Portrait - Leaders en formation

«Nous, on n'a pas peur de l'humain, des notions de pouvoir, d'autorité, d'agressivité, etc. Notre rôle n'est pas de couper, mais de réinventer. En travaillant avec les humains, on fait des organisations fortes. Notre mission est de mettre l'individu au centre de l'organisation, pour que les personnes aient la capacité de se développer au fil de leur carrière.» Quand elle dit «nous», Chantale Boutin, présidente-directrice générale du Groupe-conseil CFC depuis l'an passé, parle bien sûr de cette entreprise qui, bien que petite (80 employés), est devenue en moins d'un demi-siècle une institution dans le monde québécois des affaires. La citation extraite d'une longue entrevue avec la p.-d.g. montre que CFC n'hésite pas à aller au fond des choses.
En 1963, des finissants en relations industrielles à l'Université Laval formaient l'Association professionnelle des industriels, dans le but de proposer aux entreprises des modèles québécois de management, au lieu de toujours importer les modèles américains. Il y eut d'abord la présentation de séminaires sur les aspects humains du management puis, quelques années plus tard, les services-conseils en développement organisationnel.En fait, CFC (Centre de formation et consultation) a suivi l'évolution des entreprises: la vague d'industrialisation des années 1960, ensuite l'accent sur la productivité et la qualité totale dans les années 1980. Au cours de la décennie suivante, l'accent a porté sur la psychologie industrielle et l'optimisation des processus d'affaires, puis sur les nouvelles technologies d'affaires. On en est maintenant à la gestion du changement continu dans les technologies et les communications.
CFC peut jouer un rôle auprès des organisations, de leurs dirigeants à tous les niveaux et des employés en général, y compris les syndicats, dont ceux-ci font partie. Il présente sa mission dans les termes suivants: aider les organisations à améliorer leur performance et leur compétitivité par la transformation de leur culture, le développement de leur management, la maîtrise de leurs façons de faire et la valorisation de leurs ressources humaines.
Les interventions de CFC se font de multiples façons: agir comme conseiller, donner des cours de formation et faire du coaching, c'est-à-dire accompagner le président ou d'autres cadres supérieurs d'une entreprise pour parler «dans un lieu dédouané» de façon ouverte des problèmes qui existent. C'est une façon de sortir un président de la solitude dans laquelle il doit forcément remplir son mandat: «Les p.-d.g. veulent avoir deux ou trois coups d'avance dans leur organisation. Ils ont besoin de verbaliser leurs forces et leurs faiblesses, de faire un diagnostic sans filtre pour faire le point et prendre un peu de recul. C'est une façon aussi d'échanger sur la lecture qu'ils peuvent faire de leur organisation et des marchés.»
Dans une perspective psychologique, on peut se demander ce qu'est un leader. La réponse de CFC est la suivante: «Le principal outil, c'est toi, et le reste provient de ce que tu y auras ajouté, un MBA par exemple, ou d'autres connaissances universitaires, professionnelles et humaines.»
Le leader à l'école
On sait que la partie droite du cerveau régit l'intuition et l'empathie, alors que la partie gauche concerne tout ce qui est rationnel et formel. «Le leader doit faire appel aux deux côtés», explique Mme Boutin, comme entrée en matière d'un grand programme de formation que CFC a mis au point depuis 30 ans.
À raison d'une semaine trois fois par année,
20 leaders d'entreprises diverses se réunissent avec un spécialiste de CFC qui agit comme animateur. Ce programme comporte trois niveaux et s'étend sur trois ans. Au premier niveau, il s'agit de se connaître soi-même, de bien identifier ses forces et faiblesses. «On travaille sur l'authenticité de la personne, pour qu'elle soit vraiment elle-même et se développe à partir de ça.» Au deuxième niveau, le participant est mis dans une situation d'autorité, pour voir quelles sont ses relations avec les autres. Il y a donc une dynamique qui est étudiée. Au troisième niveau, on crée une entreprise (toujours dans le cadre du programme) et on vérifie les capacités et l'efficacité de chacun comme agent de mobilisation, en tenant compte d'une mission, d'une vision, de valeurs et d'une orientation stratégique.
Ce programme est en somme un vaste laboratoire auquel participent 60 employés, soit 20 par année. Ceux de la première année sont «coachés» par ceux de la deuxième. Enfin, au troisième niveau, on fait de «l'inter-coaching», c'est-à-dire qu'on obéit aux directives des uns ou on les impose aux autres. Tous les matins, les 60 leaders des trois niveaux se retrouvent ensemble pour travailler sur des projets, pour acquérir le goût de faire des changements. «Ce programme, qui a traversé les modes, vise à former des leaders qui atteignent des résultats durables», fait valoir Mme Boutin.
Un talent inné ?
Le leadership est-il un talent naturel? La présidente de CFC répond qu'il y a deux types de leaders. Certains manifestent un leadersphip très fort qui est flamboyant. Dans le noyau du milieu, on retrouve «des gens qui sont bien alignés, qui ne deviennent pas malades et qui savent conduire l'équipe à des résultats durables sans faire de cadavres.»
Évidemment, il y a différents types de «cadavres». Il y a ceux qui tombent malades ou qui souffrent d'épuisement professionnel, mais qui ne se rendent pas nécessairement jusqu'au suicide, comme cela s'est vu à France Télécom. Selon Mme Boutin, ce n'est pas tout de travailler fort pour atteindre de meilleurs résultats, il faut travailler en comprenant le sens de ce qu'on fait, ce qui n'exclut pas la nécessité de la performance ou du savoir-faire. Cependant, «plus il y a de sens, plus il y a de mobilisation et plus la performance apparaît», constate-t-elle.
La mobilisation de tous les employés devient un atout majeur dans le contexte du vieillissement de la population ou de tout grand projet de transformation d'une entreprise, ce qui comprend les fusions et les acquisitions. «Il faut développer une stratégie pour répondre aux besoins du marché, mobiliser les gens pour répondre aux besoins du plan d'affaires. Étant donné la pénurie du personnel, il faut investir dans le personnel qu'on a déjà», ajoute-t-elle. Comment faire avec de nouvelles générations qui veulent accorder autant d'importance à leur vie personnelle qu'à leur vie professionnelle? «Il faut réinventer de nouvelles façons de travailler, pas travailler moins fort, mais différemment.»
Syndicats
Mme Boutin mentionne que les relations syndicales jouent un rôle majeur dans les nouvelles relations de travail, qui doivent être basées sur la confiance et le partenariat. CFC travaille d'ailleurs autant avec les instances syndicales qu'avec le patronat, à la condition qu'il y ait au préalable une paix sociale dans l'entreprise. CFC, qui compte des spécialistes jouissant d'une crédibilité tant auprès des patrons qu'auprès des syndicats, peut jouer un rôle de prévention et n'intervient pas dans les situations de conflit.
CFC compte une centaine de clients, tous dans de grandes organisations, comme Rio Tinto Alcan, Bombardier, Hydro-Québec, la SAQ, les ministères. En 2003, l'ancien p.-d.g., Michel Gendron, visait une croissance de 60 % dans les trois années suivantes, en pensant au vaste programme de réingénierie dont parlait le nouveau gouvernement Charest. Cela ne s'est pas concrétisé, de sorte que CFC se retrouve aujourd'hui avec à peu près le même chiffre d'affaires qu'il y a sept ans, soit 10 millions. L'entreprise emploie environ 80 personnes, dont 60 permanents.
Pour sa part, la première femme à la tête de CFC a eu un parcours plutôt singulier. Détentrice d'un bac en sciences humaines, elle était affectée à l'éducation des adultes au cégep de Saint-Jérôme, à l'époque de l'expropriation des terrains de Mirabel, sur lesquels se trouvait le Manoir Saint-Sulpice, offert au cégep. On lui a demandé de trouver une vocation à ce manoir, qui en 1989 est ainsi devenu le premier centre en gestion environnementale au Québec. Ce fut pour elle une réorientation de carrière qui l'a conduite à la Société Angus et chez SNC-Lavalin, où elle fut directrice de projets de spécialiste en gestion et en formation. Elle est arrivée chez CFC en 2000 et est devenue rapidement l'une des 16 associées et propriétaires.
***
Collaborateur du Devoir