11 septembre 2001, dix ans plus tard - L'aviation civile a absorbé le choc... et bien d'autres encore

Paradoxalement, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont aidé les compagnies aériennes en accélérant un processus de consolidation dont elles avaient grand besoin, constate aujourd'hui l'ancien grand patron de l'Association du transport aérien international (IATA en anglais), Pierre Jeanniot.
«Cela a aidé, certainement, a-t-il observé hier en entrevue au Devoir. D'ailleurs, suite au 11-Septembre, on a eu plusieurs faillites spectaculaires, comme celle de Swissair et Sabena. C'était des compagnies déjà fragiles, mais le choc additionnel leur a porté le coup de grâce. Cela en a aussi forcé d'autres à se regrouper.»Ce choc n'est pas le seul que l'industrie a accusé durant cette décennie particulièrement éprouvante, note, de sa belle voix grave, le septuagénaire qui agit toujours comme consultant et siège à plusieurs conseils d'administration. Les années 2000 avaient commencé par l'éclatement de la bulle technologique et allaient aussi connaître, entre autres, l'épidémie de SRAS, d'autres attaques terroristes, l'explosion des prix du carburant et la Grande Récession. Cela a forcé les compagnies, habituellement jalouses de leur indépendance nationale, mais affligées de marges bénéficiaires au mieux minces sinon nulles, de trouver toutes sortes de manières d'unir leurs forces. On a vu, dans certains cas, de grosses compagnies en avaler de plus petites. On a également assisté à de grandes alliances commerciales au sein desquelles on partage de plus en plus de services et de routes.
Cela a permis à l'industrie d'afficher une résilience tout à fait remarquable dans les circonstances, note l'IATA dans un document de six pages dressant le bilan de l'impact sur l'industrie des événements du 11-Septembre. Accusant un recul de 2,7 % en 2001, le trafic aérien mondial avait déjà rejoint et même dépassé son ancien record de 1,8 milliard de passagers en 2003. Malgré une nouvelle baisse de 2,1 % en 2009, il rebondissait dès l'année suivante et devrait atteindre 2,8 milliards cette année. Si les revenus totaux ont suivi la même trajectoire et doivent s'élever, en 2011, à 600 milliards $US, l'industrie a toujours du mal à enregistrer des profits. Cela devrait être le cas cette année (4 milliards), prévoit l'IATA, ce qui ne serait que la cinquième fois au cours des 12 dernières années.
L'industrie reste, en effet, affligée de nombreux maux, observe Pierre Jeanniot. La hausse brutale des prix du carburant en est un. L'augmentation des coûts de sécurité, le manque de coordination réglementaire entre les pays et l'inefficacité de la gestion du trafic aérien en sont d'autres. Dans ces derniers cas, le 11-Septembre n'a rien fait pour réduire la facture, au contraire. Il a fallu, après les événements, multiplier les mécanismes de contrôle, installer de nouveaux détecteurs, blinder les portes des cabines de pilotage. Au total, les coûts de la sécurité aérienne s'élèveraient aujourd'hui à 7,4 milliards, estime l'IATA. Le vrai montant dépasse sans doute les 10 milliards, si l'on tient compte de la contribution du gouvernement américain, explique Pierre Jeanniot.
Et l'on ne parle pas des autres coûts qui se sont ajoutés, poursuit-il. Lorsqu'éclate une crise, le premier réflexe des gouvernements — particulièrement aux États-Unis — est souvent d'adopter de manière unilatérale toutes sortes de mesures de sécurité sans se soucier de leurs impacts sur les autres. Il faut ensuite des années pour aplanir ces différences. Les États-Unis sont par exemple les seuls à exiger qu'on ôte ses souliers pour passer les barrières de sécurité.
«Les compagnies aériennes sont soumises à un régime de contrôle d'une ampleur qui n'a rien à voir avec les autres modes de transport. Il faut une quinzaine de minutes pour passer les contrôles à un voyageur qui veut se rendre de Londres à Paris par l'Eurotunnel, alors que c'est un processus de trois heures s'il veut prendre l'avion», se désole-t-il. Toutes ces tracasseries finissent par exaspérer les voyageurs et les incitent à se tourner vers des solutions de rechange.
Il existe pourtant des technologies qui permettraient de rendre tous ces systèmes beaucoup plus efficaces, observe celui qui a été, au début de sa carrière d'ingénieur, l'un des inventeurs de la boîte noire. Mais l'on est confronté partout à «de grandes bureaucraties qui ne changent que très lentement», et ces nouvelles technologies coûtent cher, encore une fois. Il faudra également se résigner, selon lui, à ce que les autorités aéroportuaires disposent de plus d'informations sur les voyageurs afin de les trier plus efficacement. «Actuellement, on traite chaque passager comme s'il était un terroriste potentiel.»
Aux employés d'Air Canada de décider
Le trafic aérien continuera malgré tout de croître à bon rythme ces prochaines années sous l'impulsion, notamment, des marchés asiatiques et latino-américains. Les compagnies aériennes devront continuer d'améliorer leurs services si elles veulent profiter de cette manne.
Certaines compagnies internationales envisagent, par exemple, de réessayer d'entrer dans le marché du transport à bas coûts. C'est le cas notamment d'Air Canada, qui regarde avec envie le succès remporté par des concurrents comme Air Transat et qui a lancé ce printemps l'idée de créer une nouvelle filiale. Mais pour être compétitive, cette nouvelle filiale devra nécessairement avoir une structure de coûts comparable à ses futurs concurrents dans ce marché, note Pierre Jeanniot, qui a aussi été p.-d.g. d'Air Canada de 1984 à 1990. «Tout dépendra des employés. S'ils veulent que leur compagnie entre dans ce marché en croissance, ils devront accepter que les conditions salariales soient inférieures dans cette filiale. S'ils refusent, Air Canada n'a aucune chance.»