Nicolas Bélanger, président du Groupe W - Un rebelle qui sait compter

Nicolas Bélanger: «Plus tu es proche de ton fric, plus tu peux surveiller et intervenir rapidement.»
Photo: - Le Devoir Nicolas Bélanger: «Plus tu es proche de ton fric, plus tu peux surveiller et intervenir rapidement.»

L'université, ce n'était pas vraiment pour lui. Il avait besoin de plus d'action. Il est aujourd'hui à la tête d'une société qui a investi dans une vingtaine d'entreprises. Et ce n'est qu'un début, promet-il.

Il est ambitieux et performant. Il a un côté rebelle. Il est allergique à la théorie et aux réunions où l'on ne décide rien. Il pouvait se permettre d'être perturbant à l'école parce qu'il avait de bonnes notes et qu'il avait beaucoup de facilité avec les chiffres. Il a néanmoins abandonné complètement ses études universitaires en actuariat après quelques mois seulement. Il n'arrivait plus à réprimer le côté entrepreneurial qu'il avait toujours eu. Ainsi se définit lui-même Nicolas Bélanger, qui au cours des 15 dernières années a fait la preuve de ses talents d'entrepreneur et d'investisseur.

Maintenant âgé de 40 ans, il est président du Groupe W, une société privée d'investissement ayant des participations dans une vingtaine d'entreprises québécoises qui, ensemble, génèrent des revenus dépassant 150 millions et créent plus de 350 emplois. Jusqu'en décembre dernier, il était aussi le président et chef de la direction de DTI Software, une société qu'il avait fondée en 1995 avec deux collègues et amis, laquelle est devenue chef de file dans le domaine du jeu vidéo et du divertissement interactif en environnement clos. Cette compagnie, vendue en 2008 à la société allemande Advanced Inflight Alliance, détient 90 % du marché mondial des logiciels de divertissement dans le transport aérien, rien de moins que 110 compagnies aériennes parmi les plus connues au monde.

Nicolas Bélanger ne sait pas si la génétique est un facteur qui a compté dans sa réussite en affaires, mais elle n'a certainement pas nui. Son père a été cadre supérieur chez Bell Canada; Gérard Bélanger, un économiste réputé de l'Université Laval, est son oncle. Il a aussi un cousin, Claude Lamoureux, qui pendant des années a dirigé Teachers, le prestigieux fonds de retraite des enseignants ontariens.

Bien sûr que son père a mal réagi lorsque son fils rebelle a quitté l'université pour se lancer en affaires dans les pays de l'Europe de l'Est, sortis du giron communiste quatre ans plus tôt. C'étaient les débuts d'Internet et Nicolas Bélanger, alors au début de la vingtaine, eut l'idée d'aller ouvrir un café techno dans ce marché encore vierge. «Mais on a eu des problèmes de financement», raconte Bélanger. Il est revenu de cette aventure huis mois plus tard pour lancer DTI dans le sous-sol de ses parents, en août 1995, grâce au plan Paillé 2. Son voyage européen lui avait donné l'idée de concevoir un logiciel avec contenu interactif pour les hôtels.

«On s'est battus pendant sept ans pour vendre notre "start-up". On a eu une première ouverture en 1998 avec Avicom, une filiale de Hughes Electronics. Nous étions la seule compagnie à développer un logiciel interactif pour le marché aérien», relate-t-il. DTI a eu aussi comme cofondateurs Louis Bélanger-Martin (aucun lien de parenté), qui avait des talents de vendeur, et Daniel Laplante, davantage porté sur les aspects technologiques. Toujours est-il que les deux premiers ont racheté la participation du troisième et c'est ainsi qu'est né le Groupe W en 1998, une coquille pour permettre l'acquisition du troisième partenaire initial dans DTI.

Vers un fonds de 100 millions

Le Groupe W (winvestments.ca) appartient encore à parts égales à Nicolas Bélanger et à Louis Bélanger-Martin. Dès 2002, ceux-ci ont commencé à investir dans d'autres jeunes compagnies québécoises. Par ailleurs, DTI, qui a toujours été rentable depuis 2002, a été vendue en 2008 à une société allemande, mais les deux Québécois en sont demeurés les dirigeants. En décembre dernier, Nicolas a décidé de quitter la présidence de DTI pour laisser la place à son partenaire Bélanger-Martin.

Il a pris cette décision afin de consacrer tout son temps au Groupe W et à ses investissements, lesquels prennent des formes diverses selon qu'il est actionnaire ou détenteur de dette subordonnée ou de simple prêt, membre du conseil ou alors d'un comité, ou qu'il se limite à la réception de rapports mensuels. Dans tous les cas, W demeure un partenaire minoritaire. «Je suis investisseur et entrepreneur; j'ai les deux côtés, mais je suis plus entrepreneur», dit-il à propos de lui-même. Il avoue être fasciné par tous les gens qui ont des talents d'entrepreneur. «Je décèle vite celui qui en a et je me pose une question: peut-il passer par où j'ai passé?»

Depuis 2002, W a investi 15 millions dans cette vingtaine d'entreprises, dont 12 investissements au cours des deux dernières années. L'été dernier, il a fait «un coup de circuit» avec la vente de l'une des entreprises, Streamtheworld, dans laquelle W avait investi 500 000 $ deux ans plus tôt. Cette société a été vendue pour plusieurs dizaines de millions, et comptant par surcroît. W a investi dans Lumenpulse, spécialisée dans l'éclairage commercial, un marché mondial de 100 milliards. Aussi dans IBwave Solutions, qui est seul dans le marché à offrir un logiciel pour optimiser un réseau cellulaire à l'intérieur des édifices. Le portefeuille comprend des placements aussi dans Mediaticypub, Socialgrape, etc. Depuis sa fondation, le Groupe W obtient un rendement annuel cumulé de 20 %. Inspiré par Warren Buffett pour sa grande préoccupation de maintenir les frais fixes à leur plus bas niveau, M. Bélanger est pratiquement seul, avec l'aide d'une adjointe, à voir à la gestion quotidienne de cette organisation. Les avocats, les comptables et les spécialistes pour les vérifications diligentes sont choisis à l'extérieur et reçoivent des mandats ponctuels.

À ce jour, tous les investissements de W ont été faits dans des entreprises québécoises, mais M. Bélanger n'écarte pas la possibilité d'aller ailleurs. Il ajoute cependant cette remarque: «Plus tu es proche de ton fric, plus tu peux surveiller et intervenir rapidement». Sur les 20 sociétés dans lesquelles W a des intérêts, M. Bélanger dit en suivre trois de près et il fait partie du conseil d'administration de sept. Il explique voir la vie d'une entreprise comme celle d'un organisme vivant qui peut engraisser ou maigrir. Selon lui, un bon entrepreneur sait s'adapter aux circonstances, au marché et ne pas hésiter à congédier des employés, même un patron, si c'est nécessaire. «Je ne suis plus émotif. En 2002, chez DTI le nombre des employés est passé de 75 à 15, mais aujourd'hui il est de 200», souligne-t-il, en prenant Bombardier comme exemple d'entreprise qui adapte constamment ses équipes en fonction de son carnet de commandes. Il considère qu'un bon entrepreneur est celui qui rationalise avant d'être forcé de le faire.

Quoi qu'il en soit, il considère le Groupe W comme une école pour lui. Son but est d'aller encore plus loin. Le fonds est maintenant de 20 millions, en incluant les 15 millions déjà investis. Pour l'avenir, la cible est d'atteindre les 100 millions. Les investissements ont jusqu'à maintenant été faits dans des entreprises jeunes, n'ayant pas plus de six ans et offrant un fort potentiel de croissance, peu importe leur secteur d'activité. Ce sont aussi des entreprises fondées par des entrepreneurs qui ont tous moins de 50 ans, en fait plus proches de 40 ans, c'est-à-dire de la même génération que Nicolas Bélanger.

Pour l'avenir, W vise des entreprises plus matures qui nécessiteront un soutien et une présence moins personnelle de la part des investisseurs, leur laissant plus de temps pour explorer de nouveaux créneaux de marché. M. Bélanger souligne que, parmi les 20 entreprises actuelles, aucune n'est une compagnie publique. Il reconnaît que cette expérience lui manque et qu'avec l'importance grandissante de la gouvernance, c'est une lacune qu'il entend corriger. Néanmoins, le Groupe W a d'ores et déjà un important réseau de contacts parmi les institutions financières, grandes comme petites. Il fait notamment partie du regroupement Anges Québec et du Fonds Soutien relève de la Rive-Sud.

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Collaborateur du Devoir

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