Portrait - Des molécules et des hommes

Louis Caillé, président d’Algorithme Pharma. L’entreprise reçoit chaque année dans sa clinique 7000 volontaires en parfaite santé pour tester des médicaments.
Photo: Pascal Ratthé Louis Caillé, président d’Algorithme Pharma. L’entreprise reçoit chaque année dans sa clinique 7000 volontaires en parfaite santé pour tester des médicaments.

Il a fallu un père professeur qui s'adonnait dans ses temps libres à la pharmacocinétique et un fils qui s'était spécialisé en informatique pour donner naissance à Algorithme Pharma, une entreprise de recherche contractuelle qui génère aujourd'hui des revenus de 50 millions, emploie plus de 400 personnes et reçoit chaque année dans sa clinique 7000 volontaires en parfaite santé qui acceptent de prendre des médicaments pour voir comment ceux-ci se comportent dans le corps humain.

En bref, la pharmacocinétique est «l'étude de la distribution dans le temps d'un médicament et des métabolites dans les différentes parties du corps, ainsi que son absorption, sa distribution, son métabolisme et son excrétion». En tant que professeur et chercheur en pharmacologie à l'Université de Montréal, il était tout naturel pour Gilles Caillé de s'intéresser à la pharmacocinétique, d'autant plus qu'il y avait une demande pour ce type de services. Ce fut pour lui à partir de 1970 une activité complémentaire à celle de ses occupations proprement universitaires.

Une décennie plus tard, son fils Louis est devenu un spécialiste en informatique, un champ d'action alors relativement peu répandu. Louis Caillé a eu l'idée de développer des logiciels pour accélérer le traitement des données provenant des études en pharmacocinétique de son père. En 1990, la première version de l'entreprise Algorithme Pharma prenait forme. Alors que la tendance générale parmi les petites entreprises qui concevaient des logiciels était de les vendre, M. Caillé a plutôt choisi de se limiter au créneau de la pharmacocinétique, ce qui lui a permis de se faire connaître parmi le monde de l'industrie pharmaceutique.

Puis, en 1992, Algorithme Pharma s'est fait gestionnaire de projets en acceptant des contrats de compagnies pour le traitement de leurs données et l'écriture de protocoles. Il sous-traitait par ailleurs avec les hôpitaux et les laboratoires privés pour les prises de sang et les prélèvements. Trois ans plus tard, l'entreprise touchait des revenus d'environ deux millions, provenant de quelques clients seulement. Il devenait cependant plus difficile de travailler en relation avec les hôpitaux et les laboratoires privés.

M. Caillé s'est associé alors avec le Dr Marc Lefebvre, spécialiste en pharmacologie. Un plan stratégique a été élaboré et, en 1996, Algorithme Pharma ouvrait son propre laboratoire et son centre d'essai clinique. Comme il fallait trouver de nouveaux clients, il devenait alors opportun de percer sur le marché européen.

Au Canada, chaque étude clinique doit être approuvée par le gouvernement canadien et un comité d'éthique indépendant. Chaque pays à ses propres normes et critères. Chaque étude «peut être auditée» dans tous les pays où le médicament est vendu. Il était évidemment important que le médicament reçoive l'aval de la Federal Drug Administration des États-Unis, mais pour que le médicament soit examiné, il fallait d'abord obtenir un contrat d'une société américaine. Cela s'est produit en 2000 et la FDA a effectué son examen l'année suivante.

Une forte croissance

«Ce fut le tremplin vers la croissance», raconte M. Caillé. Algorithme Pharma, qui a eu depuis des «auditions» au Brésil, en France et en Union européenne, a vu son chiffre d'affaires grimper de 600 % depuis 2002. En 2005, il a inauguré une clinique de sept millions de dollars comportant 240 lits au Centre médical de la rue Beaumont à Montréal. L'année suivante, il agrandissait son laboratoire adjacent à son siège social dans le parc technologique de la santé à Laval.

Ces installations permettent d'établir de 250 à 300 protocoles par année. Cela requiert la participation de 7000 volontaires, c'est-à-dire des personnes en bonne santé qui, moyennant rémunération, acceptent de mettre leur corps au service des études nécessaires. Algorithme Pharma compte présentement une centaine d'entreprises parmi sa clientèle et la majorité sont spécialisées dans les produits génériques. Il s'agit donc, dans ces cas, de faire des études pour assurer que le produit générique est tout à fait conforme à l'original. Cela suppose en général que le volontaire passe au moins deux tests: l'un avec le médicament original, l'autre avec le produit générique. Cela se fait avec un intervalle de sept jours. Selon les médicaments, il peut y avoir davantage de prises de sang.

Y a-t-il des risques pour la santé des volontaires? M. Caillé reconnaît qu'il y a toujours un risque, mais ces études se font toujours dans un environnement contrôlé, en présence d'un personnel médical professionnel; une procédure est en place pour réagir, si nécessaire. Il arrive parfois que certains ont des nausées ou des maux de tête. La clinique de la rue Beaumont, qui compte 240 employés, possède 200 lits et, normalement, un volontaire doit y rester pendant 48 heures pour qu'on vérifie le temps d'élimination du médicament dans le sang. Il y a aussi dans la clinique une section de 40 lits pour les tests qui sont faits sur de nouveaux médicaments, administrés pour la première fois à des êtres humains.

Dans les étapes à suivre dans l'homologation des médicaments, il y a d'abord celle des travaux pré-cliniques, avec les essais sur des animaux; la phase l suit avec un nombre limité d'humains en bonne santé pour vérifier le cheminement du médicament dans le corps; la phase ll implique un petit groupe de patients atteints de la maladie qu'on veut traiter; la phase lll porte sur un grand nombre de patients pour vérifier toutes les propriétés du médicament. Enfin, si les organismes réglementaires gouvernementaux reconnaissent l'efficacité du médicament, alors celui-ci peut être mis sur le marché.

Les volontaires d'Algorithme Pharma sont recrutés généralement par le truchement d'annonces dans les médias. La compensation financière qu'on leur verse varie de 700 $ à 4000 $, selon la durée du séjour en clinique et la fréquence des visites. Qui sont ces volontaires? En général, ce sont des gens de conditions modestes, d'où la décision d'avoir situé la clinique près d'une station de métro. Certains y viennent aussi pour pouvoir s'offrir un voyage, par exemple. Certains se portent volontaires une fois par année, d'autres quelques fois; il y a aussi des «professionnels», qui ne viennent que pour les cas les plus payants. Chaque volontaire subit une batterie de tests avant d'être accepté. Il doit toujours y avoir une période d'un mois entre deux participations. Des vérifications sont faites avec toutes les entreprises concurrentes pour s'assurer qu'un volontaire respecte les limites de temps prescrites.

Un partenaire financier

Sur la centaine de clients d'Algorithme Pharma, les deux tiers sont européens. Et pourquoi donc? Parce que la réglementation et la loi sont ici moins rigides qu'en Europe en ce qui concerne les échéances des brevets. On peut ici se mettre «en file d'attente» de l'expiration d'un brevet et les études sont moins coûteuses qu'en Europe.

En octobre dernier, M. Caillé a conclu un partenariat avec Kilmer Capital Partners, de Toronto, qui a pris une participation de 65 % dans Algorithme Pharma. MM. Caillé et Lefebvre, ainsi que Mme Claude Tremblay, directrice de la clinique, se retrouvent désormais avec 35 % des actions. Kilmer, un groupe financier, a ainsi fait une première incursion dans le secteur de la santé. «Il fallait un partenaire financier pour maintenir la même croissance», explique M. Caillé.

On observe un phénomène de concentration dans l'industrie pharmaceutique, et l'industrie des services n'échappe pas à cette tendance. «Nous sommes le plus gros des plus petits. Pour grandir, il faut y aller par acquisition et, pour cela, il faut beaucoup d'argent», explique Louis Caillé, qui demeure président de l'entreprise. L'objectif est d'effectuer des acquisitions aux États-Unis et en Europe, tout en poursuivant l'expansion au Canada. Avec un dollar canadien à parité avec celui de notre voisin, Algorithme Pharma a connu une baisse significative de ses revenus depuis 18 mois, d'où la volonté de compenser par des acquisitions, qui sont rendues plus faciles aux États-Unis à cause précisément de cette parité. L'objectif de M. Caillé est de porter le chiffre d'affaires à près de 200 millions d'ici quatre ans.

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