L'abc de l'exploitation pétrolière

L'exploitation pétrolière et gazière dans le golfe du Saint-Laurent se déroulera de façon totalement sécuritaire, en parfaite harmonie avec l'environnement et selon des règles strictes. Dans ce contexte, l'évaluation environnementale stratégique lancée par le gouvernement Charest sert à «déterminer les meilleurs emplacements» et «la façon la plus judicieuse de procéder aux travaux». Cette vision pour le moins optimiste de l'exploitation d'hydrocarbures se dégage de deux capsules vidéo d'animation réalisées par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune et obtenues par Le Devoir.
Ces vidéos d'un peu plus de trois minutes doivent être présentées en guise d'introduction lors des «ateliers de partage d'information avec les organismes du milieu» qui se tiendront au cours des prochaines semaines dans le cadre de l'évaluation environnementale stratégique (EES) dirigée par la firme d'ingénierie Genivar. Elles pourraient également être diffusées lors des «séances publiques d'information ouvertes à tous» qui seront tenues dans les communautés «concernées» en octobre et en novembre. Ces deux capsules sont d'ailleurs disponibles au bas de ce texte.L'une de ces capsules sert à expliquer en quoi consiste l'exploitation pétrolière et gazière. Sur fond d'images où les teintes de bleu ciel dominent, une voix féminine, posée, nous présente ainsi les différents types d'équipement — notamment les plateformes de forage — utilisés dans le cadre de l'exploitation en milieu marin. Les plateformes utilisées pour des profondeurs de 100 à 1000 mètres sont dites «semi-submersibles», souligne la narratrice, tandis qu'on voit le dessin d'une plateforme toute blanche et que passe, en arrière-plan, un bateau de pêche. Des chants d'oiseaux marins et des bruits de vagues servent de douce trame sonore à ce tableau où le bleu et le blanc dominent. D'autres oiseaux volent autour de la pointe de la tour de forage de la plateforme.
Puisque cette vidéo ne fait pas mention de la période d'exploration, on passe immédiatement à l'étape de la «production». «Une fois foré et fonctionnel, le puits est fermé au fond de l'eau à l'aide des têtes de puits constituées d'une série de vannes et de soupapes servant à réguler le débit et la pression du pétrole et du gaz», affirme la narratrice. L'opération semble être réalisée en toute simplicité. Le gaz naturel est par la suite acheminé par gazoduc sous-marin vers «une unité de production et de traitement» située sur la terre ferme, selon la vidéo. Le pétrole, lui, «est monté à bord d'un pétrolier par un gros tuyau ou va directement à la raffinerie par oléoduc».
«Que se passe-t-il une fois que l'exploitation est terminée?», demande alors la voix hors champ. «Une fois l'exploitation terminée, le site est restauré en respectant toutes les règles qui permettent d'assurer la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement», laisse-t-elle tomber. Le puits semble scellé comme par magie, en accéléré. «Lors de la restauration des sites de production, ajoute-t-on, les équipements sont retirés, les installations, démantelées et souvent recyclées. Et les puits sont fermés de façon définitive afin d'empêcher toute fuite.» C'est la seule fois où le mot «fuite» est mentionné dans la vidéo, qui se termine alors qu'apparaît le logo du gouvernement du Québec.
Cette vision très positive de l'exploitation pétrolière en milieu marin contraste avec les images de la catastrophe écologique survenue l'an dernier dans le golfe du Mexique, lorsque la plateforme Deepwater Horizon a sombré, provoquant ainsi le déversement de plus de cinq millions de barils de pétrole. Dans ce cas, d'importantes lacunes dans la sécurité des forages et des têtes de puits ont été observées. Il a fallu des mois pour sceller le puits. D'immenses quantités d'hydrocarbure se sont immiscées dans la chaîne alimentaire, en plus de ruiner le secteur des pêcheries. Fait à noter: le golfe du Saint-Laurent est cinq fois plus petit que celui du Mexique.
Carences
Le rapport préliminaire produit par Genivar dans le cadre de cette EES, et rendu public le 4 octobre, mettait quant à lui en lumière d'importantes «carences» dans les connaissances relatives au golfe du Saint-Laurent, notamment sur les effets qu'aurait une marée noire et sur les moyens d'y faire face.
Les auteurs du rapport soulignent ainsi le besoin de mieux documenter les «effets des déversements accidentels en pleine mer, dans un environnement marin comme celui du golfe du Saint-Laurent». Il faudrait aussi se doter de «méthodes de récupération des hydrocarbures lorsqu'il y a présence de glaces». Cela implique de mieux comprendre les courants marins, mais aussi l'impact des changements climatiques sur cette véritable mer intérieure. En fait, le document fait état de la nécessité de réévaluer l'ensemble de la capacité d'intervention en cas de déversement, jugée déficiente par le comité sénatorial de l'environnement en juin 2010. Les carences en informations sur la faune très riche qui fréquente les eaux québécoises sont également majeures.
Dans une deuxième capsule vidéo de même facture visuelle que celle portant sur l'exploitation, on insiste toutefois sur la volonté du gouvernement Charest de «planifier d'éventuels travaux de manière à bien protéger les habitats, la faune, les activités de pêche et les activités touristiques», tandis que défilent des animations d'algues, de poisson et de touristes prenant des photos. C'est la raison d'être de l'EES. On enchaîne ensuite sur une illustration laissant voir une famille de deux adultes et deux enfants, visiblement unie, avec en arrière-plan une maison bordée d'arbres. Des oiseaux tournoient dans le ciel, au-dessus d'un bateau de pêche. Ces éléments se détachent en blanc sur un fond aux différentes teintes de bleu.
«Pour le gouvernement du Québec, il est primordial de tenir compte des préoccupations de la population. Une consultation publique accompagne donc la tenue de cette évaluation environnementale stratégique», conclut la narratrice à la fin de la capsule. Malgré deux demandes du Devoir au ministère des Ressources naturelles, il n'a pas été possible de savoir s'il existe d'autres courtes vidéos du même genre.