Des lofts de génération X

En réalisant le projet résidentiel GENX1 à deux pas du marché Maisonneuve, à Montréal, le promoteur Jean Lachapelle et les architectes de Forme Studio ne se doutaient pas que les acheteurs allaient aussi bien interpréter les espaces construits. En plus de se montrer très réceptifs au dispositif architectural et à la qualité des détails dans les logements, les nouveaux propriétaires ont marqué un vif intérêt pour personnaliser leur milieu de vie en prolongeant le travail de création des architectes par un aménagement intérieur qui reste dans l'esprit du concept.
Montréal est une ville pleine de potentiel. Malheureusement, elle croule sous les projets immobiliers médiocres qui ne font que rabaisser son paysage et qui renvoient l'image d'une société assez peu ouverte aux nouveaux modes d'habitation et aux courants de création actuels. Dans ce constat, tout le monde a sa part de responsabilité.D'abord, la municipalité, qui octroie des milliers de permis et autorise la construction d'autant d'horreurs. Ensuite, les acheteurs, qui continuent d'investir de grosses sommes d'argent dans des appartements de carton qui ne sont que de mauvais pastiches d'une architecture révolue. Enfin, il faut blâmer la loi et la société, qui pensent encore qu'un promoteur est un architecte...
À chacun son métier: un architecte étudie pour acquérir certaines connaissances pointues et complexes non seulement en architecture mais aussi en histoire, en composition spatiale, en sociologie, en physique, etc. L'architecte consciencieux s'intéresse généralement aux nouvelles esthétiques et vise des degrés supérieurs de confort et de qualité.
Bref, dans un monde idéal, l'architecte devrait pouvoir faire son travail tout en étant appuyé par la Ville et par le promoteur. Ce dernier devrait aussi faire sa part en écoutant l'architecte sans empiéter sur son travail. Enfin, l'acheteur devrait se renseigner un peu plus, comparer, remettre en question et pousser au changement. Cela n'arrive jamais? Oui, parfois, le miracle se produit, et ici, il s'appelle GENX1...
Le promoteur Jean Lachapelle avait senti qu'une partie de la population n'était pas satisfaite du parc immobilier actuel. Il a eu envie de réaliser un projet résidentiel destiné à la génération X, cette tranche de population aux valeurs nomades et à l'attitude parfois cynique, toujours dans la contre-culture en réaction aux baby-boomers... «Le client est beaucoup plus ouvert que ce qu'on peut imaginer, explique Jean Lachapelle. Si on lui donne le choix entre une copie de ce qui se fait ailleurs et du changement, il choisit souvent le changement si celui-ci est de qualité, demeure abordable et lui ouvre de nouvelles perspectives de vie. Lorsque nous avons lancé le projet GENX1, nous voulions aller chercher des propriétaires différents et leur proposer un mode de vie à leur image», précise-t-il.
Il a fait appel aux architectes Guy Morand et Yves Émond, de Forme Studio, pour concevoir 31 lofts semi-fermés qui se développent sur un ou deux niveaux. «Nous sommes dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, au passé industriel très important, souligne l'architecte Yves Émond. Ce projet est entièrement neuf, mais il a été conçu dans cet esprit industriel.»
Maximiser l'espace
Une des particularités du projet est la taille des lofts, qui fait majoritairement 700 pieds carrés, ce qui est très petit. «Nous avons travaillé sur le plan et la volumétrie pour maximiser chaque pied carré, dit l'architecte. Il y a un certain esprit européen dans le concept puisque la qualité des espaces, l'éclairage naturel, les perspectives et les détails de construction ont été privilégiés par rapport à la surface du logement.»
Tous les lofts offrent des planchers de bois et des plafonds de neuf pieds de haut en béton brut. Les ouvertures sont d'immenses baies vitrées métalliques qui baignent l'intérieur d'une lumière abondante. «L'acoustique est parfaite, souligne Isabelle, propriétaire au quatrième étage. Ce qui m'a séduite ici, c'est le langage architectural épuré à consonance industrielle. Par exemple, dans mon escalier, j'aime le mélange de béton brut qui émerge entre le bois et la blancheur du mur. J'aime aussi la main courante en métal et le garde-corps en plexiglas épais. Ce sont des détails qui me parlent et dans lesquels je trouve un sens et une beauté. Je n'ai pas vu ce niveau de détail dans les projets visités auparavant.»
Presque tous les lofts ont un plan carré qui s'organise autour d'un bloc architectural abritant les services et les parois coulissantes. Ce dispositif permet de répartir tous les espaces de vie en circonférence du bloc sans avoir recours à aucun couloir ni à aucun obstacle. Tout circule librement autour du bloc central: les habitants, la lumière, les vues, la chaleur. Le propriétaire peut prendre son bain dans sa chambre, mais il peut aussi décider de refermer la salle de bains en faisant glisser une paroi qui a été soigneusement dissimulée à l'intérieur du mur...
Même chose pour la cuisine: les comptoir et les dessertes sont sur roulettes, ce qui permet de les déplacer pour agrandir l'espace de la cuisine ou changer la configuration de la salle à manger.
En plus de cette modularité offerte aux propriétaires, les architectes et le promoteur leur ont donné la possibilité de personnaliser leur logement. Le bloc central pouvait être habillé de métal gris clair, de céramique ou de bois, donnant une empreinte complètement différente aux espaces. «Le revêtement du bloc architectural était souvent le point de départ pour aider les propriétaires à composer leur habitat, précise Yves Émond. Beaucoup sont venus nous voir pour que nous les aidions à terminer l'aménagement de leur cuisine, à choisir les tons de céramique ou les teintes de bois des placards en fonction du bloc et en fonction de leur mobilier. D'autres ont voulu déplacer leur salle de bains, l'ouvrir ou la fermer davantage. Cette liberté dans la composition du logement et cette participation du public ont donné lieu à un plus grand respect pour l'architecture existante.»
De grandes terrasses
De la rue Aird, qui borde la façade du projet, on peut admirer l'impressionnante marquise de métal noir qui a été percée d'un carré pour laisser s'échapper la pointe d'un conifère. La façade du projet est expressive et offre un clin d'oeil aux architectures industrielles avoisinantes. Elle répond aussi au bâtiment quasi mitoyen, qui a été classé patrimoine architectural par la Ville et qui abritera la deuxième phase du projet, GENX2. «Nous avons conçu GENX1 en pensant au bâtiment industriel à côté, précisent les architectes Yves Émond et Guy Morand. Au rez-de-chaussée, les jardins des deux bâtiments communiqueront entre eux. Aux étages, ce seront les balcons en métal déployé qui dialogueront entre eux pour faciliter les échanges sociaux.»
GENX1 offre à tous les propriétaires de grandes terrasses qui longent les logements. Aux étages supérieurs, ces espaces extérieurs sont reliés entre eux et conduisent à une immense terrasse commune, une sorte de jardin suspendu qui offre une vue à 360 degrés sur les Cantons de l'Est, en passant par le pont Jacques-Cartier et jusqu'au Stade olympique et aux pyramides. «C'est un des rares projets immobiliers sur lesquels j'ai travaillé où les acheteurs ont spontanément développé une vie sociale entre eux. Ils s'invitent, se donnent rendez-vous sur les balcons ou font des barbecues sur la terrasse commune», dit l'architecte, sourire aux lèvres.
Un bon projet découle forcément d'un bon architecte et d'un bon client. Mais pour que ce projet vive, il faut aussi un bon public qui se l'approprie, qui le comprenne et qui sache le réinterpréter.
emmanuelle.vieira@gmail.com
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- Yves Émond et Guy Morand, architectes, Forme Studio, formestudio@formestudio.ca, tél: 514 279-6066.
- Jean Lachapelle, promoteur, X.ception design, www.loftgenx.com.
Collaboratrice du Devoir