Les bémols de l'éthanol

L'éthanol entrant dans la composition de l'essence, produit à partir du maïs et du blé, est gourmand en stimulants fiscaux. De plus, cet additif accroît de 400 millions de dollars par année la facture alimentaire des consommateurs canadiens, et son bénéfice écologique net est marginal, sinon nul. Du même souffle, l'auteur de l'étude reprise par l'Institut C.D. Howe exhorte les gouvernements à revoir leurs politiques d'aide à la production d'éthanol.
L'Institut C.D. Howe consacre son commentaire de juillet à l'étude du professeur de l'Université de Guelph, Douglas Auld. L'auteur rappelle que le gouvernement fédéral s'est engagé, en 2007, dans un programme de plus de deux milliards, étalé sur plusieurs années et visant à soutenir la production et le développement de l'industrie de l'éthanol. Avec, pour cible, un contenu moyen de 5 % d'éthanol dans l'essence d'ici à 2010. S'ajoutent les crédits offerts par les provinces pour chaque litre d'éthanol produit. Douglas Auld fait également ressortir qu'à l'instar des États-Unis, premier producteur mondial d'éthanol, le Canada impose un tarif de 4,92 ¢ le litre sur l'éthanol importé de pays autres que les signataires de l'ALENA, ce qui a notamment pour effet d'accroître le prix de l'éthanol venant de producteurs à plus faibles coûts, comme le Brésil.D'entrée de jeu, l'auteur retient que les deux tiers de l'éthanol produit au Canada proviennent du maïs, et le reste, du blé. Environ un million de tonnes de maïs étaient destinées à cette forme de transformation en 2006, ainsi que 500 000 tonnes de blé. Il déplore, au passage, que l'éthanol cellulosique, soit un biocarburant produit à partir de déchets agricoles et ligneux reconnu pour sa faible émission en CO2, ne compte que pour 0,2 % de la production totale d'éthanol au Canada. Ce choix et les programmes d'aide gouvernementale actuels font qu'il peut en coûter aux fonds publics, en moyenne, 368 $ par tonne de CO2 de moins. «C'est plus que sept fois le coût d'une politique énergétique alternative permettant d'atteindre le même niveau de réduction d'émissions», a souligné l'universitaire.
Selon ses conclusions, les gouvernements auraient agi avec empressement et précipitation en privilégiant une avenue qui n'est pas sans créer de sérieuses distorsions sur le marché de l'alimentation et dont l'effet écologique net est discutable.
Car à ces coûts directs se greffent les pressions exercées sur les prix alimentaires. À titre d'illustration, la moitié du maïs récolté au Canada entre dans l'alimentation des animaux et des humains ou sert à d'autres consommations industrielles. De 2002 à 2007, les agriculteurs ont vu leur facture de maïs et de blé servant à nourrir leur bétail croître de l'ordre de 20 à 30 %. «Les politiques favorisant l'éthanol s'inscrivent au bénéfice de certains fermiers, au détriment d'autres», a souligné l'auteur.
En mai 2008, le prix du maïs sur le marché boursier à terme de Chicago était de 3,3 fois plus élevé qu'il ne l'était deux ans plus tôt. Une étude de l'OCDE faite en 2007 a retenu qu'il faut s'attendre à une hausse moyenne des prix alimentaires de l'ordre de 20 à 50 % au cours de la prochaine décennie, un bond en grande partie attribuable aux biocarburants. Puis, vendredi dernier, le quotidien britannique The Guardian a publié les conclusions d'une étude de la Banque mondiale attribuant 75 % de la hausse des prix des aliments à l'échelle mondiale à la production croissante d'éthanol.
En clair, l'éthanol accroît de 400 millions par année la facture alimentaire des consommateurs canadiens. Si l'on additionne à cette facture supplémentaire l'aide directe des gouvernements, ce sont 600 millions en 2008 et 800 millions en 2012 qui seront ainsi transférés aux agriculteurs producteurs d'éthanol, a mesuré Douglas Auld.
Quant aux bénéfices écologiques découlant de l'utilisation de l'éthanol à base de maïs et de blé, ils sont marginaux, sinon nuls. Certes, l'impact de l'éthanol sous forme de réduction des gaz à effet de serre est supérieur à celui de l'essence sans cet additif, lorsque la mesure est prise au niveau du système d'échappement du véhicule. «Mais si l'on regarde l'ensemble du cycle de production, l'effet net est moins évident», peut-on lire dans l'étude de C.D. Howe. Il faut tenir compte de l'énergie requise pour franchir les différentes étapes de transformation de la matière première et, également, du fait que l'éthanol génère moins d'énergie que l'essence ordinaire. Pour le même volume, l'éthanol produit environ deux tiers d'énergie de moins que l'essence. Dit autrement, la distance parcourue par litre comprenant de l'éthanol est moins longue, et il faut donc faire le plein plus souvent.
En fin de compte, «seul l'éthanol cellulosique propose des réductions notoires des émissions de gaz à effet de serre, allant jusqu'à 90 % des gaz produits par l'essence régulière», a ajouté l'auteur, qui exhorte les gouvernements à revoir leur politique d'aide en fonction de ces nouveaux paramètres.