Les entrevues HEC Montréal - Faire la lumière sur les enjeux réels en matière d'énergie

Que ce soit à tort ou à raison, on a parfois tendance à reprocher à certains universitaires de vivre dans une tour d'ivoire, ce qui n'est certainement pas le cas de Pierre-Olivier Pineau, professeur agrégé à HEC Montréal, dont les principaux intérêts de recherche portent sur les politiques publiques dans le secteur de l'électricité et de l'énergie. Bien au contraire, il n'hésite pas à plonger dans les dossiers les plus chauds, ce qui ne manque pas par les temps présents dans le vaste domaine de l'énergie.
«C'est la prise de décisions en énergie qui m'intéresse, ce qui se fait au niveau macro. Ça devient des politiques publiques. Comment un gouvernement fait-il dans un secteur? Je suis devenu spécialiste en politique énergétique pour voir comment on peut prendre les meilleures décisions. D'une manière générale, je regarde beaucoup les marchés. J'ai fait ma thèse de doctorat là-dessus et sur les réformes en électricité», explique-t-il, pour situer les fondements de sa démarche de chercheur, ce qui l'a conduit à des constats et conclusions débouchant sur de sérieuses remises en question dont devraient tenir compte les gouvernements, l'industrie et les consommateurs.Sa thèse de doctorat a porté sur les réformes dans l'électricité dans quatre pays scandinaves, Finlande, Suède Norvège et Danemark, lesquels ont mis leurs sociétés publiques (comme Hydro-Québec) en concurrence en vue d'établir un seul marché intégré. Ils ont libéralisé sans privatiser. Cela a rendu possible des échanges, notamment de permettre à la Norvège, grand producteur hydroélectrique, de vendre beaucoup plus cher en Suède. «Ces mois-ci, je travaille sur ce genre de projets, des travaux qui montrent qu'on aurait tout à gagner, autant socialement qu'environnementalement et économiquement, à utiliser un prix pour l'électricité qui reflète plus un prix de marché que seraient prêts à payer les acheteurs d'ailleurs. On ferait plus d'argent et les consommateurs d'ici feraient plus d'efficacité énergétique», affirme M. Pineau, bien conscient qu'il aborde un sujet controversé.
Un défi pour le Québec
«Il y a un défi au Québec. Le ménage moyen dépense plus d'argent pour l'alcool et le tabac que pour l'électricité. Ça donne une mesure de notre société. Il y a une marge pour que l'on paie davantage pour l'électricité. Les gens ne veulent pas payer plus cher et ils ne veulent pas de nouveaux projets. Il y a là une contradiction. Mes travaux essaient de mettre un peu d'ordre là-dedans», dit-il. Il note également un comportement «un peu schizophrène» du gouvernement dans sa politique énergétique, en hésitant à toucher aux prix, mais en lançant de nouveaux projets pour faire du développement régional. «On est assez incohérent», résume-t-il.
Selon lui, il faut montrer qu'il y a des gains à réaliser en ajustant les prix de l'hydroélectricité à ceux du marché. «On exporterait l'hydroélectricité et cela réduirait les gaz à effet de serre (GES) chez nos voisins», poursuit le chercheur. Les études du CIRRELT (Centre interuniversitaire de recherche sur les reseaux d'entreprise, la logistique et le transport) montrent une baisse de 5 % des GES dans l'État de New York en 2007-2008 qui est attribuable à l'électricité venue du Québec. M. Pineau a fait partie de Cirano, un autre centre interuniversitaire qui s'intéresse aux politiques publiques, qui en laboratoire a pu vérifier que plus de 50 % des participants à une expérience se sont dits d'accord pour une augmentation des tarifs d'électricité. Il en tire la conclusion qu'il y a des manières de présenter les choses. «Si on explique, si les gens ont confiance dans les objectifs et les mécanismes, on peut les convaincre. Ce n'est pas une mission que je me donne. Notre mission est d'expliquer comment mieux comprendre les enjeux», précise le chercheur.
Dans la réalité des choses, les exemples de dossiers mal engagés sont nombreux. Ceux du gaz de schiste au Québec et de l'échec de la vente à Hydro-Québec de la société néo-brunswickoise sont particulièrement spectaculaires, comme en témoigne la défaite du gouvernement libéral dans cette province récemment. M. Pineau remarque les mêmes attitudes maladroites un peu partout en Occident, alors qu'il serait possible de miser sur des formules où tout le monde y gagne.
Pour ce qui est de l'avenir, il faut penser globalement, pas seulement pour l'approvisionnement, mais aussi en ce qui concerne la consommation. «Nous avons d'énormes progrès à faire. Notre consommation est hors contrôle. Les incitatifs ne sont pas là pour diminuer la consommation. On en est à un grand paradoxe: l'énergie est de moins en moins importante pour l'économie. La création de richesse est plus rapide que la consommation d'énergie, ce qui s'explique par le fait qu'on va de plus en plus vers une économie de services, qui est moins énergivore.» Tout de même, la consommation d'énergie par habitant n'a pas cessé d'augmenter au Québec depuis 20 ans, mais la place de l'énergie dans l'ensemble des dépenses tend à diminuer.
Pas de politique énergétique sans politique du transport
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas élaborer une politique énergétique sans pensser d'abord à une politique du transport. Et pourquoi donc? «La plus grande partie du pétrole sur terre est brûlé dans des voitures», répond M. Pineau, en précisant que 60 % du pétrole mondial est utilisé dans le transport. Au Québec, 76 % de l'énergie du transport est vendue à la pompe pour le transport personnel et 6 % pour l'aviation. Au Canada, c'est 9 % pour l'aviation et 70 % pour le transport, massivement pour les voitures personnelles. En 2008 au Québec, il s'est vendu 12 000 mégalitres (millions de litres) d'essence, dont 9500 mégalitres pour les voitures et seulement 1200 mégalitres pour le transport commercial et le transport en commun. La solution serait-elle de remplacer le pétrole par le gaz naturel et l'électricité? Cela impliquerait des investissements considérables dans les infrastructures. «En bout de ligne, la bonne solution est d'avoir moins de voitures et plus de transport en commun», conclut le prof de HEC. Au demeurant, ajoute-t-il, les voitures en Occident sont «un gouffre financier». Il s'en explique dans les termes suivants: «Une voiture coûte 7000 $ par année à entretenir. C'est une source de non-productivité pour la société. C'est du capital non actif, sans aucune contribution au produit intérieur brut. Une auto dort au minimum 20 heures par jour. Par ailleurs, plus d'autos sur les routes signifient plus de congestion, plus de smog, plus d'étalement urbain, plus de frais élevés de transport.»
Malgré tout, les consommateurs achètent de plus grosses voitures, roulent plus vite, ce qui augmente les risques d'accidents et la consommation d'essence. Bref, «nous avons un système de transport absurde».
Dans le contexte de changements climatiques inquiétants et d'une détérioration accrue de l'environnement planétaire, la question énergétique occupe une place indiscutablement majeure et prioritaire dans les grands débats de société. Comment des chercheurs sur les politiques publiques dans le secteur de l'énergie envisagent-ils l'avenir de leurs travaux, étant donné la complexité actuelle? D'une part, on ne parle plus simplement de pétrole, mais aussi de plusieurs autres sources d'énergie renouvelables et non renouvelables; d'autre part, les habitudes de consommation actuelles mènent inéluctablement vers un cul-de-sac et doivent être radicalement modifiées, comme le suggèrent les observations du chercheur.
Le Groupe de recherche interdisciplinaire en développement durable de HEC, dont fait partie M. Pineau, s'oriente vers un programme de recherche pour cibler les pratiques de gestion menant à une réduction de la demande en énergie dans une optique de maintien de la croissance économique. Il ne s'agit plus seulement de limiter la vulnérabilité d'approvisionnement en énergie, mais il faut surtout diminuer les émissions de GES, dont plus de deux tiers proviennent de la combustion d'énergie fossile. Bref, les chercheurs sont maintenant rendus au carrefour suivant: «En sommes-nous à un constat d'échec en matière d'énergie et d'environnement, ou alors existe-t-il des façons de maintenir un niveau de vie élevé, une croissance économique, tout en diminuant la consommation d'énergie?»
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Collaborateur du Devoir