La taxe Tobin 2

Pour se protéger d'une nouvelle crise financière, certains pays, s'appuyant sur un avis du Fonds monétaire international, font circuler l'idée d'une taxe bancaire. Le gouvernement canadien, hôte d'un sommet du G20 le mois prochain à Toronto, a tout mis en œuvre pour essayer de tuer cette idée dans l'œuf. Portrait d'un débat au parcours sinueux.

La dernière fois qu'une taxe bancaire a fait l'objet d'un débat international, le Canada était, là encore, dans son petit coin. En 1999, la Chambre des communes avait appuyé, par 164 votes contre 83, l'idée d'une taxe sur les transactions financières, communément appelée taxe Tobin. Même le ministre fédéral des Finances, Paul Martin, avait soutenu la motion néodémocrate, estimant toutefois qu'une telle taxe serait trop peu élevée pour vraiment décourager la spéculation.

Le député Lorne Nystrom, responsable de la motion, s'était empressé de féliciter le ministre en espérant, pour la suite des choses, que Paul Martin allait maintenant se pointer aux sommets du G7 en claironnant l'initiative canadienne. «Ce que nous avons fait ici aidera à convaincre les gens partout dans le monde que leur gouvernement doit adopter une taxe Tobin», avait-il dit. L'Allemagne et les États-Unis, entre autres, ne voulaient rien savoir. Les temps ont changé...

Onze ans plus tard, l'actuel ministre des Finances est à l'avant-scène, mais pour d'autres raisons. En ce qui concerne l'idée d'une taxe bancaire pour constituer une réserve en prévision d'une nouvelle crise financière, Jim Flaherty est contre, contre, contre. Et ce, à un mois d'un sommet du G20 prévu à Toronto, où le Canada aura à croiser le fer avec plusieurs pays qui en veulent une, dont... l'Allemagne, les États-Unis et la France.

Solution facile


«Nous devons nous méfier des solutions faciles, comme une taxe sur les banques qui pénaliserait les institutions financières saines, comme celles du Canada, qui ont admirablement résisté à la crise pendant que de nombreuses autres ont fait faillite ailleurs dans le monde», a affirmé jeudi matin le ministre fédéral des Affaires étrangères, Lawrence Cannon.

La chancelière allemande, Angela Merkel, et la ministre française des Finances, Christine Lagarde, ne lésinent pas sur la pression. Si bien qu'elles entrevoient déjà un plan définitif d'ici le sommet de novembre 2010. «Je sais que Mme Merkel a fait ces déclarations, mais notre sherpa continue de travailler sur le plan politique pour trouver des solutions, a ajouté M. Cannon lors de sa conférence de presse à Montréal. Alors, on continue de travailler et le G20 se déroulera, comme vous le savez, à la fin du mois de juin.»

En fait, le débat a commencé bien avant 1999. Dès 1995, la taxe Tobin — ainsi nommée à cause de son idéateur, l'économiste américain James Tobin — faisait couler de l'encre au Canada. «À moins que la planète au complet soit prête à l'appliquer, ça ne va pas fonctionner parce que, quelque part, il y a un pays qui va trouver le moyen de s'en passer», disait alors Paul Martin.

De passage au pays, même M. Tobin, Prix Nobel d'économie en 1981, avait avoué que son idée n'allait emballer personne lors du sommet du G7 à Halifax en juin 1995 parce que les chefs d'État «n'ont pas la volonté politique» d'en faire la promotion. Alors âgé de 74 ans, il n'excluait pas que l'idée fasse du chemin... un jour.

Une double taxe


Ce jour, c'était le 16 avril 2010. Prié par le G20 de se pencher sur le sauvetage du secteur financier par les gouvernements et de trouver des façons de forcer l'industrie à y contribuer, le Fonds monétaire international (FMI) a publié une étude de 56 pages dans laquelle il propose rien de moins qu'un système de double taxation.

En gros, le FMI a imaginé que les institutions financières pourraient payer une taxe fixe — qui serait ajustée au fil du temps en fonction du risque systémique que présente chaque institution — en plus d'une taxe sur les profits. Alors que la première a été baptisée «contribution à la stabilité financière», la deuxième a été nommée «taxe sur les activités financières».

L'industrie bancaire a hurlé. «Quelle que soit la façon de les calculer, les taxes augmenteraient les revenus des gouvernements mais ne réduiraient pas le risque systémique. Ironiquement, elles pourraient augmenter ce risque du fait qu'elles donneraient naissance à une assurance qui couvrirait les banques en cas de comportement risqué», a écrit l'Association for Financial Markets in Europe, un important lobby dont le conseil d'administration est composé de dirigeants bancaires, de courtiers et de gros investisseurs.

Dans son étude, le FMI a estimé que les pays pourraient viser un objectif de récolter des sommes équivalant à 2-4 % de leur produit intérieur brut. Au Canada, par exemple, cela situerait le fonds quelque part entre 30 et 60 milliards. Parmi les inquiétudes, on fait valoir que les taxes ne viseraient pas tant à constituer une réserve pour l'avenir qu'à renflouer les coffres de certains gouvernements.

Le projet, du moins ce printemps, a donc mijoté sur le brûleur arrière. Lors de la réunion des ministres des Finances du G20, à Washington en avril, l'idée d'une taxe bancaire n'a même pas été mentionnée dans le communiqué final.

La proposition canadienne

Le gouvernement Harper, qui dit être en train de convaincre des «alliés» sans toutefois dire de quels pays il s'agit, a une solution de rechange. Il affirme qu'une taxe imposée aux banques serait automatiquement refilée aux consommateurs. L'idée qu'il fait circuler consisterait à forcer les banques à émettre des obligations qui, en cas de crise de liquidité, pourraient être converties en actions. «On ajouterait ainsi aux fonds propres de la banque sans recourir à l'argent des contribuables», a dit M. Flaherty lors d'un discours en Inde cette semaine.

La proposition du ministre Flaherty est en fait une idée qui est venue de Julie Dickson, qui dirige depuis 2007 le Bureau du surintendant des institutions financières. «Nous sommes en train de faire connaître cette proposition à mes collègues du G20, a dit M. Flaherty cette semaine lors d'une conférence téléphonique depuis l'Inde. Nous pensons que c'est la voie qu'il faut prendre.»

Selon Daniel Schwanen, économiste et directeur adjoint au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, les pays devront travailler particulièrement fort pour trouver un terrain d'entente. La position canadienne se tient, dit-il. Mais si jamais il acceptait l'idée d'une taxe, le pays pourrait faire valoir que son régime financier est peu risqué et que les institutions bancaires canadiennes n'ont donc pas à payer le même tarif que dans d'autres pays, où les gouvernements ont dû voler au secours d'institutions.

«Ce n'est pas impossible de s'entendre, mais ça va être extrêmement difficile, a dit M. Schwanen lors d'un entretien. Mettre quelque chose en place dans un pays ou un regroupement, comme l'Union européenne, va encore, mais dans 20 pays, ça prend un degré de coordination qui est presque aussi difficile que celui des négociations sur les changements climatiques.» À la différence, nuance-t-il, qu'il y a moins de pays concernés et qu'il y a un «élan politique».

Mais si un seul pays important ne veut pas mettre le plan en oeuvre, fait-il remarquer, on risque une fuite du capital vers ce pays. En effet, l'argent n'a jamais été aussi mobile. M. Schwanen a cependant signalé que tout n'est pas bloqué. Le Financial Stability Board, création du G20, a abattu beaucoup de travail en coulisse, notamment sur la rémunération.

Le FMI a lui-même fait allusion à ce besoin de ramer dans la même direction. «Une collaboration efficace ne requiert pas l'uniformité totale, mais un consensus large sur les principes, y compris les bases et les tarifs minimaux de la taxe fixe et de la taxe sur les activités financières, a écrit le FMI dans son rapport en avril. Des gestes posés de façon coopérative assureraient des conditions équitables pour tous, surtout pour les marchés étroitement liés, et faciliteraient la gestion de cas où des institutions ont des activités transfrontalières.»

Pour la suite, rendez-vous à Toronto, fin juin.

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