L'AMF poursuit les vendeurs de fonds Norbourg
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a intenté hier une poursuite de 31 millions de dollars contre Vincent Lacroix et 13 représentants qu'elle soupçonne d'avoir reçu des incitatifs monétaires afin de faire mousser les fonds Norbourg auprès de leurs clients.
Le recours civil, déposé en Cour supérieure à Montréal, vise des individus qui ont transféré chez Norbourg les actifs de leurs clients ou qui leur recommandaient d'investir leur argent dans les fonds Norbourg. La liste comporte notamment des représentants qui ont travaillé chez Groupe Futur et chez Norbourg Capital.«L'AMF estime que les représentants visés ont engagé leur responsabilité professionnelle en acceptant divers incitatifs et en favorisant ainsi leur intérêt personnel au détriment de celui de leurs clients lors de l'offre des fonds Norbourg», a écrit l'organisme réglementaire. «Ces représentants auraient notamment touché des avantages ou des sommes d'argent inexpliquées et parfois substantielles, en plus de leur rémunération habituelle ou de la vente de leurs actifs.»
Certains des individus, qui ne font l'objet d'aucune accusation pénale ni criminelle, ont touché des sommes importantes. Deux d'entre eux ont récolté 6,8 millions chacun, alors qu'un autre est passé à la caisse pour quatre millions. Au bas de l'échelle, deux individus ont reçu 6300 $ au total.
Par exemple, selon la poursuite, un représentant de Québec qui gérait des actifs de 47 millions les a vendus à Norbourg pour 900 000 $ et s'est joint à l'équipe. Il devait en transférer 80 % dans les fonds Norbourg et s'engager à ce que 50 % de toutes ses ventes futures soient effectuées dans les produits Norbourg. Il a aussi reçu des sommes additionnelles car il était actionnaire d'une petite société dans laquelle M. Lacroix avait injecté de l'argent.
Joint à son domicile hier, ce représentant n'a pas voulu faire de commentaire.
Parmi les défendeurs figurent aussi Axa Assurances, Natcan Insurance Company Limited et un «fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs du Lloyd's», puisque les représentants étaient couverts par des polices chez ces assureurs. Lorsqu'est venu le temps d'obtenir des commentaires, les bureaux étaient fermés.
Le document de la poursuite est disponible dans le site de l'AMF.
Modèle d'affaires
En raison d'une condamnation au pénal, Vincent Lacroix purge une peine de 12 ans de prison pour le rôle central qu'il a joué dans le détournement de 115 millions aux dépens de 9200 personnes. L'argent détourné servait à l'acquisition d'autres sociétés, à des investissements personnels, à l'offre de «prêts», à l'achat de maisons, etc.
Il a été démontré pendant le procès que M. Lacroix avait constamment besoin de recruter de nouveaux clients, puisque Norbourg était lourdement déficitaire et que son modèle d'affaires consistait à piger sans cesse dans l'épargne des clients pour assurer les dépenses de fonctionnement.
La poursuite intentée par l'AMF hier est liée à une indemnisation qu'elle s'est engagée à verser l'an dernier. En janvier 2007, l'AMF a annoncé qu'environ 900 des 9200 victimes allaient se partager une somme de 31 millions car, dans leur cas, les représentants qui leur avaient vendu les produits Norbourg avaient bénéficié d'incitatifs.
À l'époque, l'AMF avait affirmé que «le stratagème de la fraude comportait des manoeuvres dolosives au niveau de la distribution. En effet, Vincent Lacroix et les cabinets Norbourg Capital inc. et Groupe Futur inc. ont mis en place des incitatifs financiers afin de favoriser la vente des fonds Norbourg.»
Quant aux autres 8200 victimes, elles n'ont eu droit à aucune indemnisation car la fraude s'est produite non pas dans la vente, mais plus haut dans la hiérarchie, c'est-à-dire dans la gestion. Dans les cas de fraude imputée aux gestionnaires, la loi ne prévoit pas d'indemnisation.
Le versement de cette indemnisation de 31 millions a eu pour effet de presque vider le Fonds d'indemnisation des services financiers.
Selon la loi, l'AMF, dont le budget de fonctionnement est assuré par les cotisations de l'industrie, a cinq ans pour le renflouer. Elle entend le faire par des hausses de cotisations auprès des cabinets de services financiers. Un projet a déjà été mis en branle en 2007.
L'AMF a affirmé hier que, «le cas échéant, les sommes récupérées [dans le cadre du recours] iront au Fonds d'indemnisation des services financiers».