L'analphabétisme financier des jeunes compromet leur avenir

La décision du gouvernement Charest d'abolir l'unique cours d'économie du programme scolaire secondaire n'était pas une décision judicieuse, s'il faut en croire les nombreux intervenants qui ont participé aux rencontres organisées par le Groupe de travail sur la littératie financière mis sur pied par Ottawa. Selon ce qui se dégage du Sommaire sur les consultations publiques rendu public hier, il faudrait plutôt accroître l'enseignement dans ce domaine pour améliorer les connaissances des plus jeunes, soumis à un discours publicitaire qui favorise la consommation effrénée.

«Les participants étaient d'avis que l'acquisition de compétences financières de base revêt une importance de plus en plus grande pour tous les Canadiens, vu la grande disponibilité du crédit et la nécessité d'y avoir accès à un âge de plus en plus jeune, la complexité croissante des produits financiers et les conséquences à long terme des erreurs financières, qui pourraient être très graves», peut-on lire dans ce document d'une soixantaine de pages.

Surtout, ont insisté la très vaste majorité des participants, l'enseignement en littératie financière «devrait se donner tout au long de l'enseignement primaire et secondaire, et de nombreux participants ont souligné l'importance d'utiliser des matériels pédagogiques correspondant à l'étape du vécu des étudiants».

«Certains participants ont dit que l'enseignement financier devrait constituer une discipline autonome», a expliqué hier L. Jacques Ménard, vice-président du groupe mis sur pied en juin 2009, dans la foulée de la crise économique. Québec a aboli le cours qui se donnait auparavant en 5e secondaire, soulignant que le contenu de celui-ci était enseigné dans le cadre d'autres matières. Une décision qu'a déplorée M. Ménard, président pour le Québec de BMO Groupe Financier. «C'est contre-intuitif de retirer les cours qui sont censés outiller les jeunes», a-t-il affirmé.

Il faut dire que les jeunes sont sollicités de plus en plus tôt par le discours publicitaire. Or, ils n'ont pas toujours les connaissances nécessaires pour comprendre, par exemple, les implications financières liées aux cartes de crédit. Qui plus est, les institutions financières facilitent l'accès à ces cartes. «Il y a des comportements de surconsommation dont l'industrie des services financiers est en partie responsable. La grande disponibilité du crédit sur demande a pour effet de créer bien souvent des habitudes d'emprunt chez les jeunes qui ne sont pas soutenables, surtout qu'ils n'ont souvent pas de revenus stables avant la fin de leurs études.» D'où, selon lui, la nécessité d'améliorer substantiellement les connaissances financières des adolescents.

«Défi d'épargne»

Plus largement, il existe un important «défi d'épargne dans l'ensemble de la société», a expliqué M. Ménard. Un défi qui se heurte à la réalité de notre économie capitaliste. «Il faut admettre que les efforts déployés dans le domaine de l'enseignement financier sont souvent neutralisés par les tendances très répandues dans notre société. Le discours publicitaire amène les gens à consommer plutôt qu'épargner. Je n'ai pas la naïveté de croire que nos moeurs vont complètement changer, mais il faudra se rappeler le guet-apens que représente ce genre de tendance si on ne ressaisit pas.»

Selon des données publiées la semaine dernière, les Canadiens sont en effet très endettés. Trois sur cinq auraient du mal à s'acquitter de leurs obligations financières si leur chèque de paie leur était remis une semaine plus tard. En d'autres termes, ils vivent d'un chèque de paie à l'autre. Cette situation est particulièrement ressentie par les plus jeunes travailleurs et, sans surprise, les familles monoparentales. Ainsi, 65 % des travailleurs âgés de 18 à 34 ans seraient en position précaire s'il leur manquait un seul chèque de paie, une augmentation de 30 % par rapport à l'an dernier.

Par ailleurs, près de la moitié des répondants n'économisent que 5 % ou moins de leur revenu net, alors que les experts en planification financière recommandent en général un taux de 10 % pour la retraite. Rappelons qu'entre 1990 et 2008, la croissance des dépenses des ménages a été deux fois plus rapide que celle de leurs revenus, tandis que la croissance de leur endettement a été six fois supérieure.

Une telle situation peut avoir des conséquences graves, selon ce qui ressort des 300 mémoires reçus par le Groupe de travail au fil de rencontres organisées dans 14 collectivités au Canada. Les participants ont indiqué que, dans des cas extrêmes, les personnes qui n'ont pas les connaissances financières voulues et qui prennent de mauvaises décisions peuvent en arriver à avoir de la difficulté à s'alimenter, se loger et se vêtir. De façon plus générale, les participants ont dit que les mauvaises décisions financières peuvent causer un stress psychologique qui peut, à son tour, se manifester par des problèmes de santé, l'échec du mariage et des difficultés au travail.

Maintenant qu'ils ont produit ce «Sommaire sur les consultations publiques», les membres du Groupe formuleront des recommandations directement au ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty. Leur rapport doit être terminé d'ici la mi-décembre. Le ministre conservateur dit vouloir utiliser le document pour mettre en place une «stratégie nationale visant à améliorer la littératie financière des Canadiens».

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