Le SLEB reprend vie après une aventure rocambolesque

Resté inachevé pendant des années, le projet immobilier le SLEB, situé à l'angle du boulevard Saint-Laurent et de la rue Ontario, est relancé. L'immeuble a changé de mains l'automne dernier et les mois qui ont suivi ont été fertiles en rebondissements. Le transfert des titres de propriété a entraîné une cascade d'événements qui auraient pu devenir la trame d'un roman policier: tentative d'extorsion, arrestation en Italie et inculpation de l'ancien propriétaire déchu qui aurait voulu récupérer son bien.
Rebaptisé «Les lofts des Arts», le projet de condos du 10, rue Ontario Ouest redémarre. À compter du mois d'août, des travaux seront entrepris afin d'achever la conversion de l'édifice en condos, une opération qui était presque complétée quand le chantier a été abandonné en 2006. Et le cratère laissé béant depuis des années derrière l'immeuble a été remblayé récemment. Pour l'instant, aucun échéancier précis n'a été fixé quant à la fin des travaux.Un projet prometteur
Situé dans le périmètre du chic Quartier des spectacles, l'immeuble du SLEB — acronyme pour Saint-Laurent-en-Bas — était considéré comme un pôle de revitalisation pour ce secteur lorsqu'il a été lancé en 2003. Dans le cadre de la phase 1 du projet, le promoteur Minco Division construction avait entrepris de transformer l'ancien immeuble industriel de dix étages en 106 unités de condo dotées d'une piscine sur le toit. La phase 2 prévoyait la construction d'un second immeuble, au sud du premier, d'une hauteur de 17 étages. De nombreux acheteurs avaient versé une mise de fonds pour les condos qu'ils convoitaient.
Fin 2005, Minco a dû invoquer la protection du tribunal contre ses créanciers. La banque menaçant de reprendre l'immeuble, le principal actionnaire de Minco, Luciano Minicucci, s'est mis en quête d'un «chevalier blanc» disposé à devenir un prêteur plus sympathique que l'institution financière. Il l'a trouvé en Italie en la personne de Bortolo Dalle Nogare. Une compagnie à numéro, dont le principal actionnaire était M. Dalle Nogare, a alors été créée, mais les relations entre les deux hommes se sont rapidement détériorées.
En novembre 2007, la Cour supérieure force M. Minicucci à céder sa propriété à celui qui est devenu son pire ennemi. Bortolo Dalle Nogare prend le contrôle du SLEB et c'est son fils Luigi qui, à Montréal, gère les affaires de la compagnie.
Rebondissements en Italie
Les choses se corsent par la suite. Frustré d'avoir perdu son bien, Luciano Minicucci téléphone à Bortolo Dalle Nogare à plusieurs reprises pour le convaincre de signer un accord lui transférant l'ensemble immobilier en échange d'une somme de 6,5 millions de dollars avec promesse d'un paiement d'une même somme d'ici deux ans. Un autre homme, se présentant comme un associé de M. Minicucci, le presse aussi par téléphone d'accepter la proposition faite par l'ancien propriétaire du SLEB. Le ton devenait menaçant, soutient M. Dalle Nogare dans la plainte qu'il dépose au service de police italien. En n'acceptant pas l'offre, il mettait la vie de son fils Luigi, resté à Montréal, en danger, lui aurait dit son interlocuteur.
Le 3 décembre 2007, Luigi Dalle Nogare est agressé à Montréal par deux individus alors qu'il se trouve dans l'immeuble du SLEB.
Avertie des appels téléphoniques répétés que reçoit Bortolo Dalle Nogare, la police italienne met son téléphone cellulaire sur écoute à son insu.
Le 14 janvier 2008, les Carabinieri de Trento, la ville où réside M. Dalle Nogare, procèdent à l'arrestation de Luciano Minicucci, qui s'est rendu en Italie, et d'un complice, Constatin Popescu, alors que ceux-ci s'apprêtent à entrer dans le bureau de l'homme d'affaires italien. Deux autres complices, Michele Indo et Ciprian Alexandru, sont également arrêtés dans un local voisin. Tous les quatre se retrouvent derrière les barreaux.
Lorsque les policiers sont intervenus, les quatre individus tentaient une nouvelle manoeuvre d'intimidation. Si elle n'avait pas porté fruits, le plan consistait à s'introduire dans le domicile de
M. Dalle Nogare à la faveur de la nuit et à le kidnapper, révèle le jugement rendu à l'endroit de Luciano Minicucci en mai dernier par le tribunal de Trento.
Reconnu coupable de tentative d'extorsion, Luciano Minicucci a été condamné à une peine de réclusion d'un an, onze mois et 15 jours. Mais n'étant pas considéré comme un «criminel d'habitude», il a été libéré et a pu revenir au Canada.
Le juge a également déclaré Luciano Minicucci coupable d'avoir orchestré l'agression dont a été victime Luigi Dalle Nogare à Montréal en décembre dernier. Du côté du Service de police de la Ville de Montréal, on indique qu'aucun suspect n'a été arrêté dans cette affaire, la victime ayant été incapable de faire la description de ses agresseurs.
Revenu au pays, Luciano Minicucci n'a pas rappelé Le Devoir. De son côté, Luigi Dalle Nogare a refusé de commenter les événements des derniers mois.
Quant aux acheteurs de condos du SLEB, la plupart ont pu obtenir un remboursement de leur mise de fonds, jusqu'à concurrence de 30 000 $, puisque le promoteur Minco avait adhéré au plan de garantie de l'Association de la construction du Québec (ACQ). À ce jour, au moins 85 % des acheteurs se seraient prévalus de cette clause, a-t-on indiqué à l'ACQ.
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Avec la collaboration de François Desjardins