Pas de récession mondiale en vue

Élie Cohen: «Les perspectives de croissance sont moins favorables qu’en début d’année, mais...»
Photo: Agence France-Presse (photo) Gabriel Bouys Élie Cohen: «Les perspectives de croissance sont moins favorables qu’en début d’année, mais...»

Paris — Malgré les craintes du marché, la révision à la baisse des prévisions de croissance et l'endettement colossal des États, l'économiste Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po, ne s'attend pas à une récession mondiale, dans un entretien à l'AFP.

Comment expliquez-vous la chute brutale des marchés financiers depuis deux semaines?

Les marchés surréagissent à la hausse et à la baisse, ce sont des phénomènes un peu extrêmes de panique et d'aversion au risque.

De plus, il y a eu conjonction d'événements déstabilisants: le compromis illisible du 21 juillet destiné à sauver la Grèce et l'euro, la bataille pour la dette américaine qui s'est soldée par la perte du AAA, de mauvais indicateurs économiques...

Les investisseurs ont été conduits à réevaluer leurs perspectives. Ce qui est en train de se passer, c'est une réappréciation générale des perspectives de croissance sur les marchés. Elles étaient assez fortes en début d'année, mais on a vu que la croissance ralentissait brutalement aux États-Unis. Et en Europe, on est conduit aussi à la réviser à la baisse.

À partir du moment où les marchés se posent la question du risque de récession, ils réévaluent les perspectives de bénéfices et donc la valorisation des entreprises.

Une récession mondiale est-elle envisageable?

Les perspectives de croissance sont moins favorables qu'en début d'année, mais on ne risque pas la dépression mondiale, ne serait-ce que parce que les autorités publiques réagissent. De plus, même au plus fort de la crise de 2009 la récession dans les pays développés a été compensée par la croissance dans les pays émergents. Quand les pays occidentaux faiblissent, ce qui est le cas actuellement, la Chine et l'Inde et autres émergents continuent à surperformer. Personne n'envisage donc une récession mondiale, un ralentissement oui.

Les prévisions euphoriques de début d'année ne seront pas réalisées.

Les États-Unis feront une année très, très médiocre, autour de 1 %, et l'Europe est contrainte de réviser à la baisse ses perspectives.

Après un bon premier trimestre aux États-Unis et un deuxième trimestre médiocre, les 3e et 4e seront mauvais.

En France, la prévision initiale de croissance était de 2,5 %, la prévision officielle actuelle est de 2 %, on fera autour de 1,5 %.

Le pari avait été fait qu'avec la fin des mesures de relance, les moteurs externes (exportations) puis internes de la reprise allaient s'allumer (consommation, investissement) mais l'économie est sortie beaucoup plus affaiblie de la crise de 2009 que ce que l'on pensait et la fin des mesures de stimulation a un impact négatif sur l'activité.

Les États endettés soutiennent de moins en moins l'activité. Il y a une période de désendettement qui va être longue et qui pèse aussi sur la consommation.

Quelles sont les raisons de ce retour de la crise?

C'est un cercle vicieux économique lié à la résorption des déficits: les pays très endettés ont une pression forte pour se désendetter, pour éliminer plus vite que prévu les déficits publics mais, du coup ils baissent les dépenses qui soutenaient l'activité et l'emploi, la croissance ne repart pas. Il y a une moindre reprise de la consommation. L'emploi et l'investissement ne repartent pas non plus car le moteur des exportations ne suffit pas.

Ce piège du désendettement privé et public ne peut qu'avoir une incidence négative sur la croissance, il reste à éviter les a-coups trop brutaux dans les politiques publiques car ils peuvent aggraver la situation économique, comme on l'observe aux États Unis avec la bataille livrée à Obama par le Tea party sur le plafond de la dette.

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Propos recueillis par Sophie Laubie et Élodie Mazein

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