Les entrevues HEC Montréal - Décider grâce à la théorie des jeux dynamiques

Michèle Breton n'avait pas sitôt terminé ses études de maîtrise à l'École polytechnique en génie industriel qu'elle entreprenait des études pour obtenir un doctorat en informatique à l'Université de Montréal. Elle voulait ce diplôme de PhD parce qu'il en fallait un pour enseigner à l'université. Aujourd'hui, après une trentaine d'années d'une carrière de professeure et de chercheuse, elle constate encore qu'elle «aime beaucoup étudier» et à cet égard, on peut dire qu'elle est choyée. Ses intérêts de recherche ont comme noyau central la théorie des jeux dynamiques appliqués à des problèmes en gestion, principalement dans les domaines de la finance, de l'énergie et de l'environnement.
La théorie des jeux dynamiques n'a rien à voir avec les jeux de société, si ce n'est que c'est en s'intéressant à des jeux de société, notamment celui des échecs, que des mathématiciens ont prouvé des théorèmes qui sont à la base de cette théorie des jeux, laquelle est devenue une branche des mathématiques dans les années 1940. Essentiellement, cette théorie porte sur les interactions entre plusieurs décideurs impliqués dans des problèmes qu'ils ont ou auront à résoudre. Conformément à l'approche souvent privilégiée en recherche, Mme Breton décortique un problème complexe en le décomposant en sous-problèmes. C'est une démarche qui l'a finalement menée vers la modélisation de l'incertitude sur un horizon de temps plus long.«Les problèmes auxquels je m'intéresse sont toujours des problèmes qui évoluent dans le temps, que ce soit des décisions où il y a plusieurs intervenants dans un contexte d'incertitude — ce qu'on appelle des jeux stochastiques — ou encore des situations dynamiques de gestion, qu'il y ait de l'incertitude ou non. J'aime bien, en plus, qu'ils aient une dimension pratique: en quoi telle méthode d'optimisation est-elle pertinente? En quoi telle simulation peut-elle mener à une prise de décision? Comment appliquer tel modèle mathématique à une analyse de marché? C'est sans doute un vieux réflexe de ma formation d'ingénieure», écrivait-elle en 2001. Cette description demeure tout à fait valable en 2010, mais Mme Breton précise qu'elle n'agit en aucune façon comme consultante: «On écrit ces modèles pour les publier, pour échanger des idées et ça peut donner éventuellement des applications.»
Parmi les applications possibles, il y a celle de la restructuration d'une firme en détresse financière, incapable de rembourser ses dettes. Pour éviter la faillite, il y a l'option d'un processus de négociation entre les différents créanciers, les actionnaires et les gestionnaires, ce qui donne lieu à une succession de jeux hiérarchisés entre ces trois groupes. Chaque joueur cherche à maximiser la part qu'il lui reviendra. À défaut d'entente, un juge décidera du partage.
L'Organisation des pays producteurs de pétrole est également un praticien de la théorie des jeux dynamiques. Ces pays conviennent d'abord d'un prix commun du pétrole, mais il arrive parfois que certains d'entre eux s'en écartent. Dans une telle démarche d'enjeux stratégiques, les joueurs doivent constamment s'ajuster dans le temps à des conditions changeantes pouvant aussi bien être suscitées par des pays producteurs que par des clients.
Mme Breton, avec d'autres collègues et des étudiants de niveau supérieur, travaille aussi sur des modèles concernant des ententes sur la protection de l'environnement. Comment des coalitions en arrivent-elles à se former à propos d'un accord comme celui de Kyoto? Pourquoi des gens vont-ils accepter d'être signataires d'une entente et décider de s'en écarter par la suite? Tout cela se fait dans un contexte dynamique. Comment peut-on prévoir les réactions et comment peut-on mesurer la solidité d'une entente intervenue, par exemple, entre des regroupements de pêcheurs qui, devant la menace de la disparition d'une espèce, décident de s'imposer des quotas de pêche? «Tout le monde est intéressé à ce que la pollution baisse, mais tout le monde est encore plus intéressé à ce que ce soit le voisin qui fasse le travail. C'est l'intérêt de beaucoup de monde d'avoir un accord et de ne pas en faire partie. Ce sont des problèmes intéressants, surtout dans un contexte dynamique. Nous essayons de comprendre un peu comment cela fonctionne et nous faisons des modèles mathématiques, pas très complexes», explique Mme Breton qui travaille à développer des algorithmes de calcul qui vont plus vite et qui sont plus précis, pour diverses applications, notamment dans des évaluations d'actifs, plus précisément des évaluations d'options implicites portées par des obligations. Ce sont des options qui peuvent être vendues, achetées et dont la valeur varie selon un taux aléatoire. L'exercice d'une option par l'un des joueurs détruit celles qui sont détenues par l'autre.
Mme Breton, avec d'autres collègues et des étudiants de niveau supérieur, travaille aussi sur des modèles concernant des ententes sur la protection de l'environnement. Comment des coalitions en arrivent-elles à se former à propos d'un accord comme celui de Kyoto? Pourquoi des gens vont-ils accepter d'être signataires d'une entente et décider de s'en écarter par la suite? Tout cela se fait dans un contexte dynamique. Comment peut-on prévoir les réactions et comment peut-on mesurer la solidité d'une entente intervenue, par exemple, entre des regroupements de pêcheurs qui, devant la menace de la disparition d'une espèce, décident de s'imposer des quotas de pêche? «Tout le monde est intéressé à ce que la pollution baisse, mais tout le monde est encore plus intéressé à ce que ce soit le voisin qui fasse le travail. C'est l'intérêt de beaucoup de monde d'avoir un accord et de ne pas en faire partie. Ce sont des problèmes intéressants, surtout dans un contexte dynamique. Nous essayons de comprendre un peu comment cela fonctionne et nous faisons des modèles mathématiques, pas très complexes», explique Mme Breton qui travaille à développer des algorithmes de calcul qui vont plus vite et qui sont plus précis, pour diverses applications, notamment dans des évaluations d'actifs, plus précisément des évaluations d'options implicites portées par des obligations. Ce sont des options qui peuvent être vendues, achetées et dont la valeur varie selon un taux aléatoire. L'exercice d'une option par l'un des joueurs détruit celles qui sont détenues par l'autre.
Il n'est vraiment pas facile de comprendre comment, par des modèles mathématiques, on peut en arriver jusqu'à un certain point à mesurer le comportement humain. Mme Breton souligne que la théorie des jeux dynamiques permet d'illustrer des enjeux stratégiques qui contiennent des possibilités de réplique et de proposer ensuite des modèles qui aident à comprendre comment régler des équilibres. «La recherche ne consiste pas toujours à dire aux gens quoi faire, mais c'est aussi expliquer ce qui motive les gens. Nous sommes tous motivés par des objectifs. Si je suis capable de comprendre ce qui vous motive, je peux prévoir comment vous allez agir. Ça peut être l'argent, mais pas nécessairement. Mesurer des intérêts divergents et faire un arbitrage. Ce peut être ça», explique-t-elle.
Est-ce que l'exactitude de ces modèles se vérifie dans la réalité? Mme Breton répond qu'elle le fait dans le secteur financier, en mesurant la durée des négociations, combien de firmes ont été liquidées et combien se sont restructurées. «Notre modèle est assez bon», affirme la chercheuse.
Et quels sont les travaux à venir? Elle commence un projet portant sur le fonctionnement des syndicats financiers. Souvent, des institutions financières se regroupent pour recueillir d'importants capitaux qui seront prêtés et investis dans une société. L'une de ces institutions agit comme chef du syndicat. Mme Breton veut savoir qui fait quoi dans un tel syndicat; comment celui-ci est-il surveillé; qui est le chef et garde-t-il les prêts de meilleure qualité pour lui? Pourquoi d'autres institutions participent-elles à ce syndicat? Et bien sûr, quels sont les jeux de coalition qui s'organisent?
Tous les lecteurs qui ont le goût du jeu au casino ou ailleurs voudront savoir si la théorie des jeux dynamiques offre des recettes pour gagner. La réponse est claire et nette: «Il n'y a pas de système pour gagner tout le temps à la loterie. C'est mathématiquement prouvé.»
Au cours des 10 dernières années, Michèle Breton a participé à au moins sept projets de recherche qui ont reçu des subventions, dont un l'an passé pour la création du Laboratoire de calcul et d'exploitation de données à HEC, projet qu'elle a piloté et dont elle est la directrice. Ce laboratoire abritant des serveurs et des postes de travail dont profiteront les professeurs et les étudiants de 2e et 3e cycles servira à de nombreux travaux de recherche, notamment de type multidisciplinaire. L'an dernier, également, Mme Breton a été élue à la Société royale du Canada.
***
Collaborateur au Devoir