La croissance se poursuivra, prédisent les économistes

Foi d'un sondage Léger Marketing propre à la confrérie des économistes, «l'économie québécoise se maintiendra au cours des six prochains mois». Que signifie un tel énoncé? C'est en prenant pour «indicateur synthétique» le produit intérieur brut (PIB) que des membres de l'Association des économistes québécois (ASDEQ) croient, à hauteur de 70 %, au maintien d'une «croissance» faible. La théorie économique induit à partir de cette donnée une augmentation conséquente du taux d'emploi et des salaires, précise Jean-Michel Cousineau, économiste à l'Université de Montréal et membre de l'ASDEQ.

M. Cousineau indique toutefois que la croissance escomptée sera trop peu importante pour qu'en profitent les classes sociales les plus faibles. Nuançant l'image de la marée qui emporte tout ce qui flotte, il rappelle qu'«il faut une marée forte pour aller chercher tous les bateaux».

La question de l'inégalité des revenus, du partage des richesses tout comme celle des externalités étrangères aux paramètres de l'économétrie tels que les enjeux environnementaux, échappent donc à la chose économique telle que conçue ici.

Économie étatsunienne

La prédiction voulant que l'économie québécoise soit vouée à bien se porter dépend pourtant d'une seconde prédiction, celle-là moins assurée, quant à l'état de l'économie étatsunienne. Subitement, 60 % des sondés craignent au Canada les répercussions d'une éventuelle «rechute» aux États-Unis, laquelle amènerait les autorités politiques et monétaires du pays «à adopter des politiques plus expansionnistes que prévu». M. Cousineau évoque à ce titre les solutions d'usage: réduction des taux d'intérêt, réduction des impôts ou un plan de relance peu compatible avec les positions du gouvernement conservateur à Ottawa.

Par contre, 53 % des sondés disent ne pas croire que l'économie américaine connaisse de «rechute» d'ici un an.

Donc, «les autorités américaines ne devraient pas augmenter les dépenses publiques et accentuer la taille du déficit», enchaîne du même souffle le compte-rendu du sondage. M. Cousineau fait dépendre ce lien de nécessité logique entre l'accroissement des dépenses et celle du déficit au fait que toutes choses restent égales par ailleurs. Il rappelle le premier que les pouvoirs publics ont les moyens d'augmenter leurs revenus sans que gonfle nécessairement leur déficit budgétaire. Il préconise pour sa part aux États-Unis un plan de relance de l'ordre de 500 milliards $ qui serait immédiatement financé à partir de nouveaux impôts engrangeant des revenus du même ordre.

Les auteurs du sondage ne se sont toutefois pas enquis explicitement de questions de nature fiscale, relatives par exemple au faible nombre de paliers d'imposition, aux avantages fiscaux consentis aux hauts revenus et aux investisseurs, à l'évasion et l'évitement fiscaux, de même qu'aux pratiques fiscales agressives. Sans parler aux États-Unis du rôle controversé du Delaware, un véritable paradis fiscal à l'intérieur de la juridiction.

Sonder les économistes

Le statut de ce sondage entraîne plusieurs questions. S'agit-il pour les économistes de prédire ce que feront les autorités publiques et financières dans les mois à venir ou de conseiller celles-ci quant à ce qu'elles devraient faire?

La question est d'autant plus pertinente que les anticipations des économistes «nourrissent la réalité», ainsi que le concède M. Cousineau. Et si «les prévisions économiques influencent la réalité», cela se fait, affirme-t-il, en vertu d'une méthodologie empirique à laquelle la profession restreint l'analyse de ce processus social.

Guillaume Hébert, de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques, y voit plutôt un exercice «idéologique» à la faveur de «l'économie orthodoxe». Il s'inquiète du caractère nécessairement peu scientifique du sondage comme genre, lequel est habituellement consacré à des positions d'opinion. M. Hébert qualifie de «faible» le principal critère d'analyse du sondage, à savoir qu'il faut toujours remettre en question négativement la présence de l'État dans les enjeux de nature économique, malgré la contribution des États dans le contexte de la dernière crise économique. «Les économistes ont conscience de l'impact qu'aura leur avis sur la façon dont leur objet va se comporter», affirme-t-il en référence aux bulles financières spéculatives, qui nécessitent des «excès de confiance» ainsi façonnés.

Près de 200 membres de l'Association des économistes québécois ont participé à ce sondage, du 21 octobre au 23 novembre 2010. Celui-ci est renouvelé à raison d'une fois par trimestre.

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