PME québécoises - La responsabilité sociale mène à l'innovation
Dans les années 1950, alors que quelques entreprises pionnières se sont lancées dans des politiques de développement durable, des raisons d'ordre éthique et normatif étaient invoquées. Dans l'inconscient collectif, s'intéresser à des préoccupations sociales ou écologiques avait forcément des retombées négatives en matière de profit, d'innovation, donc de compétitivité. Depuis, plusieurs chercheurs ont démontré le contraire, et le précepte good ethics = good business a fait son chemin... surtout dans les grandes entreprises.
Les petites et moyennes entreprises sont restées longtemps en retrait de ce mouvement où se conjuguaient développement durable, éthique et normes. Pas assez de ressources pour mettre en place une politique de responsabilité sociale, pas assez intéressant sur le plan de la productivité. Kadia Georges Aka, doctorant à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), vient de démontrer le contraire. «Nous avons étudié cinq petites entreprises québécoises qui, malgré leur taille et leurs ressources, se sont engagées dans la voie du développement durable, raconte-t-il. Nous nous sommes rendu compte qu'elles sont restées très compétitives et solides et qu'elles ont fait preuve de beaucoup d'ingéniosité pour créer des innovations durables.»L'étude démontre que se lancer dans une politique de développement durable a un coût de départ. Il faut investir et les retombées ne se font sentir qu'à moyen terme. «Dès la deuxième année en général, précise M. Aka. C'est tout un changement d'état d'esprit, ça bouscule les habitudes... Au départ, ça déstabilise un peu l'entreprise. Mais, très vite, on se rend compte que cette déstabilisation a du bon sur la capacité des employés à innover, à chercher de nouvelles solutions, à apporter de la valeur ajoutée à leurs clients.»
Ainsi, les gestes faits par les cinq entreprises étudiées sont très concrets. La première a mis en place un programme de reboisement chaque fois qu'elle lance un nouveau projet. La deuxième s'est dotée d'un système de calcul de l'empreinte énergétique des meubles qu'elle fabrique et l'étiquette. La troisième vend des manteaux intégrants du polyester écologique et transforme ses résidus de fabrication en tapis de voiture. La quatrième, implantée dans le secteur des services d'entretien, utilise des produits biodégradables à base de bactéries spéciales et a inventé un système de gestion des graisses et des odeurs dans les édifices. Enfin, la dernière fabrique du polyester éco-intelligent à base de bouteilles recyclées et de l'antitache lui aussi respectueux de l'environnement.
«Ces entreprises sont très différentes les unes des autres, que ce soit du point de vue de leur localisation, de leur taille ou de leur secteur d'activité. Elles se portent globalement bien et leur point commun est de ne pas chercher principalement à maximiser leurs profits, tout en reconnaissant leur importance pour assurer la survie de leur structure, note M. Aka. Certaines privilégient le développement de leur collectivité et favorisent donc des fournisseurs locaux, même si elles sont légèrement moins concurrentielles. D'autres ont pour objectif de maximiser l'emploi au Québec et encouragent la production locale. D'autres encore sont très soucieuses de l'environnement et ne vont faire affaire qu'avec des sous-traitants respectant les normes écologiques.»
Nécessaire éthique
Mais si ces cinq entreprises ont décidé de franchir le pas, d'autres souhaiteraient le faire mais repoussent le moment par crainte d'y perdre des plumes et de ne pas résister à la pression du marché.
«Elles n'auront pourtant pas d'autre choix que d'y aller, estime Kadia Georges Aka. D'abord parce qu'elles sont pressées de le faire par la collectivité. Les organisations internationales, les gouvernements, l'opinion publique le leur demandent sous prétexte que les entreprises ne peuvent pas continuer à faire seulement du profit, qu'elles doivent avoir un rôle éthique. Mais, depuis quelques années maintenant, la communauté scientifique s'en est mêlée et il est aujourd'hui prouvé qu'on peut être rentable et croître tout en posant des gestes respectueux de l'environnement et de la société. Et puis, les grandes entreprises subissent elles-mêmes de plus en plus de pression pour qu'elles se responsabilisent socialement. Et l'un des premiers gestes qu'elles posent, c'est de ne travailler qu'avec des fournisseurs eux-mêmes irréprochables. Si les PME veulent travailler avec les grands groupes, elles n'auront pas d'autre choix que de prendre le train du développement durable. Mais il vaudrait mieux qu'elles le prennent avant d'y être contraintes. Qu'elles y aillent de manière proactive, qu'elles l'intègrent dans leurs stratégies.»
De l'aide? Oui!
Mais comment se lancer? C'est l'objet de la thèse de doctorat de Kadia George Aka. «Mon mémoire de maîtrise a mis en évidence le lien entre responsabilité sociale et innovation, explique-t-il. Il faut maintenant donner des clés aux PME pour qu'elles parviennent à faire le pas. Nous avons déjà démontré que les petites et moyennes entreprises ont des atouts naturels pour le développement durable. Parce qu'elles sont bien implantées dans leur milieu, dans leur collectivité. Les dirigeants en sont généralement proches, ils sont intégrés dans des réseaux d'entreprises et d'innovation locaux, ils savent où se trouvent les compétences.»
Encore faut-il avoir les reins assez solides pour pouvoir investir, avoir la capacité de se dire que les deux prochaines années seront difficiles à passer. «Mais, là encore, les dirigeants peuvent être aidés, nuance Kadia Georges Aka. Pour cela, il faut mobiliser toutes les parties prenantes: les clients, les fournisseurs, les acteurs du milieu en matière de développement durable, les autorités politiques, les organisations non gouvernementales, ainsi que les établissements financiers. Il existe maintenant, soit à l'intérieur des banques traditionnelles, soit via des organismes indépendants, des fonds d'investissement durable susceptibles de soutenir les gestionnaires.»
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Collaboratrice du Devoir