Les consommateurs canadiens ont la mine basse

Le moral des consommateurs et des chefs d'entreprise continue de décliner au Canada, sous le coup de la flambée des prix de l'essence et des signes de ralentissement économique. Le niveau de confiance des consommateurs est même tombé à son plus bas depuis la fin de 1995, rapporte le Conference Board du Canada.
L'indice de confiance des consommateurs a perdu plus de six points le mois dernier pour se retrouver à 79,6, a rapporté l'organisme de recherche privé, dont l'échelle relative de mesure établit la marque de 100 au niveau atteint en 2002. Cette baisse fait suite à un autre recul de sept points en mai et d'une diminution totale de 17 points depuis février (96,6). On n'avait pas vu les consommateurs canadiens avoir à ce point le moral dans les talons depuis le quatrième et dernier trimestre de 1995, alors que l'indice avait été de seulement 68,8.«L'augmentation continue des prix de l'essence et les incertitudes entourant les conditions économiques à venir sont vraisemblablement responsables de ce déclin de la confiance des consommateurs», conclut le rapport.
Basée sur un sondage réalisé du 5 au 11 juin auprès de 2000 personnes, l'étude mesure la perception des consommateurs sur quatre questions: l'évolution des revenus des ménages au cours des six mois, les possibilités de changement de revenu dans les six mois à venir, les conditions d'emploi et la disposition à faire un achat important. «Comme le mois d'avant, on a observé une baisse de confiance dans les quatre domaines, et ce, dans toutes les régions du pays», rapporte le Conference Board.
Les pertes de confiance les plus importantes le mois dernier ont été observées en Colombie-Britannique (-9,3 points) et dans les provinces atlantiques (-9 points), alors que l'indice au Québec a reculé de moitié moins (4,5 points). Tous ne partaient cependant pas du même point. Depuis février, l'indice de confiance au Québec est ainsi passé de 91,5 à 78,2, soit une baisse de 13,3 points. La dégringolade est encore plus grande en Ontario, qui est passé, durant la même période, de 89 à 70,8 (-18,2 points). Sous cet angle, les citoyens des Prairies (90,1) et de la Colombie-Britannique (94,3) font encore office de grands optimistes.
Le moral des consommateurs est suivi de près par les spécialistes, du fait de leur importance primordiale dans l'économie. On estime que leurs différents achats de biens et services comptent pour environ 60 % de la richesse totale produite au Canada (PIB) et 63 % de celle produite au Québec.
Des entreprises inquiètes
Les consommateurs ne sont pas les seuls à donner des signes d'inquiétude au Canada. Les chefs d'entreprise se montrent également de plus en plus préoccupés par les pressions qui s'exercent sur le coût de leurs intrants ainsi que par l'inflation, a rapporté hier la Banque du Canada dans sa dernière enquête trimestrielle sur les perspectives des entreprises.
Ces dernières se disent pourtant globalement un peu plus optimistes qu'elles ne l'étaient au début de l'année quant à leur chance d'augmenter leurs ventes au cours des 12 prochains mois. On observe aussi un bond important des intentions d'investissement dans de nouveaux équipements de production. L'enquête d'opinion réalisée du 20 mai au 13 juin auprès des dirigeants d'une centaine d'entreprises montre également que les intentions d'embauche sont restées relativement les mêmes.
Bien que les pressions sur la capacité de production des entreprises aient peu changé depuis trois mois, celles-ci sont aujourd'hui un nombre record (51 %) à dire qu'elles s'attendent à une augmentation du prix de leurs intrants au cours de la prochaine année. «La vigueur soutenue des cours du pétrole et d'autres produits énergétiques, à laquelle s'ajoute le renchérissement des aliments et d'autres produits de base non énergétiques comme les métaux communs», en serait responsable, rapportent les enquêteurs de la Banque du Canada. «Certains répondants ont aussi évoqué la montée du prix des importations provenant de la Chine», ajoutent-ils dans leur rapport.
Le problème, avec ces hausses de coûts de production pour certaines entreprises, est que celles-ci ne pensent pas pouvoir en refiler la facture aux consommateurs, du moins pas en totalité. «Certaines firmes ne se jugent pas en mesure, à cause de pressions concurrentielles, de répercuter sur leurs clients la hausse du prix de leurs intrants», rapporte l'étude.
Pourtant, jamais autant d'entreprises (36 %) n'ont dit s'attendre à ce que l'augmentation annuelle des prix à la consommation dépasse, au cours des deux prochaines années, la limite supérieure (3 %) de la fourchette que s'est donnée la Banque du Canada en matière d'inflation.
Là encore, des différences importantes ressortent entre les régions canadiennes. «Dans l'ensemble, rapporte l'enquête, les firmes de l'Ouest du pays anticipent une hausse de la croissance de leurs ventes au cours de l'année qui vient, tandis que celle du centre et de l'Est s'attendent à un ralentissement.» Un bon nombre d'entreprises du Québec et des provinces voisines ont dit compter accroître leurs investissements dans le cadre des processus de restructuration qu'elles ont en cours. Particulièrement affectées par la vigueur du dollar canadien et la faiblesse de l'économie américaine, les entreprises du centre et de l'Est sont aussi «moins susceptibles que les autres d'augmenter leurs effectifs», rapporte la Banque du Canada.
Les taux d'intérêt à venir
Selon l'économiste Francis Généreux, du Mouvement Desjardins, l'amélioration modeste des perspectives économiques, conjuguée aux craintes d'inflation, «incitera la Banque du Canada à garder ses taux directeurs inchangés au cours de ses prochaines réunions». Le comité de politique monétaire de la banque centrale canadienne doit justement tenir une réunion la semaine prochaine.
«Le niveau actuel de l'inflation influence les attentes en matière d'inflation, et les attentes en matière d'inflation influencent en retour le niveau d'inflation à venir, a rappelé hier son collègue chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne, Sébastien Lavoie. C'est très précisément en ce domaine que le gouverneur [Mark] Carney ne veut pas perdre le contrôle de la situation.»
La Banque du Canada a soudainement interrompu son assouplissement des taux d'intérêt, le mois dernier, face à la crainte grandissante de l'inflation. On s'attendait généralement alors à ce qu'elle maintienne le statu quo pendant plusieurs mois.