Crise financière: l'Europe redécouvre les vertus de la réglementation
Traumatisée par la crise financière, l'Europe, emmenée par la France, redécouvre les vertus de la réglementation. Ouvrant à Bruxelles le premier conseil des ministres des Finances européens (Ecofin) sous la présidence française, Christine Lagarde devait proposer, mardi dernier, d'introduire de nouveaux contrôles dans la sphère financière. «La crise a remis en cause le fonctionnement actuel des marchés financiers, qui n'est ni tout à fait suffisant, ni tout à fait efficace», indique-t-on à Bercy.
Un an après le début de la crise, les pays membres de l'Union européenne veulent corriger les failles du système actuel. Les agences de notation sont une priorité de Mme Lagarde. Elles sont en effet accusées d'avoir mal évalué les risques des produits financiers complexes qui ont déstabilisé l'économie mondiale, et leur déontologie est critiquée. La ministre de l'Économie veut, dans un premier temps, rendre obligatoire leur enregistrement auprès d'un organisme européen, alors qu'elles ne sont aujourd'hui inscrites qu'auprès des autorités réglementaires américaines des marchés, la SEC. Il sera temps, ensuite, de s'intéresser à leur fonctionnement et à leur méthodologie, donc à leur contrôle.Bercy va également proposer à l'Ecofin d'encadrer le travail de l'International Accounting Standards Board (IASB), cet institut de droit privé, totalement autonome, qui est à l'origine des nouvelles règles comptables des sociétés.
Très axées sur la valeur de marché des actifs, ces règles ont, en effet, contribué à amplifier les effets de la crise financière. La France voudrait que l'IASB rende compte dorénavant de ses travaux à une autorité européenne, qui pourrait être la Banque centrale européenne (BCE). «Il s'agit de remettre le système comptable en phase avec les préoccupations de politique économique, indique Bercy, l'intérêt public ne peut être négligé.»
Ces propositions marquent une rupture avec l'histoire récente de la finance et avec deux décennies de déréglementation. Persuadés que les règles entravaient le bon fonctionnement des marchés, des financiers, économistes et politiques ont encouragé la mise en place de bonnes pratiques, à travers l'autoréglementation. Ils en découvrent aujourd'hui les limites.
«On a cru que la soft law [le code de bonne conduite] suffirait pour assurer une réglementation parfaite des marchés. On s'est trompé. L'intervention des États et des autorités de tutelle se révèle nécessaire, comme l'a montré la BCE, en assurant la liquidité sur le marché interbancaire au plus fort de la crise», commente Reinhard Dammann, avocat au Barreau de Paris et chargé de cours à Sciences Po Paris.
Refusant de voir là un retour de l'État dans l'économie, Bercy évoque son désir d'y mettre «plus d'Europe». La démarche européenne n'est pas isolée. La réunion des pays du G8, qui s'est tenue à Hokkaido, au Japon, devait aussi remettre la réglementation à l'ordre du jour. «Même les Anglo-Saxons considèrent que l'absence de réglementation les pénalise», a indiqué Nicolas Sarkozy, avant de se rendre au sommet des huit pays les plus industrialisés.
Les économistes qui prônaient depuis plusieurs années davantage de réglementation saluent aussi, pour la plupart, ce retour à une discipline accrue sur les marchés financiers.
«Il faut boucher les trous de la réglementation actuelle», note Jacques Mistral, du Cercle des économistes. Pour lui, l'innovation financière a échappé aux autorités réglementaires et crée des angles morts en matière de contrôle.
Certains compartiments du marché se sont transformés en «jungle», note M. Mistral. Mais l'Europe ne pourra pas seule imposer ses idées. La mondialisation des marchés financiers est devenue telle qu'une décision à 27 ne suffirait pas. «L'Europe, combien de divisions?, lance M. Mistral. Tout dépend des États-Unis!» La direction prise lors du G8 et par l'Amérique sera donc cruciale.
Si les experts attestent que l'autoréglementation a été un échec, ils mettent aussi en garde contre les excès inverses.
«Il faut lutter contre la tentation de durcir les règles de ce qui a provoqué la crise d'hier, mais qui n'empêchera pas la prochaine», note Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis.
Tous gardent en mémoire la loi Sarbanes Oxley, mise en oeuvre après le scandale de la faillite du courtier en énergie Enron; ce système très strict de gouvernance d'entreprise a fait fuir les entreprises des marchés américains.