«Récolter les fruits» de la flambée des prix alimentaires

Des femmes font la queue pour recevoir une aide alimentaire au Soudan. Alors que la flambée des prix menace de famine des populations dans les pays pauvres, les banques qui proposent à leurs clients de placer leur argent dans le secteur des matières p
Photo: Agence Reuters Des femmes font la queue pour recevoir une aide alimentaire au Soudan. Alors que la flambée des prix menace de famine des populations dans les pays pauvres, les banques qui proposent à leurs clients de placer leur argent dans le secteur des matières p

Francfort — «Récolter les fruits» de la hausse des prix agricoles: c'est ce que propose Deutsche Bank et d'autres instituts par l'entremise de placements financiers. Une attitude dénoncée par Attac à l'heure où la crise alimentaire touche de plein fouet les pays pauvres.

Deutsche Bank avait lancé il y a quelques semaines une campagne publicitaire dans la ville de Francfort où elle a son siège. «Vous réjouissez-vous de la hausse des prix?» alimentaires, pouvait-on lire sur des affichettes qui vantaient son offre de placements dans ce domaine et distribuées dans les boulangeries.

Mais elle a été de courte durée. Confrontée aux protestations de l'association altermondialiste Attac, Deutsche Bank les a retirées de la circulation. Son patron Josef Ackermann s'en est même excusé lors de l'assemblée générale fin mai.

Car l'argumentaire de Deutsche Bank, «récolter les fruits d'une possible augmentation des prix des produits agricoles», ne passe pas pour Attac, alors que la flambée des prix menace de famine des populations dans les pays pauvres et que la question a inquiété les responsables de la communauté internationale réunis à Rome lors du sommet de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'agriculture). «C'en était trop», s'indigne Jutta Sundermann, porte-parole de la section Attac à Francfort.

Le président de l'Eurogroupe, qui regroupe les ministres des Finances de la zone euro, s'en est pris récemment aux spéculateurs sur les marchés des matières premières agricoles, accusés de contribuer à l'envolée des prix. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker les a qualifiés de «criminels» et de «rapaces».

Du coup, face aux critiques, les banques qui proposent à leurs clients de placer leur argent dans ce secteur se montrent discrètes. Les suisses Credit Suisse et UBS, la française BNP Paribas ou encore l'allemande Commerzbank proposent des produits liés aux produits agricoles. Leur nature est toutefois très variée, certains placements étant hautement spéculatifs, d'autres non, destinés aux investisseurs institutionnels ou aux particuliers. Chez BNP Paribas, on fait valoir que le placement proposé n'est pas spéculatif, chez Deutsche Bank la faiblesse des volumes concernés, 500 millions d'euros.

Mais la tendance est à la hausse. «L'offre des banques pour ce type de produits a beaucoup augmenté depuis la mi-2007», constate Jutta Sundermann. Un avis partagé par l'analyste de LBBW Sven Streitmayer. Il y a «une tendance à la hausse, mais [ces offres] représentent toujours une très petite part du marché global», estime-t-il, en l'absence de données chiffrées sur le sujet. Le volume des produits dérivés liés aux matières premières au sens large (agricoles, mais aussi métaux, pétrole...) a explosé ces dernières années, représentant neuf milliards $US fin 2007 contre 5,4 milliards fin 2005, selon lui.

Deutsche Bank se défend de faire de l'argent sur la misère humaine. La hausse des prix alimentaires s'explique avant tout «par une forte augmentation de la population mondiale, un changement des habitudes alimentaires et en même temps, une réduction des surfaces agricoles» liée en partie à l'essor des biocarburants, rappelle un porte-parole.

Pour Ralph Stemper, en charge des produits dérivés chez Commerzbank, ces critiques sont «un non-sens». «L'investisseur décide seul des produits qu'il achète», fait-il valoir. M. Streitmayer estime pour sa part que «les investisseurs ne tirent pas les prix à la hausse», du moins pas sur le moyen terme. À court terme en revanche, l'effet peut jouer mais «il ne se laisse pas quantifier», selon lui.

«Nous examinons» encore la part jouée par la spéculation dans la hausse des prix, ajoute sa collègue Eliane Tanner, d'UBS.

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