L'A380 à destination de Montréal - Air France bombe le torse

Pierre-Henri Gourgeon
Photo: - Le Devoir Pierre-Henri Gourgeon

Le directeur général d'Air France-KLM, Pierre-Henri Gourgeon, n'est pas peu fier de sa nouvelle acquisition, qui traversera chaque jour le ciel de Montréal à partir du printemps. L'A380 aidera sa compagnie, espère-t-il, à se remettre du terrible choc de la crise économique, à faire face à la nouvelle concurrence des pays du Golfe, ainsi qu'à réduire la pollution.

Le grand patron d'Air France-KLM riait encore hier du bon tour qu'il venait de jouer à son concurrent canadien. «Quand on a annoncé qu'on amenait l'Airbus A380 à Montréal, je pense que nos amis d'Air Canada ont dit: rats!», s'est-il exclamé en entrevue au Devoir, reprenant une expression anglaise qu'on pourrait traduire par «zut!» ou «merde alors!».

«Il y a encore 12 ou 13 ans à peine, on perdait de l'argent entre Montréal et Paris», se souvient Pierre-Henri Gourgeon. D'importants investissements et efforts de réorganisation ont permis de renverser la situation, au point où Montréal est devenue la deuxième destination étrangère d'Air France, après New York, avec quatre départs quotidiens en haute saison, trois l'automne et deux l'hiver. Le début en mai d'une liaison quotidienne avec l'A380 ramènera le nombre de départs en haute saison à trois, mais le laissera à deux en basse saison.

Air Canada disait jeudi que la venue à Montréal du mastodonte de 538 sièges n'allait avoir aucun impact sur ses services. À l'heure actuelle, Air Canada offre quotidiennement deux vols l'été et un l'hiver entre Montréal et Paris.

Le directeur général d'Air France-KLM s'attend néanmoins à ce que la nouvelle coqueluche du monde de l'aviation attire plusieurs passagers, au point de les amener à changer d'heures de départ pour effectuer la traversée à son bord. «Cet effet de nouveauté s'atténuera avec le temps, dit Pierre-Henri Gourgeon qui est arrivé en poste en janvier 2009. Ce qui restera, c'est le confort plus grand que l'A380 offre aux passagers.»

La venue de ce géant des airs à Montréal risque également de faire mal à la concurrence pour d'autres raisons, poursuit-il. «Une fois que vous êtes devenus assez gros sur une route pour utiliser de gros avions, la concurrence a du mal à résister. Parce que, lorsque vous utilisez de plus gros avions, vous avez des coûts de fonctionnement plus bas, et vous pouvez pratiquer des tarifs plus bas.»

Casse-tête aérien

Air France compte quatre A380, mais doit en avoir douze à terme. La compagnie utilise aujourd'hui ceux qu'elle a pour les vols vers Tokyo, au Japon, Johannesburg, en Afrique du Sud, et New York. Outre Montréal, elle pourrait aussi l'employer dès l'été prochain vers Washington et Mexico.

La compagnie a longtemps dit qu'elle réserverait ces appareils à ses plus longues routes, vers l'Asie par exemple. L'utilisation optimale d'un appareil est toutefois une science complexe aux multiples variables, explique Pierre-Henri Gourgeon. La seule façon, par exemple, de garder un avion en l'air le plus grand nombre d'heures dans une journée possible est parfois de lui faire faire un premier vol d'une douzaine d'heures entre l'Afrique et l'Europe, suivi d'un vol plus court, de 7 ou 8 heures, vers une ville de la côte est nord-américaine.

C'est le même type de considérations qui amène le patron d'Air France-KLM à accueillir plutôt tièdement le projet de nouveaux avions de 100 à 145 sièges de la CSeries de Bombardier. «Nous aimons rester autant que possible avec des avions d'une même famille», explique le patron de la compagnie qui utilise, à l'heure actuelle, dans ce créneau, les différentes versions de l'A320 d'Airbus. «Mais il faut voir. On pourrait quand même se laisser convaincre si les performances le justifient.»

La crise, les pays du Golfe et l'environnement

L'impact de la crise économique a été terrible sur l'industrie du transport aérien. Le chiffre d'affaires d'Air France-KLM a chuté de 15 %, les ventes de sièges en classe affaires, de 40 %, et le volume de cargo, de 20 %. Les mesures correctives dans ce dernier secteur ont été «brutales» avec la mise au rancart de 11 des 25 avions-cargos de la compagnie. Ses effectifs totaux auront été réduits de 10 % entre septembre 2008 et mars 2011.

La situation s'améliore aujourd'hui petit à petit. La reprise est encore lente et incertaine en Europe et en Amérique du Nord, contrairement à l'Asie où l'augmentation du trafic aérien est deux fois forte que son rythme de croissance économique déjà ahurissant.

Invité à présenter un discours devant la Chambre de commerce française au Canada à l'occasion du 60e anniversaire de la première liaison effectuée par Air France entre Montréal et Paris, Pierre-Henri Gourgeon a dénoncé hier la concurrence déloyale exercée par les compagnies carburant aux pétrodollars. «Le soutien de leurs gouvernements leur permet d'offrir des tarifs totalement en dehors de ce que nous pouvons faire.» Il cite l'exemple du transporteur Emirates, de Dubaï, qui a passé la commande de 90 appareils A380, soit exactement le double du total des géants européens Air France-KLM, British Airways et Lufthansa.

En entrevue, il a dit craindre également les dérapages de gouvernements trop facilement portés à s'en prendre à l'industrie aérienne dans leur lutte contre les gaz à effet de serre. «La solution facile est de taxer. Le problème, c'est que, contrairement aux automobilistes, on ne dispose pas vraiment d'alternative. On n'a pas d'avions électriques. On ne peut pas dire que les constructeurs font des efforts extraordinaires», se désole-t-il. Puis, après y avoir pensé: «une chose que l'on peut faire, toutefois, c'est de remplacer deux petits avions par un gros, comme l'A380».

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