Un peu d'oxygène à la PME, et le Québec respirera mieux

Martine Hébert, vice-présidente (Québec) de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante: «Il est temps de prendre soin de notre poumon économique.»
Photo: Source FCEI Martine Hébert, vice-présidente (Québec) de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante: «Il est temps de prendre soin de notre poumon économique.»

Le Devoir présente chaque mercredi, pour une période de huit semaines, une page dédiée aux PME et à la réflexion sur la problématique de la relève au sein de ces entreprises. La prochaine décennie verra nombre de ces propriétaires d'entreprise atteindre l'âge de la retraite. Cette réalité pose le défi de la continuité pour ce qui a longtemps constitué le cœur de l'économie québécoise. Relève, succession, taux de survie de l'entreprise familiale, financement et transfert harmonieux deviennent autant d'enjeux critiques en cette période-charnière, où le modèle même de l'entrepreneuriat est confronté au test des générations.

Le poumon économique du Québec a besoin d'oxygène. La petite et moyenne entreprise (PME) étouffe dans un environnement fiscal et réglementaire qui décourage les entrepreneurs et n'incite guère les jeunes de la relève à sauter dans le train de la relance d'entreprises familiales.

Celle qui fait ce constat sur l'état de la PME au Québec est à la tête de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI). «Il est temps de prendre soin de notre poumon économique», prévient Martine Hébert, la vice-présidente, Québec, au sein de l'organisme de défense de la PME.

Elle n'est pas à court d'arguments pour défendre la position des entrepreneurs. À preuve: la PME, au Québec, joue un rôle-clé au sein de l'économie avec une contribution de près de 50 % du PIB et le maintien de 55 % de tous les emplois. Au palmarès canadien, le Québec vient au deuxième rang, avec 242 710 petites et moyennes entreprises, derrière l'Ontario, où on dénombre 387 170 PME de moins de 100 employés.

«Dans la vraie vie, 95 % de nos PME ont moins de 50 employés; de ce nombre, 73 % ont moins de 10 employés et 50 % en ont moins de 5. On peut dire sans se tromper que le bassin entrepreneurial est composé de petites entreprises», constate-t-elle à la lumière des statistiques compilées par l'organisme.

Elle-même fille d'entrepreneur, elle connaît la réalité sur le terrain. «La vitalité de notre économie dépend largement de la petite et moyenne entreprise. Ce sont les PME qui ont assuré le maintien de plusieurs régions du Québec, et c'est encore le cas aujourd'hui. Mais pour combien de temps encore?», questionne-t-elle.

Ce que voit Martine Hébert l'inquiète. La PME, selon elle, connaît un déclin, non pas parce que les entrepreneurs ont perdu la flamme, mais plutôt en raison des contraintes fiscales et réglementaires qui leur sont imposées. «Nous le disons sur toutes les tribunes: le problème, ce n'est pas la création de nouvelles entreprises, il y a de nombreux programmes et de généreuses subventions pour favoriser leur éclosion. Le problème, c'est plutôt d'assurer leur maintien après quelques années d'activité. Le fardeau fiscal global est beaucoup trop lourd. Par exemple, au Québec, la PME paie 8 % d'impôt sur ses bénéfices, tandis qu'ailleurs au pays c'est deux fois moins. On se fait taxer sur tout: nous évoluons dans un environnement hostile. Le Québec est le champion des taxes sur la masse salariale, et on devine bien que la PME n'est pas épargnée, bien au contraire», déplore Martine Hébert.

Ce n'est pas la première fois que la vice-présidente de la FCEI monte au créneau pour réclamer des assouplissements, histoire de permettre aux entrepreneurs de souffler un peu. Elle siège entre autres à un comité de travail mis sur pied à l'hiver 2011 par les ministres Sam Hamad et Clément Gignac, dont l'objectif est de simplifier et de réduire de 20 % les formalités administratives et réglementaires dans les entreprises.

«Il faudrait que la réglementation et la fiscalité tiennent compte de notre réalité. Mais ce n'est pas le cas. Nous passons un temps fou à nous conformer. Une entreprise dans le commerce de détail doit se conformer à 70 formalités; dans le secteur de la fabrication, c'est 100 formalités, qui vont de la déduction à la source en passant par les questions de santé et de sécurité au travail. On a répertorié au bas mot 557 formalités administratives. Il faut cesser de travailler de cette manière», dit-elle. Singulièrement, plus la PME est de petite taille, plus la facture pour se conformer à la réglementation est lourde. Par exemple, une PME de cinq employés ou moins débourse annuellement 6500 $ par employé. Une PME de 100 employés ou plus verra sa facture ramenée à 1000 $.

«Il y a des limites à mettre de la pression sur les entrepreneurs. C'est bien de verser des subventions pour créer des PME, mais il est grand temps de faire le ménage dans la maison si l'État veut encourager d'éventuels entrepreneurs à se lancer en affaires et à y rester. La fiscalité, dans son ensemble, nous coûte sept milliards. Rien de moins!», martèle la vice-présidente. La FCEI déplore en outre que les programmes incitatifs permettant à la PME de créer des emplois soient pratiquement inexistants, sinon très difficiles d'accès. «Il nous semble que toutes les formes d'aide sont destinées à la grande entreprise qui a des projets d'exportation. Malgré notre bonne volonté, nous n'avons pas les outils (crédits d'impôt) pour embaucher du nouvel personnel», critique Martine Hébert.

Nerfs solides

C'est un fait que tous les entrepreneurs n'ont pas les nerfs assez solides pour tenir à bout de bras leur petite et moyenne entreprise. La concurrence féroce, les échéanciers et les dossiers de financement sont autant d'éléments qui peuvent, à la longue, décourager même les plus audacieux. Or, selon la FCEI, il semble que des entrepreneurs aguerris commencent à s'interroger sur la pertinence des choix qu'ils ont faits de se lancer en affaires. Dans un récent sondage mené auprès des membres de la FCEI, 25 % des répondants ont déclaré qu'ils auraient sans doute remis en question leur décision de se lancer en affaires s'ils avaient su ce que cela représentait sur les plans personnel et professionnel. «Ceux qui ont fait ce choix [de lancer leur entreprise] sont des fonceurs, mais ils évoluent dans un environnement parfois suffocant. On passe trop de temps à répondre aux questions des fonctionnaires pour se plier à la réglementation», dit-elle.

Pour faire image, la vice-présidente compare les entrepreneurs à des triathlètes de la gestion. «C'est facile à expliquer: ils doivent surmonter un fardeau administratif et réglementaire contraignant, faire des pirouettes pour réduire l'impact du taux d'imposition qu'on impose à leur entreprise et se dépasser jour après jour pour ne pas épuiser leurs réserves financières en raison du déséquilibre causé par la taxe sur la masse salariale, notamment», résume-t-elle.

Un fait demeure, toutefois: les entrepreneurs qui se lancent en affaires n'ont pas tous une excellente moyenne au bâton. Un très fort pourcentage des nouvelles entreprises ne survivent pas plus de deux ans. Le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation (MDEIE) s'est penché sur la santé des entreprises québécoises lors d'une récente enquête statistique. On y apprend que 25 % des nouvelles entreprises cessent leurs activités moins de deux ans après leur mise sur pied. Le taux de survie après cinq ans se situe à 50 %.

Autre élément préoccupant: le MDEIE prévoit que le nombre d'entrepreneurs actifs chutera de 2,8 % sur une période de cinq ans et de 13,9 % sur 10 ans. Ces pourcentages sont considérables si on les compare avec les projections des autres provinces, dont l'Ontario, qui s'attend à «perdre» seulement 1,3 % de sa force entrepreneuriale sur 10 ans. Au Canada, le manque à gagner sera de 5,3 %, toujours selon les évaluations sommaires.

Si ce scénario se confirme, le nombre d'entrepreneurs au Québec passera de 180 800 (en 2008) à 175 800 (en 2013). Il est important de rappeler que chaque nouvelle PME crée 25 % des nouveaux emplois, chaque année, au Québec.

Comment faire pour redonner du tonus à la PME québécoise? «J'ai une partie de la réponse, tranche Martine Hébert. Il faut se défaire de cette manie que les gouvernements ont développée de toujours s'en prendre aux entrepreneurs. Si on croit encore à la PME et à son potentiel économique, il faut relâcher la pression. Ça nous prend une stratégie concertée, une volonté gouvernementale digne de ce nom», suggère-t-elle, évoquant au passage l'intention du gouvernement Charest de dévoiler cet automne une première Stratégie entrepreneuriale.

Le temps presse, cependant, pour favoriser une transition qui incitera les nouveaux dirigeants de PME à relever les défis de la relève. «Nous avons du travail de sensibilisation, de valorisation et d'information à faire. Les générations X et Y ne veulent pas suivre les traces des dirigeants actuels. Ils désirent concilier travail et famille, et le modèle du propriétaire qui travaille plus de 60 heures par semaine ne fait pas nécessairement leur affaire. La relève n'est pas compromise pour autant, mais il faut être en mesure de leur démontrer que la PME, c'est une belle aventure, un beau projet», soutient la vice-présidente de la FCEI.

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Collaboration spéciale

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Les petites entreprises comptant moins de 50 employés, y compris celles sans employé, représentent 97,8 % de tous les établissements commerciaux au Canada. Parmi elles, les 53,3 % des entreprises sans employé permanent emploient peut-être des travailleurs contractuels et des membres de la famille, en plus du propriétaire. Les moyennes entreprises comptant de 50 à 499 employés constituent 2,1 % de toutes les entreprises au Canada (source: FCEI).

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Nombre de PME au Québec: 242 710
95 % des PME ont moins de 50 employés
63 % des PME ont un chiffre d'affaires de 500 000 $ ou moins
25 % des entrepreneurs travaillent plus de 60 heures par semaine
Nombre de PME par 1000 habitants en 2009: 58 (68 en 2004)
Faillites commerciales au Québec en 2009: 38 % (33 % en 2007)

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