Le Québec se construit - Un avenir radieux?

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Il faut faire preuve d'une bonne dose d'optimisme pour prédire que l'avenir de ce coin de continent habité par une majorité francophone brillera toujours comme étoile au firmament de l'économie mondiale dans vingt-cinq ans.

En cette veille de la deuxième décennie du siècle, les problèmes et les défis à relever pour les surmonter sont aussi nombreux que complexes, et personne ne peut prévoir si les gestes faits suffiront pour garder le Québec dans l'orbite des nations les plus avancées de la planète. N'empêche que cet optimisme et la détermination qui l'accompagne constituent bien la seule attitude susceptible de motiver les troupes!

Qui aurait dit, à la veille de la dure récession qui a frappé la planète depuis 2008, que le Québec s'en tirerait sans plus de dégâts avec un taux de chômage de 8 %, soit la meilleure performance de son histoire contemporaine en pareilles circonstances? Selon les données compilées par l'Institut de la statistique du Québec, la province a subi une perte nette de 37 000 emplois au cours de cette crise, soit 1 % de sa main-d'oeuvre, comparativement à 101 000 en 1991-1992 et à 151 000 (-5,4 %) en 1982.

Malgré les crises successives qui ont décimé son industrie forestière depuis quinze ans, malgré la perte du statut de métropole financière du Canada, malgré la concentration des centres de recherche fortement subventionnés du côté ouest de la frontière ontarienne et malgré la perte de centaines de milliers d'emplois dans tous les secteurs manufacturiers traditionnels, l'économie québécoise tire honorablement son épingle du jeu dans un monde impitoyable.

Comme les textes de ce cahier spécial le montrent, plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, dont la diversification, l'importance de la PME, la disponibilité du capital de risque et, devons-nous ajouter, la présence active de l'État.

Un État très actif

Dénoncé par certains comme le signe d'un manque de dynamisme économique, cet interventionnisme étatique plus fort ici qu'ailleurs au Canada n'en est pas moins central pour la compréhension du développement endogène du Québec. Sans les dizaines de milliards investis par les trois ordres de gouvernement, municipal, fédéral et surtout provincial via les sociétés d'État comme Hydro-Québec, sans l'important réseau de services publics universels dont l'activité régionale constitue une forme de redistribution systémique du pouvoir d'achat et de l'emploi, il y a fort à parier que la crise qui a frappé si durement plusieurs États nord-américains aurait causé beaucoup plus de dommages au Québec.

Personne n'avait prévu que le Québec, que l'on dit surtaxé et dont la trame industrielle traditionnelle a été bouleversée par l'ouverture des marchés, réussirait à surmonter ses handicaps tout en améliorant sa position au chapitre de l'emploi.

De ces observations, on peut tirer quelques leçons, dont la première est qu'il ne faut jamais prendre pour vérités les déclarations des prophètes de malheur. Au cours des vingt dernières années, plus d'un économiste, journaliste ou homme d'affaires a tenté de convaincre le bon peuple qu'il avait tout faux, que le seul modèle économique porteur d'avenir était celui du laisser-faire assorti d'un affaiblissement du rôle des États, perçus comme des empêcheurs de tourner en rond et des vampires assoiffés d'impôts.

Or l'histoire économique contemporaine nous enseigne que l'État n'est pas moins utile au progrès social et économique des nations que ne le sont les entreprises de production de biens et services, en plus d'agir à titre de régulateur indispensable en temps de crise. Sans les centaines de milliards de fonds publics injectés par les gouvernements du monde entier, dont les États-Unis et l'Angleterre, ces bastions du libéralisme, les plus grands établissements financiers se seraient écroulés et auraient entraîné la planète entière dans leur chute.

Dans ce Québec largement épargné par la crise financière mondiale, c'est aussi grâce aux interventions massives des gouvernements que la structure économique n'a pas été davantage affectée.

La productivité d'abord

Toutes les études le soulignent: la première source de développement des nations est l'amélioration constante de la productivité de leurs entreprises. Et, il faudrait ajouter, que ces entreprises soient de propriété publique ou privée.

Lors d'un récent exposé fait devant l'Ottawa Economic Association, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a lancé un vibrant appel aux entrepreneurs pour qu'ils investissent dans leurs installations afin d'accroître la productivité. Au cours des dix dernières années, a rappelé M. Carney, la productivité a crû à un rythme annuel d'à peine 0,7 %, soit la moitié du taux enregistré en moyenne pendant les vingt années antérieures.

Les milieux d'affaires ont tendance à accuser les gouvernements d'être responsables d'une telle situation. Pourtant, jamais la fiscalité n'a été aussi favorable à l'investissement que depuis quelques années au Canada, reconnaît le gouverneur Carney, et encore plus au Québec, qui est devenu le champion en la matière.

Les seuls responsables d'une situation aussi déplorable, ce sont les entreprises elles-mêmes qui ont visé le rendement à court terme aux dépens du réinvestissement pour l'avenir.

Cela dit, les efforts de ces mêmes gouvernements sont beaucoup moins concluants lorsqu'il est question de leur propre productivité. À titre d'exemple, une enquête récente du réseau TVA nous a appris que le ministère de la Santé du Québec avait laissé croître le nombre de ses cadres de 20 % depuis 2003! Comment expliquer une telle explosion de la bureaucratie dans un réseau qui manque si cruellement de personnel de première ligne?

Ce cas n'est pas unique et alimente la critique contre l'intervention de l'État. En fait, ce qui nuit à l'efficacité, ce n'est pas cet État duquel on attend une gamme toujours plus étendue de services partout sur le territoire, mais sa trop faible productivité.

Si le Québec, son gouvernement et l'ensemble de ses employés prenaient le virage de la productivité et de la lutte contre le gaspillage des ressources tant financières qu'humaines au sein de chaque ministère, de chaque établissement et de chaque société d'État, les Québécois pourraient prétendre à une amélioration de leur niveau de vie caractérisée par une qualité accrue des services attendus du secteur public. D'ailleurs, sans une telle offensive, toute tentative d'augmentation des tarifs destinée à équilibrer les finances publiques sera perçue comme une solution de facilité, voire comme un vol pur et simple!

Avec la diminution du nombre des travailleurs actifs qui se profile à l'horizon, ce défi de la productivité apparaît comme le plus important pour le secteur privé et pour le secteur public, mais aussi le plus difficile à relever.

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Collaborateur du Devoir

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