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Le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) a le droit de demander d'examiner les états financiers des filiales et des sous-filiales de Power Corporation du Canada, a écrit vendredi un juge de la Cour supérieure dans une décision longuement attendue.

Le juge Robert Mongeon a écrit que le MEDAC, dirigé par l'actionnaire militant Yves Michaud, peut en effet demander à connaître l'état financier des composantes de Power tenues dans l'ombre depuis toujours, comme Gesca Ltée et ses sous-filiales que sont notamment La Presse Ltée, Cyberpresse Inc. et Les Éditions Gesca Ltée.

La direction de Power n'a pas voulu faire de commentaire. Le premier vice-président et avocat-conseil, Edward Johnson, n'a même pas voulu dire si la société porterait la décision en Cour d'appel.

Le litige est devant les tribunaux depuis le 18 mai 2006. La décision livrée vendredi, cependant, porte sur une requête plus récente de Power, qui souhaitait une intervention de la Cour pour carrément interdire au MEDAC de demander d'examiner les résultats financiers des filiales.

Power a souvent affirmé que les résultats de Gesca sont tenus confidentiels en raison de la concurrence. Dans un document déposé en Cour il y a deux ans, Power avait fait valoir que la divulgation des chiffres de Gesca «la placerait dans une position désavantageuse par rapport à quiconque, notamment son principal concurrent».

Au coeur du débat figure l'article 157 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Le premier alinéa stipule que «la société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales [...] dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers».

La loi ajoute qu'un actionnaire peut demander à voir les états financiers, mais qu'une société peut, de son côté, s'adresser aux tribunaux pour bloquer cet accès si elle est convaincue «qu'il serait préjudiciable à la société ou à une filiale».

Le juge Mongeon a écrit vendredi que la Loi canadienne sur les sociétés par actions a été rédigée de manière à fournir à un actionnaire l'accès non seulement à la comptabilité de la société dans laquelle il a mis son argent, mais aussi à celle des filiales et des sous-filiales.

«Autrement, l'actionnaire ne pourrait jamais apprécier le risque qu'il prend en acceptant d'investir dans le capital-actions d'une société donnée», a écrit le juge Mongeon.

«Empêcher un actionnaire de consulter les états financiers des filiales ou sous-filiales dont les résultats sont consolidés dans les états de la société en question conduirait à une aberration», poursuit le juge. Cela, a-t-il ajouté, «équivaudrait à dire à un actionnaire que les résultats qu'on lui communique ne peuvent même pas être soumis à un examen sommaire pour s'assurer, par exemple, que l'ensemble des recettes, mais surtout des charges, dont la société-mère hérite ont été adéquatement comptabilisées».

Privilégier la transparence

Le juge Mongeon est allé plus loin, écrivant qu'il est plus important que jamais de privilégier la transparence des entreprises. «Il faut bien comprendre que l'interprétation de l'article 157 recherchée par Power pourrait, bien malgré elle, bénéficier à des entreprises moins scrupuleuses qui pourraient faire porter certaines charges par leurs filiales ou sous-filiales que la consolidation ne refléterait pas nécessairement.»

Joint à sa résidence, M. Michaud était ravi de la décision, mais s'attendait à ce que Power porte la cause en appel. «Ils vont probablement nous traîner jusqu'en Cour suprême avec ça», a dit M. Michaud. La décision du juge Mongeon, selon lui, «est une grande première dans l'histoire des institutions financières, parce que cet article 157 n'a jamais été testé, invoqué par un actionnaire ou par un citoyen».

Ravi de la décision de la Cour supérieure, M. Michaud était par ailleurs encore fort troublé par l'assemblée des actionnaires de la Banque Nationale du Canada, où les multiples propositions du MEDAC ont été froidement accueillies la semaine dernière.

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