreprise française a demandé à rencontrer des fournisseurs québécois pour leur offrir d'alimenter son réseau de magasins en Russie. On sait que ce n'est pas facile de faire des affaires dans ce pays, compte tenu d'un climat d'affaires très lourd marqué par la corruption. Dans ce cas en particulier, il était intéressant, pour nos entreprises, de s'insérer dans le réseau du détaillant français», fait-il valoir.

Michel Leblanc croit enfin que les PME ont beaucoup à gagner si elles persévèrent dans leurs efforts en vue de produire ailleurs, sans pour autant affaiblir leurs structures au Québec, où elles doivent, dit-il, continuer de prendre du galon et renforcer le rôle de leur siège social. Selon lui, nos entreprises ont la chance de pouvoir compter sur de grands joueurs comme Bombardier, CGI et SNC-Lavalin, qui sont «généreux de leur temps et de leurs conseils». «Le travail de ces entreprises qui ont réussi nous permet d'avancer plus vite. C'est rassurant de les avoir comme alliés. C'est du travail de défrichage en moins à faire», dit-il.

Sans tomber dans les clichés et les lieux communs, le président et chef de la direction dit aimer ce qu'il voit à travers sa lunette internationale. «Je suis très optimiste. Il y a quelques années, on était tournés vers les marchés nord-américains et tout était centré sur les États-Unis, notre principal marché d'exportation. Nous avons aujourd'hui des entreprises qui sont prêtes à viser plus haut et plus loin. C'est comme si nous étions en train de rattraper le temps perdu. Nous nous repositionnons de la bonne façon», analyse-t-il. Le marché américain demeure un enjeu majeur pour nos entreprises, et c'est pourquoi le World Trade organisera une mission économique en 2012 à Washington.

Michel Leblanc se dit par ailleurs convaincu que le Plan Nord du gouvernement Charest, applaudi par les uns, contesté par les autres, donnera un élan au mouvement de l'internationalisation du commerce au sein de nos entreprises. «Il s'agit de faire la démonstration de notre expertise et notre savoir-faire dans le domaine minier, et les résultats vont venir rapidement», conclut-il.

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