Francisco van der Hoff - Prendre le parti des pauvres

Max Havelaar, c’était d’abord une marque de certification du café équitable. Aujourd’hui, l’association certifie aussi des produits divers, dont le coton équitable qui sert à fabriquer des tee-shirts.
Photo: Agence France-Presse (photo) Fred Tanneau Max Havelaar, c’était d’abord une marque de certification du café équitable. Aujourd’hui, l’association certifie aussi des produits divers, dont le coton équitable qui sert à fabriquer des tee-shirts.

C'est un prêtre qui parle plus des hommes que de Dieu, un Néerlandais qui s'exprime en espagnol, un docteur en économie qui vit dans la pauvreté depuis trente ans dans la sierra mexicaine avec les Indiens, un caféiculteur qui a fondé il y a vingt ans le label devenu référence Max Havelaar «pour que sa mère puisse acheter le café que nous produisons». À 71 ans, Francisco Van der Hoff cultive toujours un demi-hectare d'arabica bio dans son village de Buenavista, au sud du Mexique. Il s'est lancé dans la tomate sous serre. Diminué après une lourde opération au printemps (il estime avoir perdu «30 % d'énergie»), il se consacre davantage à l'écriture. Il vient de publier en France un petit ouvrage où il livre sa vision de la crise mondiale, à la lumière d'un demi-siècle de combat auprès des plus démunis. Dès le préambule de ce Manifeste des pauvres, il met les choses au point: «Nous n'allons pas créer un paradis sur Terre, mais ne vaut-il pas mieux rêver éveillé que de continuer à accepter l'exploitation dans l'obscurité?»

Ce n'est en effet pas lui qui vendra à ses ouailles un salut venu d'en haut: «Je ne crois pas aux miracles, encore moins aux promesses.» D'ailleurs, le docteur en théologie, membre de la congrégation du Sacré-Coeur de Jésus, se veut modeste: «Les gens pensent que quand vous êtes prêtre, vous êtes un spécialiste de Dieu, mais je ne suis qu'un citoyen comme les autres.» Plus à l'aise en jean et chemise, il célèbre encore parfois la messe en «l'adaptant à la situation locale. En remettant au centre l'idée du partage du pain». Dans les années 70, il est proche de la théologie de la libération qui se développe en Amérique du Sud, prônant la solidarité avec les pauvres et dénonçant le capitalisme. Francisco Van der Hoff en a tiré une version personnelle, une «théologie de la libération des petits producteurs». Cela le mène assez loin de l'enseignement du futur pape Ratzinger qu'il suivit un mois, en Allemagne, durant ses études. «Un très bon spécialiste de saint Augustin mais un professeur très ennuyeux», dit-il en souriant. Aujourd'hui, le padre réserve ses imprécations aux «faux dieux»: le marché et sa main invisible, le bonheur qui s'achète, le mythe du progrès. Et les premiers héros qu'il cite sont des politiques, de Nelson Mandela au président bolivien Evo Morales.

Francisco Van der Hoff est né Frans, dans une famille de paysans pauvres du Brabant, aux Pays-Bas, au milieu de seize frères et soeurs. Une origine qui explique le «caractère dur, tenace, têtu», décrit par son ami Jean-Pierre Blanc, directeur des cafés Malongo. Bon élève, il intègre un internat à l'adolescence, puis entre en religion, dans un monastère tourné vers l'aide aux démunis. Il part ensuite étudier la philosophie et la théologie à l'Université de Nimègue, où il découvre la contestation en cette fin des années 60. Il prend la tête de l'Union étudiante, participe à l'euphorie du mouvement et découvre la désillusion des lendemains qui déchantent. Ordonné prêtre, mais sans un sou et devenu persona non grata dans son pays, il s'exile à Ottawa pour enseigner. C'est là qu'il commence à s'intéresser au Chili. Il s'y rend plusieurs fois, s'installe comme prêtre-ouvrier dans une mine du Nord. Mais le coup d'État qui renverse le président Allende le contraint à fuir et il se réfugie au Mexique. «Ma vie, c'est une suite d'accidents», résume-t-il de sa voix grave de fumeur. Mais il ne se range pas davantage à Mexico. Il est renvoyé d'une usine de voitures pour activisme syndical. Pour l'éloigner autant que pour préserver sa sécurité, on l'envoie dans le diocèse d'Oaxaca. Et là, dans les montagnes de l'isthme de Tehuantepec, il comprend que sa carrière de prêtre voyageur s'arrête. On est en 1980. «Soudain, je me suis senti chez moi. Moi qui suis né "sous les vaches", c'était mon milieu naturel.» Au point de ne plus se sentir européen. «J'ai découvert que l'Occident ne savait pas grand-chose. J'ai absorbé beaucoup de la sagesse des indigènes, une autre perception de l'homme, l'art de la survie.» Il partage la misère des Indiens zapotèques, «sa deuxième famille», dit Blanc. Avec eux, il devient caféiculteur. Il est de la réunion fondatrice de 1981 où une centaine de paysans se livre à une «analyse de la réalité» et jette les bases d'un commerce équitable, en marge du marché international, avec le minimum d'intermédiaires. C'est l'acte fondateur d'Uciri (Unión de Comunidades Indígenas de la Región del Istmo).

La coopérative, au fonctionnement démocratique et participatif, centralise le café, organise la vente directe, utilise une partie des bénéfices pour des programmes sociaux ou éducatifs. Le padre, diplômé en économie, apporte sa connaissance des marchés internationaux. «Par son charisme et son sens de l'organisation, il a réussi à fédérer des milliers de paysans dans un cadre qui mêle action collective et responsabilité individuelle du producteur», résume, admiratif, le député UMP Christian Jacob, qui l'a invité récemment à un colloque à l'Assemblée après lui avoir rendu visite au Mexique. «Frans est un homme qui n'a pas besoin de beaucoup de mots, il enseigne d'une autre manière, raconte sa nièce Fannie, qui a passé un an à la coopérative. Il dit souvent qu'il faut écouter pendant cinq ans avant de commencer à parler.»

À la fin des années 80, quand il faut trouver des débouchés pour ce café dans les pays occidentaux, Francisco Van der Hoff s'associe à une ONG néerlandaise pour fonder Max Havelaar, du nom d'un héros de roman hollandais du XIXe siècle qui dénonçait l'exploitation coloniale dans les Indes néerlandaises. Il amorce la diffusion du café de la coopérative, sur un modèle qui essaimera dans d'autres pays.

Aujourd'hui, il n'a plus de rôle actif au sein d'Uciri, mais vit toujours dans sa petite maison à Buenavista. Il continue de donner des conseils, sur l'organisation comme sur le business. «Il a toujours été là pour nous aider», note Celso Eleuterio Cabadilla, responsable des exportations de la coopérative. «Il a eu la sagesse de s'effacer. Il n'est pas devenu un gourou, il reste une autorité morale», ajoute Christian Jacob.

Vingt ans après, Francisco Van der Hoff refuse de parler de succès, malgré une présence de Max Havelaar dans 80 pays, 3,4 milliards de chiffre d'affaires en 2009 et 1,5 million de familles de petits producteurs qui en bénéficient. D'abord parce que les pauvres sont toujours pauvres, que 3 dollars par jour pour vivre, c'est mieux, mais encore insuffisant, que «la misère reste la misère». Mais aussi parce qu'il s'inquiète que le commerce équitable, en se diffusant trop, ne perde son âme. Il voit les «multinationales de l'alimentation» tourner autour des petits producteurs, en tirant les standards vers le bas. Et les géants du café peu soucieux du social exploiter le filon de l'équitable. Le genre de danger qui lui fait perdre son calme, élever la voix. «C'est absurde. On va demander les solutions au diable alors que c'est lui qui a créé le problème.»

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