OMC: les attaques de Sarkozy risquent d'être fatales aux négociations

En assurant qu’il ne «laissera pas» sacrifier l’agriculture européenne, le président français Nicolas Sarkozy a planté «un clou de plus dans le cercueil du cycle de Doha»
Photo: Agence Reuters En assurant qu’il ne «laissera pas» sacrifier l’agriculture européenne, le président français Nicolas Sarkozy a planté «un clou de plus dans le cercueil du cycle de Doha»

Genève — Les attaques de Nicolas Sarkozy contre l'Organisation mondiale du commerce (OMC) inquiètent les experts du commerce international, qui redoutent qu'elles ne soient fatales à près de sept années de négociations sur la baisse des barrières douanières dans le monde.

En assurant qu'il ne «laissera pas» sacrifier l'agriculture européenne, le président français a planté «un clou de plus dans le cercueil du cycle de Doha», observe Jean-Pierre Lehmann, directeur de l'Evian Group, un cercle de réflexion sur les questions commerciales. «Les Français sont un problème, mais ce n'est pas le seul: quand le Congrès américain a voté le mois dernier une hausse des subventions agricoles, c'était totalement incompatible avec les négociations», ajoute-t-il.

Le cycle de négociations de Doha, lancé fin 2001 dans la capitale du Qatar, doit connaître son heure de vérité à partir du 21 juillet, lors d'une réunion ministérielle à Genève. Si l'Union européenne négocie au nom des 27 au siège de l'OMC, la France, première destinataire des subventions de l'UE, est en mesure de mobiliser derrière elle de nombreux États et lier les mains du négociateur européen, le Britannique Peter Mandelson, estime M. Lehmann.

Dans une série de passes d'armes, M. Sarkozy a accusé le commissaire européen au Commerce d'être prêt à brader l'agriculture européenne, alors que ce dernier a reproché au chef de l'État français de saper la nécessaire unité des 27. M. Sarkozy a affirmé que l'accord en préparation provoquerait une baisse de 20 % de la production agricole européenne, un chiffre contesté par Bruxelles, qui parle d'une baisse de 1,1 %, et par plusieurs experts.

«J'aimerais avoir la source des chiffres que Sarkozy a cités», s'étonne l'économiste Patrick Messerlin, dont le Groupe d'économie mondiale à Sciences-po a chiffré à 15 % la baisse maximale que pourraient subir certains secteurs protégés, comme les céréales.

Mais d'autres secteurs, comme l'agro-alimentaire, le porc, l'horticulture, les fruits et légumes et le vin, auraient tout à gagner à l'exportation d'une baisse généralisée des droits de douane, estime-t-il. «Il y a en France deux fois plus de paysans qui perdent à ce qu'on ne libéralise pas que de paysans qui profitent du maintien du statu quo», ajoute M. Messerlin.

Les propositions sur la table à l'OMC se traduiraient par une baisse de 70 % des subventions européennes les plus nocives aux échanges et par une baisse moyenne de 54 % des droits de douane perçus par les pays développés sur leurs importations agricoles.

Nicolas Sarkozy invoque la crise alimentaire mondiale pour refuser une baisse de la production agricole européenne.

Mais ce sont précisément les subventions versées par les pays riches à leurs agriculteurs qui sapent la production des paysans du Sud, accuse Romain Benicchio, de l'association de défense des pays pauvres Oxfam. «Le commerce de produits subventionnés a joué un rôle dans la crise alimentaire des pays en développement», relève-t-il, tout en estimant que les négociations à l'OMC ne vont pas assez loin. «Ce qui est sur la table accommode largement les demandes des pays riches plutôt que les besoins des pays en développement».

Dans ses critiques, M. Sarkozy a affirmé qu'en échange de concessions en matière agricole, l'UE n'avait rien obtenu en ce qui concerne les produits industriels et les services.

«Ce n'est pas complètement faux», relève M. Lehmann. «Mais cela fait 50 ans que les pays riches ont pu se protéger des importations agricoles du monde en développement et on ne doit pas attendre de compensation automatique à la baisse des subventions».

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