«Maîtres chez nous» - On souhaitait transformer ici le minerai de fer de la Côte-Nord...

Le chantier de Manic-5 au milieu des années 1960
Photo: Archives Le Devoir Le chantier de Manic-5 au milieu des années 1960

Mis en place dans les années 60, l'interventionnisme de l'État, qu'on connaît bien aujourd'hui, fut perçu comme le moyen privilégié pour assurer le développement de l'économie du Québec, qui tirait de l'arrière par rapport à ses voisins. Il s'agissait aussi et surtout de permettre aux Canadiens français, comme on les appelait encore à l'époque, de prendre leur place dans l'économie du Québec, de les affranchir de la domination économique qu'exerçaient Canadiens anglais et Américains.

Quand Maurice Duplessis est mort en 1959, le Québec était un royaume de l'entreprise privée, mais les Québécois francophones étaient pratiquement absents des postes de commande dans tous les secteurs de l'économie, à l'exception du commerce et de la finance, où leur présence n'était toutefois pas dominante.

Une économie controlée de l'extérieur

Selon une étude publiée en 1974 par l'économiste André Raynauld, quand on tient compte de leur valeur ajoutée, seulement 10 % des entreprises manufacturières appartenaient à des chefs d'entreprise francophones. Les Canadiens anglais, du Québec mais aussi de l'Ontario, contrôlaient 44 % de l'industrie, et les étrangers, essentiellement des Américains, le reste, soit 46 %.

À l'exception du Crédit agricole, seulement deux sociétés d'État étaient actives dans la sphère économique avant les années 60. La Société des alcools du Québec fut fondée en 1921 pour exercer le monopole du commerce des boissons alcoolisées. L'établissement de ce monopole n'avait cependant rien à voir avec le développement économique et relevait plutôt de l'ordre de la moralité publique. Puis, Hydro-Québec a vu le jour en 1944 sous le gouvernement libéral d'Adélard Godbout.

Ce n'est pas le développement économique qui a motivé la création d'Hydro-Québec, mais bien des considérations d'ordre social. Certaines compagnies d'électricité, notamment Montreal Light, Heat and Power, pratiquaient des tarifs d'électricité prohibitifs. Des dénonciations de la «politique des trusts», qui remontent jusqu'à 1925, ont conduit à la formation d'une commission d'enquête puis à la nationalisation de ces compagnies, un processus qui s'est étalé de 1944 à 1955 et qui a permis à Hydro-Québec de contrôler le tiers du marché de l'électricité au Québec.

Un des premiers gestes qu'a faits la nouvelle Hydro-Québec fut d'abaisser radicalement les tarifs d'électricité; des bas tarifs qui permettront plus tard de convaincre les Québécois des mérites d'étatiser la production et la distribution de l'électricité.

Changement de cap

En 1962, Jean Lesage remporte les élections générales sous le thème de la nationalisation de l'électricité, avec le slogan «Maîtres chez nous». Après l'acquisition des compagnies d'électricité privées, Hydro-Québec devient un symbole de l'émancipation économique des Québécois. Favorisant les fournisseurs québécois — c'était bien avant la signature de l'Accord de libre-échange nord-américain — la société d'État se lance dans le développement du potentiel hydroélectrique du Québec, des grands barrages de la Manicouagan aux centrales de la baie James.

Jacques Parizeau avait été mêlé de près au financement de l'achat des compagnies d'électricité, une opération à laquelle s'opposait le syndicat financier canadien-anglais A. E. Ames & Co, qui contrôlait alors les émissions d'obligations du gouvernement du Québec. C'est à New York, et avec une facilité qui l'a déconcerté, que le jeune Parizeau est allé chercher la première tranche de cet investissement. Cet épisode a galvanisé sa détermination à débarrasser le Québec de ce syndicat financier.

De cette détermination est née l'idée de créer la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui, forte des sommes consacrées au Régime des rentes du Québec récemment créé et aux fonds de pension des employés de l'État, allait agir comme «la banque du Québec».

La double mission de la Caisse, qui est de faire fructifier l'a-voir de ses déposants et de contribuer au développement économique du Québec, s'est traduite en 1965, l'année de sa fondation, par l'achat d'obligations du gouvernement du Québec. Plus tard, le gouvernement a permis à la CDPQ d'investir dans des actions d'entreprises, ce qu'elle a fait parcimonieusement jusqu'à la fin des années 70, puis beaucoup plus libéralement avec l'arrivée de Jean Campeau en 1980.

Aujourd'hui, même après les pertes faramineuses subies en 2008, la Caisse demeure un établissement solide qui cons-titue un puissant instrument économique.

Des pertes

C'est en 1962 que le gouvernement Lesage fonde la Société générale de financement (SGF), qui, à l'origine, était une société mixte (à capital public et privé) et qui agissait comme une banque d'affaires en prenant des participations dans des entreprises mais aussi en leur accordant des prêts. Cette activité de prêteur sera reprise par la Société de développement industriel (SDI), fondée en 1971, aujourd'hui devenue Investissement Québec. Encore là, l'objectif était de structurer le tissu industriel à propriété québécoise à l'aide des leviers de l'État.

Mais, comme la SGF a surtout investi dans des sociétés en difficulté ou dans des projets qui ont mal tourné, les pertes se sont accumulées. On se souviendra entre autres de Soma, une usine d'automobiles lancée avec Renault, un gouffre financier. En 1972, le gouvernement a racheté les intérêts privés pour faire de la SGF une société d'État à part entière. Son mandat est modifié pour axer son développement sur des initiatives conjointes avec des entreprises étrangères.

En 1964, le gouvernement Lesage a fondé Sidbec (Sidérurgie du Québec). Les ambitions étaient grandes au moment de sa création. On visait à contrer l'avantage de prix dont jouissait l'Ontario dans la production d'acier. On souhaitait aussi transformer ici le minerai de fer de la Côte-Nord qui était intégralement exporté aux États-Unis par les entreprises américaines qui en assuraient l'extraction. Pour ce faire, on projetait de construire un immense complexe sidérurgique à Bécancour.

Mais, en 1968, on a abandonné ce grand rêve pour se rabattre sur l'achat de l'aciérie Dosco à Contrecoeur. Sidbec-Dosco a accumulé de lourdes pertes au fil des ans, soit près d'un milliard de dollars, selon des chiffres compilés au début des années 90.

Sur la lancée

Le gouvernement Lesage était convaincu que l'intervention de l'État était nécessaire pour stimuler l'exploitation des ressources naturelles. On estimait que les entreprises canadiennes-anglaises et étrangères, qui dominaient ce secteur de l'économie, se souciaient peu du développement à long terme. On a donc mis sur pied en 1965 la Société d'exploration minière (Soquem).

Poursuivant sur cette lancée, les gouvernements unionistes Johnson et Bertrand ont créé la Société québécoise d'initiatives pétrolières (Soquip) et la Société d'exploitation, de récupération et de développement forestier (Rexfor).

À ces initiatives se sont ajoutés des investissements désastreux, comme la prise de contrôle de Québecair et le gouffre de la nationalisation de l'amiante sous le chapeau de la Société nationale de l'amiante (SNA), deux décisions du gouvernement Lévesque.

Le bilan de cet interventionnisme de l'État, dont on peut dire qu'il n'est guère à la mode aujourd'hui, n'est ni noir, ni blanc. L'engagement de l'État a permis l'émergence du Québec Inc. et d'une classe «managériale» qui n'existait pas au Québec avant 1960. La Soquip n'a jamais trouvé de gisements d'importance, mais ses travaux ont préparé les découvertes d'aujourd'hui. La Caisse de dépôt, malgré des investissements discutables et l'énorme perte essuyée en 2008, demeure un établissement indissociable du Québec moderne. À elle seule, Hydro-Québec a créé une immense valeur collective tout en appuyant la formation des grandes firmes québécoises de génie-conseil.

On aurait du mal à imaginer le Québec sans ces grandes réalisations de la Révolution tranquille.

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