La Banque du Canada se fait prévoyante
Manifestement inquiétée par le dérapage économique au sud de la frontière et son impact ici, la Banque du Canada a abaissé son taux d'intérêt directeur de 4 % à 3,5 % hier pour stimuler l'économie du pays et prévenir ce qu'elle voit comme une possibilité de détérioration. Il y aura probablement d'autres baisses, a-t-elle annoncé sans détour.
La baisse de taux, qui constitue pour Mark Carney un premier geste comme gouverneur depuis son entrée en fonction, est la plus importante depuis novembre 2001, lorsque l'économie américaine était en récession dans la foulée de la bulle technologique et des attentats du 11-Septembre. Les coupables, cette fois, sont l'engourdissement du marché immobilier, la contamination d'autres secteurs et la timidité croissante des banques au chapitre des prêts.«On observe des signes manifestes que le ralentissement de l'économie américaine sera vraisemblablement plus marqué et plus prolongé qu'on ne l'avait prévu en janvier», a écrit la banque centrale hier dans un communiqué décortiqué de toutes les façons possibles et imaginables par les économistes, comme c'est toujours le cas.
«D'importants risques à la baisse pesant sur les perspectives d'évolution de l'économie canadienne, dont on avait fait état [en janvier], sont en train de se matérialiser et, à certains égards, de s'intensifier», a ajouté la Banque du Canada.
Les marchés boursiers n'ont pas apprécié l'évocation de cette perspective. La Bourse de Toronto a reculé de 200 points en avant-midi. Elle s'est ensuite ressaisie et a terminé en baisse de 67,57 points, à 13 476,81 points. Le dollar a perdu 0,62 ¢US, à 100,56 ¢US.
La Banque du Canada a pour mission première de maintenir l'inflation dans une fourchette de 1 à 3 %. En décembre, l'inflation «de référence», qui exclut l'essence et d'autres produits trop volatils, s'est chiffrée à 1,4 %. Des économistes ont dit que la décision d'hier s'explique davantage par le désir de provoquer un redémarrage de l'économie, dont la croissance au quatrième trimestre n'était que de 0,8 % sur une base annuelle.
Pas de surprise
La baisse d'hier était prévue par la quasi-totalité des économistes, le seul point de discorde venant de l'ampleur du geste. Les deux décisions précédentes, prises le 4 décembre et le 22 janvier, s'étaient soldées par des baisses de 25 points de base. Depuis décembre, elle a donc retranché 100 points de base au taux directeur. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a abaissé le sien de 225 points de base depuis septembre.
Le taux directeur de la Banque du Canada est celui qu'elle souhaite voir lorsque les établissements financiers se prêtent de l'argent pour des périodes de 24 heures.
Lorsqu'une banque centrale annonce une baisse de son taux directeur, elle arrive donc à réduire indirectement ce qu'il en coûte pour emprunter de l'argent. Par conséquent, le geste a tendance à stimuler les dépenses des consommateurs et l'investissement des entreprises, ce qui se répercute sur la croissance économique et le taux d'inflation.
Les grandes banques ont toutes réagi à l'annonce hier en retranchant 50 points de base à leur taux préférentiel.
«La banque centrale doit choisir sa cible, elle ne peut se concentrer que sur une chose à la fois», a dit Doug Porter, économiste à la Banque de Montréal. «De toute évidence, l'inquiétude qu'elle a au sujet de la croissance économique dépasse de loin toute préoccupation concernant une hausse de l'inflation.» Dans une note de recherche, il a d'ailleurs noté l'absence totale d'un «commentaire rassurant au sujet d'un possible rebond de l'économie plus tard cette année».
M. Porter, comme la très grande majorité des économistes, est d'avis que la Banque du Canada continuera d'abaisser ses taux au cours des mois de manière à les ramener à 3 %. La prochaine décision est prévue pour le 22 avril, ce qui sera suivi deux jours plus tard par la publication de sa mise à jour sur la situation économique.
Les prévisions ont changé
La Banque du Canada avait estimé en janvier, lors de sa mise à jour sur la situation économique, que l'inflation tant de référence que globale évoluerait sous la barre de 1,5 % d'ici le milieu de 2008 et qu'elle retournerait vers 2 % à la fin de 2009.
Ces prévisions semblent avoir changé. «La banque estime maintenant que la résultante des risques entourant sa projection de janvier pour l'inflation s'est inscrite nettement en baisse, et c'est pourquoi elle réduit le taux cible du financement à un jour», a-t-elle écrit. Pour atteindre 2 % à moyen terme, il «faudra probablement encore augmenter le degré de détente monétaire dans un proche avenir».
En janvier, la Banque du Canada avait indiqué que les risques pour le Canada portaient notamment sur les marchés du crédit mondial et le toussotement de l'économie américaine. «Avec la détérioration des bilans dans le secteur financier qui continue au moment où l'économie américaine est sur le point de connaître une contraction, la banque a raison de conclure comme elle l'a fait ce matin que les risques de baisse se sont intensifiés», a écrit la Financière Banque Nationale.
Selon le Mouvement Desjardins, «les faits montrent que [Mark Carney] n'avait pas vraiment le choix». «Les plus récentes données économiques sont sans équivoque: l'économie canadienne est lourdement touchée par la conjonction d'une devise forte et d'une demande anémique de la part des États-Unis pour les produits fabriqués au Canada», a écrit l'économiste Martin Lefebvre.
Ironie du sort, le premier geste du prédécesseur de M. Carney, David Dodge, avait aussi été une baisse des taux de 50 points de base.