La critique mordante de Jeffrey Sachs - La bourse ou la vie?

Jeffrey Sachs
Photo: Jeffrey Sachs

Le Sommet du millénaire de Montréal s'est ouvert hier par des discussions entre spécialistes du développement international et de l'action communautaire. Parmi ceux-ci, l'économiste américain Jeffrey Sachs a dressé un portrait sans complaisance des politiques menées en Occident au cours des 30 dernières années.

En décembre dernier, les cadres de la banque d'investissement Merrill Lynch, techniquement en faillite et renflouée par le Trésor américain, se sont partagé des primes totalisant quatre milliards de dollars. «C'est une somme à peu près égale à tout le budget de l'aide américaine destinée à 800 millions de personnes en Afrique», s'insurge l'économiste Jeffrey Sachs, professeur à l'Université Columbia et conseiller spécial auprès du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, Ban Ki-moon.

M. Sachs était hier midi le conférencier principal au Sommet du millénaire de Montréal, un événement destiné à garder présents dans les esprits les objectifs en matière de développement humain que l'ONU s'était fixés en l'an 2000.

Plan réalisable

Malgré la crise économique actuelle et le retard pris depuis neuf ans, l'économiste croit que ces huit cibles demeurent «tout à fait réalisables» à l'horizon de 2015.

Et la fatigue des contribuables en période d'argent rare?, avons-nous demandé. «Si le président des États-Unis ou le premier ministre du Canada montraient sur un même tableau les sommes considérables qui sont consacrées aux plans de stimulation économique et les petites sommes qui vont à l'aide au développement, les gens comprendraient que nous ne parlons pas d'un plan de sauvetage de 700 milliards pour l'Afrique, mais de quelques milliards qui ont été promis et qui n'ont pas été livrés», a répondu Jeffrey Sachs.

«Le coût de ce que nous avons promis de faire — qui sauverait des millions de vies et améliorerait celles de centaines de millions d'autres personnes — est une petite fraction de ce que nous dépensons actuellement en plans de sauvetage», a-t-il ajouté.

Dans son allocution, M. Sachs a enjoint les pays riches de remplir leur promesse, faite en 2005 au sommet du G8 à Gleneagles, de doubler en 2010 leur aide aux pays les plus pauvres. Un engagement qui a été réitéré au récent G20 de Londres. «Le sommet du G8 l'an prochain au Canada sera critique, a noté l'économiste. Si nous ne pouvons pas tenir cette promesse, ce ne sera plus la peine d'organiser de telles rencontres.»

La crise

M. Sachs a dit voir dans la crise actuelle plus qu'un simple ralentissement économique. «On sent que les postulats auxquels notre société a cru pendant une génération nous ont menés à une série de crises qui semblent empirer.»

Au-delà des «accidents» ou des «erreurs» commises à Wall Street, l'économiste croit que nous sommes enfin confrontés à «des problèmes qui ont pris de l'importance, mais que nous aurions dû voir» depuis longtemps. Des problèmes «interconnectés d'instabilité, d'injustice grotesque» et de gestion sociale et environnementale à courte vue.

Pour Jeffrey Sachs, cette situation s'explique au moins en partie par le fait que «l'industrie financière a pris le contrôle du gouvernement alors que ce dernier aurait plutôt dû la réglementer». «Je dirais que la politique américaine a été menée en faveur des riches pendant 30 ans. Non seulement Ronald Reagan a pris le pouvoir en disant que le gouvernement était le problème, mais il s'est moqué des pauvres.»

«Quelques gestes positifs» ont tout de même été faits pendant cette période d'«irresponsabilité», a noté Jeffrey Sachs: l'adoption de conventions internationales sur les changements climatiques, la biodiversité et la désertification, et l'adoption des Objectifs de développement du millénaire.

«La question est de savoir si nous avons encore assez d'intégrité comme société pour agir», a dit Jeffrey Sachs.

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