Grande-bretagne - Rupert Murdoch serait-il allé trop loin?

Londres — Depuis des décennies, il domine le paysage médiatique britannique, ébranlant Fleet Street sur ses bases et se confrontant même à la vénérable BBC. Mais en cherchant à s'emparer du contrôle total de British Sky Broadcasting Group, Rupert Murdoch est peut-être allé trop loin.
Une coalition sans précédent de médias a appelé le gouvernement britannique à se pencher avec attention sur ses ambitions de rachat, susceptibles à ses yeux d'avoir de graves conséquences sur la pluralité de l'information.Les adversaires de Murdoch souhaitent que son projet de s'emparer de 100 % de BSkyB, opérateur de télévision par satellite, soit passé au crible par Ofcom, l'autorité britannique de régulation des médias, qui peut conseiller les autorités sur les mérites d'un tel projet et préciser s'il est de nature à compromettre l'intégrité de l'industrie des médias au Royaume-Uni.
Les terres médiatiques de Murdoch au Royaume-Uni sont déjà étendues et controversées. Les journaux que contrôle le magnat âgé de 79 ans représenteraient 37 % de la presse nationale britannique en ce qui concerne le tirage.
Le Sun, le principal quotidien du pays, se vsante d'être en mesure de peser sur les élections. Quant au News of The World, il a été accusé d'avoir procédé à des écoutes téléphoniques illégales, avec des journalistes espionnant des personnalités politiques, des vedettes sportives, des célébrités et même des membres de la famille royale.
Le pouvoir de ces journaux a porté ses fruits sur le plan politique. L'ancien rédacteur en chef du News of the World, Andy Coulson, est désormais conseiller en chef communication du premier ministre, David Cameron, en dépit du fait qu'il ait été accusé d'avoir eu connaissance de ces écoutes — ce qu'il dément farouchement.
Mais la volonté de Murdoch de prendre le contrôle total de BSkyB, dont son groupe News Corporation détient déjà 39,1 %, amène ses adversaires à se mobiliser et à faire du lobbying auprès du gouvernement pour le pousser à intervenir.
Une lettre, qu'a pu voir Associated Press, a été envoyée lundi au ministre du Commerce, Vince Cable, pour l'informer des inquiétudes suscitées par le projet Murdoch. Ce courrier émanait notamment des dirigeants de la BBC, du Guardian Media Group et de l'opérateur de télécommunications BT Group.
Le rôle dans la vie politique britannique de celui qui a révolutionné Fleet Street au cours des années 1980 a souvent fait l'objet de débats, mais cette dernière controverse est différente dans la mesure où elle rassemble quasiment tous les grands médias qui ne font pas partie de News Corp., du Telegraph Media Group au Daily Mail.
Le Guardian, l'un des acteurs de cette offensive, a porté le combat devant ses lecteurs avec cette question: «Rupert Murdoch est-il en voie de devenir le Berlusconi de la Grande-Bretagne?» Une référence au président du Conseil italien et maître d'un empire médiatique, Silvio Berlusconi, accusé par l'opposition d'étrangler la démocratie italienne.
Devant cet assaut, News Corp. a mis en doute les motivations de ses opposants, les qualifiant d'«adversaires commerciaux», et fait observer que l'accord proposé n'était pas encore finalisé. Le groupe a précisé qu'il faisait confiance à M. Cable pour prendre une «décision basée sur les mérites» du projet.
Pour Damian Tambini, spécialiste des médias à la London School of Economics, la comparaison avec Berlusconi est un peu poussée. Reste qu'il juge légitimes les préoccupations politiques soulevées par le projet de rachat de Murdoch, soulignant que le magnat natif d'Australie et son fils James, président de BSkyB, se sont taillé une position qui pourrait devenir imprenable.
«Lorsque les groupes de médias sont autorisés à consolider leur position, cela peut être irréversible», dit-il.
Le contrôle total de BSkyB serait un grand coup pour l'empire international de Murdoch, qui contrôle de l'autre côté de l'Atlantique Fox Filmed Entertainment («Avatar» de James Cameron), la chaîne conservatrice Fox News et le Wall Street Journal, acquis il y a près de trois ans.
BSkyB représente les deux tiers des abonnements en matière de télévision payante en Grande-Bretagne, et détient une «position dominante incontestée» dans la diffusion télévisée des événements sportifs au Royaume-Uni, selon un récent rapport préparé par la société Enders Analysis.
Les opposants craignent que Murdoch ne lie ses titres de presse au divertissement populaire ou aux produits internet. Par exemple, les clients de Sky pourraient obtenir un abonnement en ligne au Times de Londres avec leur accès à Internet.