Analyse - Les brevets de Nortel, un enjeu stratégique de la téléphonie mobile

Photo: Agence Reuters Eric Thayer

Qui dit mieux? Un portefeuille de brevets pour 4,5 milliards de dollars. C'est finalement un consortium mené par Apple qui a emporté la mise, vendredi 1er juillet. Au détriment de son grand rival Google. Les deux groupes se sont livrés à une folle enchère pour décrocher les 6000 brevets détenus par Nortel.

Apple s'était entouré de cinq partenaires pour faire cette offre record: le géant du logiciel Microsoft, la société canadienne Research in Motion (RIM), fabricant du BlackBerry, le suédois Ericsson, le japonais Sony et EMC, le spécialiste américain des solutions de stockage. Reste encore à obtenir l'accord des autorités américaines et canadiennes pour que la vente soit définitivement entérinée.

Depuis quelques mois déjà, la fièvre montait autour de cette cession. Nortel, une société centenaire, qui a, un temps, dominé le marché mondial des équipements de télécommunications, et s'est distinguée tout particulièrement sur le marché de la téléphonie mobile, a vu sa trajectoire industrielle s'arrêter net en 2009. Perclus de dettes, le groupe a été contraint à la faillite.

Depuis, le dépeçage de l'entreprise est à l'oeuvre. Une à une, les filiales ont été cédées. Restait le portefeuille de brevets, fruit de cette longue histoire technologique, portant aussi bien sur les téléphones mobiles eux-mêmes que sur les réseaux Wi-Fi ou les réseaux mobiles LTE de nouvelle génération, mais aussi les recherches sur Internet et les réseaux sociaux. Les noms de sociétés intéressées avaient commencé à circuler. Comme ceux des sociétés chinoises ZTE et Huawei, nouveaux acteurs de ce marché des équipements de télécommunications. Ou celui du fabricant de composants Intel.

Mais c'est Google qui le premier a officialisé son intérêt, en donnant même le montant qu'il était prêt à débourser pour s'emparer de cette précieuse propriété intellectuelle: 900 millions de dollars. Puis Apple s'est positionné pour les enchères, qui ont débuté lundi 27 juin.

Le verdict une fois connu, Google a réagi sur le blog d'un de ses vice-présidents en qualifiant cette issue de «décevante», avant d'ajouter : «Nous continuerons à travailler pour réduire le flot actuel de litiges sur les brevets, qui perturbe aussi bien les innovateurs que les consommateurs.»

Car derrière ces enchères acharnées se cache une féroce bataille pour la propriété intellectuelle. Le phénomène n'est pas nouveau, mais s'est intensifié ces dernières années dans le secteur de la haute technologie, et plus particulièrement dans ce qui touche de près ou de loin à la téléphonie mobile. Sur ce marché, des géants ont débarqué, tentant de bousculer les positions établies. Que ce soit Apple avec son iPhone, puis son iPad, ou Google avec son logiciel Android. Même si ces sociétés sont des géants de la haute technologie, elles restent des novices sur le marché de la téléphonie mobile, et n'ont guère de patrimoine technologique en la matière. De quoi susciter l'hostilité des acteurs historiques, peu enclins à voir débarquer cette nouvelle concurrence.

La bataille qui a opposé Nokia et Apple depuis 2009 illustre bien cette réalité. Le groupe finlandais a d'abord accusé la firme à la pomme d'avoir enfreint ses droits sur dix brevets avec l'iPhone. Puis les griefs ont porté sur l'iPad, pour finalement se généraliser à l'ensemble de ses produits.

Apple a répliqué en reprochant à Nokia d'utiliser à son insu treize de ses brevets. Après de longs mois de procédure, Nokia et Apple ont finalement signé un accord en juin. Le fabricant de l'iPhone a du verser une forte somme au finlandais, dont le montant n'a pas été révélé, et lui versera également des redevances dans le futur.

Apple a de son côté entamé un combat contre deux fabricants de smartphones équipés du logiciel Android, Samsung et HTC, les accusant d'avoir copié certaines caractéristiques de l'iPhone. Ce à quoi Samsung a réagi en attaquant à son tour Apple. Google et les fabricants de téléphones sous Android feraient, eux, conjointement l'objet de près de quarante-cinq procès pour infraction aux lois sur la propriété intellectuelle.

Détenir des brevets est devenu un enjeu stratégique. Avec une telle monnaie d'échange, il est possible de négocier. Voire de se protéger contre les attaques potentielles. D'où le montant record atteint par le portefeuille de Nortel, et la déception de Google.

Les brevets peuvent également se révéler stratégiques pour les États. Le chinois Huawei a ainsi voulu récemment racheter une petite société américaine en faillite, 3Leaf. Au regard des montants financiers en jeu — 2 millions de dollars —, cette transaction aurait pu passer inaperçue. Sauf que 3Leaf avait développé une technologie de composants pour les supercalculateurs jugée stratégique pour les États-Unis. Le gouvernement américain, qui soupçonne cette société dirigée par un ancien militaire de maintenir des liens étroits avec l'État chinois, a donc décidé de s'opposer à cette vente. Huawei a dû abandonner la partie.

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