Portrait - LM Sauvé ou les aléas d'une petite entreprise familiale en transition

Paul Sauvé: «On n’a pas froid aux yeux»
Photo: Pascal Ratthé Paul Sauvé: «On n’a pas froid aux yeux»

De justesse, l'entreprise familiale LM Sauvé a évité la faillite l'an passé, mais Paul Sauvé est loin d'avoir fermé le dossier de l'Église unie St. James et de ses dépassements de coûts des travaux de restauration. Selon lui, le gouvernement du Québec se lave les mains d'une part de sa responsabilité à cet égard et pourrait encore faire l'objet de poursuites judiciaires.

«Mon père est un bagarreur professionnel et, après 56 ans dans le monde de la construction, où il est très difficile d'évoluer, on a tenu le cap. On n'a pas froid aux yeux», affirme Paul Sauvé, âgé de 41 ans et qui est maintenant l'unique propriétaire de l'entreprise fondée par son père Maurice en 1954. Toutefois, les racines de cette entreprise familiale remontent au grand-père, qui avait été chef maçon à l'oratoire Saint-Joseph à l'époque du frère André. Le fils Maurice avait ensuite opté pour une carrière dans un secteur prétendument moderne chez Northern Electric, mais il est revenu dans le sillage familial en fondant en 1954 une entreprise baptisée Step by Step pour faire de la sous-traitance dans des compagnies d'origine écossaise très actives alors dans les gros chantiers à Montréal.

En 1964, dans le courant de la Révolution tranquille, l'entreprise a pris le nom de LM Sauvé et a employé au cours de cette décennie jusqu'à 360 maçons, qui travaillaient dans divers projets de construction (usines de pâtes et papiers, base navale, etc.), des Maritimes jusqu'à l'État de New York. L'entreprise a pu compter aussi sur des contrats des gouvernements Lesage, Bourassa et Lévesque, à la Baie-James, au Stade olympique et dans de nombreux hôpitaux.

Alors que son frère poursuivait des études pour devenir docteur en économie et professeur à Harvard et que sa soeur se tournait vers l'histoire de l'art, Paul a pour sa part quitté l'école avant de terminer sa 5e secondaire. Son adolescence a été plutôt turbulente, mais il s'est ressaisi dès l'âge de 17 ans. Pour bien le remettre en contact avec le monde réel, son père l'a envoyé nettoyer des blocs de béton à Saint-Léonard. Il a aussi été camionneur.

Ce fut ensuite la reprise des études, un bac en administration, suivi d'un stage très enrichissant à l'institution Conservation des monuments historiques de France, dotée d'un budget annuel d'un milliard pour des travaux dans des châteaux forts, des cathédrales et de petites églises de campagne. Revenu au Québec, il s'est découvert un grand plaisir à être contremaître d'équipe. Il a voulu acquérir de l'expérience au sein d'une grande entreprise en allant travailler chez Lavalin pour des projets urbains, comme celui de la Place-Royale à Québec; aussi pour se familiariser avec la préparation de plans et devis, établir des coûts et s'imprégner du sens de l'entrepreneuriat des frères Lamarre.

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Toutefois, à son retour chez LM Sauvé, au moment où le contrat de 6,1 millions à l'Église unie St. James devait être réalisé, Paul Sauvé s'est retrouvé dans une situation où la direction de l'entreprise était mal définie, son père étant moins présent, ce qui a entraîné des problèmes, entre autres avec les banquiers. M. Sauvé mentionne aussi des problèmes syndicaux.

Devant le refus du gouvernement d'assumer sa pleine part de responsabilité dans les dépassements de coûts, la PME familiale a dû assumer seule un montant excédentaire de 2,2 millions. Pour éviter la faillite, poursuit M. Sauvé, il a fallu vendre au rabais deux propriétés adjacentes à l'église dans la rue Sainte-Catherine.

À quoi attribuer les dépassements de coûts? «On a trouvé cinq tunnels, des réservoirs de mazout, des contaminants et de l'amiante dans les murs», répond le chef de l'entreprise. Le contrat avait été accordé sous le gouvernement de Bernard Landry, mais le gouvernement Charest a pour sa part présenté ce contrat comme un partenariat public-privé, ce que conteste complètement M. Sauvé.

«Nos avocats pensent que la "vente de feu" de nos propriétés devrait être prise en considération et que le gouvernement devrait assumer sa juste part des coûts, soit une partie substantielle», ajoute-t-il, sans donner de chiffres précis.

En devenant l'unique propriétaire de l'entreprise, M. Sauvé s'est entouré d'un comité de conseillers, dont l'un des membres peut lui donner un sérieux coup de pouce dans un éventuel combat juridique. Il s'agit de Guy Gilain, un avocat spécialisé en droit de la construction et qui a contribué au règlement du dossier très controversé de la Gaspésia. Parmi les autres membres se trouvent Yves Gauthier, vice-président chez Valeurs mobilières Desjardins, qui possède une longue expérience des milieux financiers, et aussi Alexandre Trudeau, le fils de l'ancien premier ministre.

M. Sauvé avoue qu'il est «excessivement amer» à la suite de plusieurs situations qui ont touché cette entreprise familiale depuis plusieurs années, d'abord avec le gouvernement Bourassa qui n'aurait pas tenu sa promesse d'acheter ou de louer des bâtiments hôteliers à Trois-Rivières et à Québec dont son père était devenu propriétaire. Et le gouvernement Charest? «Vous négociez avec du Jell-O», lance-t-il. Il en veut aussi beaucoup à toute l'organisation du secteur de la construction, avec la présence importante de la FTQ dans le secteur, à la CSST et à la Commission de construction du Québec, un système qui, selon lui, entraîne de nombreuses contraintes et des coûts trop élevés.

Avec des contrats obtenus de La Baie d'abord au Québec, puis à Toronto et en Colombie-Britannique, où ses employés ne sont pas syndiqués, M. Sauvé assure que les bénéfices pour les employés y sont au moins 20 % plus élevés qu'au Québec et que l'entreprise est 40 % plus productive. Il y a quelques années, LM Sauvé employait environ 150 maçons syndiqués, il en compte maintenant une centaine au Canada, dont 40 syndiqués au Québec.

Il y a cinq ans, le chiffre d'affaires de LM Sauvé ne dépassait pas cinq millions, il approche maintenant les 25 millions, ce qui comprend un contrat de 10 millions pour des travaux à l'hôtel de ville de Montréal, un projet auquel son père, maintenant âgé de 78 ans, apporte son expérience. Le maire Gérald Tremblay est en fait le seul dirigeant politique en exercice de pouvoir au Québec qui échappe aux foudres de M. Sauvé. Quoi qu'il en soit, environ les deux tiers des revenus de la PME sont générés hors Québec.

Le plus récent contrat est celui de 8,9 millions pour la réfection de l'édifice de l'Ouest du parlement canadien, un contrat qui a été «obtenu par appel d'offres et sans aucune implication politique», ajoute-t-il. Évidemment, il s'agit d'un nouveau client fort intéressant puisque tout le programme de restauration des édifices parlementaires à Ottawa est évalué à un milliard.

Un autre projet québécois de LM Sauvé qui est remis en question présentement est celui de la création d'un Institut national de la pierre, qui nécessiterait un investissement de 17 millions et serait presque entièrement financé par le secteur privé. Ce projet a tout de même été porté à l'attention des autorités municipales et provinciales en février dernier. Or, dans ce dossier comme dans les autres, M. Sauvé soutient qu'aucune négociation avec le gouvernement Charest n'est possible, probablement à cause de l'imbroglio St. James. Cet institut, qui serait d'abord une école de formation de maîtres de la pierre, doit être installé dans un endroit où se trouvent déjà une vieille bâtisse et du terrain pour expérimenter des constructions diverses. Un tel lieu a déjà été repéré rue Jeanne-d'Arc, entre les rues Sainte-Catherine et Notre-Dame à Montréal. Cet endroit est connu sous le nom de «la Tonnellerie».

Toutefois, comme rien ne bouge à ce sujet, M. Sauvé envisage d'autres options, notamment «une offre généreuse» du maire de Sorel, qui aimerait accueillir cet institut. Néanmoins, avec les deux tiers de ses revenus générés hors Québec, il se demande s'il ne serait pas préférable d'aller s'installer dans l'Outaouais. Son grand-père était un Franco-Ontarien de Hawkesbury. «On pourrait y retourner», dit-il, tout en rappelant qu'il est lui-même «un p'tit gars de Rosemont» et qu'il préférerait rester à Montréal.

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