Portrait - Quand une entreprise familiale prend le virage de la jeunesse

À quelques mois seulement de la célébration de son cinquantième anniversaire, Médicus a déjà pris le virage de la jeunesse, aussi bien dans son leadership que dans son organisation structurelle, en vue d'une croissance qui fera passer cette PME au statut de moyenne entreprise, sans pour autant lui faire perdre son caractère de propriété familiale. Avec le vieillissement d'une population qui ne veut pas vieillir, «il y a un marché énorme qui s'en vient et nous sommes plusieurs à vouloir l'exploiter», constate Jacinthe Bleau, patronne de Médicus depuis trois ans.
Cette évolution s'inscrit toutefois dans le cadre d'une culture d'entreprise familiale très forte. Jean-Claude Bleau, fondateur de Médicus en 1957, faisait partie d'une famille de neuf enfants, il en a eu lui-même sept, et sa fille, Jacinthe, en a cinq. Le grand-père Bleau avait un magasin de chaussures rue Sainte-Catherine Est, et le confort des pieds de ses clients était important pour lui. C'est sans doute ce qui a amené Jean-Claude à s'intéresser aux pieds et à ouvrir un laboratoire d'orthèses et de prothèses, un service d'ajustement de chaussures et de fabrication de souliers orthopédiques.Des médecins faisaient appel à ses services pour offrir de nouveaux produits, particulièrement lors d'épidémies de poliomyélite. M. Bleau s'est constamment perfectionné en suivant divers cours, à commencer par celui du Dr Scholl. En 1966, il est allé en Allemagne, où les ravages de la Seconde Guerre mondiale avaient laissé la moitié de la population éclopée d'une façon ou d'une autre, ce qui avait poussé les spécialistes à mettre au point de nouvelles méthodes consistant par exemple à remplacer le cuir et l'acier utilisés dans les appareils par le plastique, plus léger, durable et confortable. M. Bleau fut le premier à implanter les nouvelles techniques ici et à les adapter aux conditions climatiques, ce qui a contribué à sa notoriété parmi les professionnels de la santé. Il a fait de fréquents voyages en Europe et aux États-Unis; il fut encore le premier à offrir au Québec des produits de stimulation électrique, des souliers moulés, etc.
Toujours présent
Après avoir débuté dans un modeste local rue Reine-Marie, M. Bleau s'est installé rue Saint-Laurent, où Médicus est d'ailleurs toujours présent. Il a ouvert des cliniques dans la plupart des hôpitaux francophones montréalais. Lorsqu'on fait de la distribution, explique-t-il, il faut presque devenir fabricant: les orthèses et les prothèses sont impossibles à fabriquer en série, car on doit les adapter et les ajuster à chaque utilisateur. En outre, dans le cas des gens qui passaient dans les cliniques des hôpitaux, il fallait préparer l'orthèse en l'espace de deux heures, puisque certains des patients venaient de l'extérieur de Montréal.
Quoi qu'il en soit, en cinq décennies Médicus a constamment progressé. Le chiffre d'affaires augmente en moyenne de 6 % par an depuis cinq ans et dépasse 12 millions cette année.
L'entreprise emploie 150 personnes et compte sept succursales, 19 points de services dans des hôpitaux et 11 centres affiliés un peu partout au Québec. Ces centres emploient un personnel formé par Médicus pour le service d'orthèses et de prothèses, mais demeurent indépendants pour tous les autres services offerts. L'entreprise est constituée sous la forme d'un holding familial, détenu à 80 %, à parts égales, par M. Bleau et ses sept enfants. Jacinthe Bleau, en tant présidente et directrice générale détient en propre une participation de 20 %, qui s'ajoute aux 10 % correspondant à sa part dans le holding. Mme Bleau est la seule de la fratrie à travailler chez Médicus, officiellement depuis 27 ans et après être passée par tous les services, du lavage des planchers à la direction générale.
Elle s'est spécialisée de multiples façons: baccalauréat en kinésiologie à l'Université de Montréal (bio-mécanique, neuro-cinétique), stages avec bourses dans diverses institutions aux États-Unis, à Toronto et en Suisse, cours en orthèse du tronc, du pied. etc. et même en acupuncture.
Pendant des années, son père lui a demandé de prendre la direction de l'entreprise, mais elle ne s'y est pas sentie pas prête avant 2003, à la condition toutefois de faire des études en administration. Tout en travaillant comme directrice-générale et en s'occupant de sa famille, elle a étudié en administration à l'UQAM, qui lui accordera dans les prochains jours son diplôme de MBA. Mme Bleau n'y a pas perdu son temps, puisque ses cours à l'université lui ont permis de réfléchir à la transformation de l'entreprise familiale qu'elle souhaite recentrer sur l'avenir, d'abord en définissant un nouvel organigramme comprenant quatre grandes directions: finances, production, recherche-développement et ressources humaines. Mme Bleau, qui tient beaucoup à demeurer en contact constant avec la clientèle, est soutenue par un adjoint dans les tâches d'administration. Le conseil d'administration est présidé par le fondateur, qui lui aussi, même à 75 ans, aime rester en contact avec son métier premier, c'est-à-dire les orthèses et prothèses.
Médicus, qui visait traditionnellement une clientèle relativement âgée et plus ou moins handicapée, veut rajeunir son image et a déjà remodelé sa stratégie de marketing. Désormais, son slogan pourrait être: «Venez nous voir, si vous voulez rester jeune plus longtemps.» Ce repositionnement a commencé l'an passé avec l'ouverture d'un «magasin modèle» au Centropolis à Laval, à proximité d'un centre sportif et de commerces tels que La Cordée et Bernard Trottier. Médicus entend profiter des avancées technologiques pour évaluer plus avant les mouvements du corps humain et prévenir ainsi des blessures éventuelles plus graves. À cet égard, l'équipe de recherche- développement travaille en étroite collaboration, sur des projets particuliers, avec plusieurs universités, ainsi que le CNRS, que ce soit avec ou sans subventions. Mme Bleau précise que Médicus a déjà investi 2,5 millions pour mettre au point une type de prothèse du genou. L'idée de base est d'offrir des appareils compatibles avec l'objectif d'éliminer les orthèses. On a ainsi conçu des orthèses particulières pour chaque type de sport. Le choix des matériaux est lui aussi important.
Après le «magasin modèle», Médicus ouvrira en janvier prochain, chemin Rockland à Montréal, un «magasin sport» destiné à une clientèle composée de l'élite sportive et des sportifs de fin de semaine désireux d'avoir les meilleurs équipements adaptés à leurs besoins.
C'est la spécialité de Mme Bleau, qui travaille déjà avec l'élite sportive depuis plusieurs années; elle a notamment collaboré avec Sport Canada, le Cirque du Soleil, l'équipe des Alouettes et le club de hockey Canadien. Médicus a également travaillé en collaboration avec Vithcom, l'entreprise de Québec qui a inventé la jambe bionique, une prothèse qui doit nécessairement s'ajuster au reste du corps.
Médicus a depuis longtemps une compagnie de distribution, Ortho Dynamic, qu'elle veut aussi relancer. On retrouve de tout dans ses magasins, y compris des chaises roulantes fonctionnant à l'électricité. Médicus a d'ailleurs toute une flotte de chaises roulantes qu'elle peut louer à de grands magasins pour leurs clients. En fin de semaine dernière, elle en a loué 150 pour un groupe en visite à l'Oratoire Saint-Joseph. Il y a là aussi un créneau de développement possible. En outre, Mme Bleau songe à ouvrir dans environ trois ans de nouveaux magasins qui offriront un service de conseil aux clients, de manière à concurrencer les pharmacies et les Wal-Mart, qui vendent de nombreux produits, tels que cannes, béquilles, semelles, etc. Ce serait alors en quelque sorte des «home care dépôt». Enfin, comme les fabricants de chaussures spécialisées se font de plus en plus rares et qu'il y a justement un manufacturier à vendre, Mme Bleau avoue se pencher sur ce dossier, tout en gardant un oeil du côté de la Chine, présente dans ce secteur comme dans bien d'autres.
Toutefois, la plus grosse nouvelle à venir de la part de Médicus sera probablement l'annonce d'une fusion, ce qui sera une façon accélérée de faire grandir l'entreprise dans un marché très fragmenté. Mme Bleau envisage une croissance dans les provinces canadiennes. Pour l'instant, Médicus n'est présent qu'à Ottawa. Il a de plus des clients aux États-Unis, et il a un potentiel important de pénétration sur les marchés de Nouvelle-Angleterre. Même sans acquisition, Médicus prévoit d'atteindre des revenus de 20 millions dans cinq ans.
La famille Bleau aura-t-elle besoin de capitaux extérieurs pour assurer la croissance de l'entreprise? Le holding est un vase communiquant pour l'instant autosuffisant, répond la présidente. Une fusion ne nécessiterait pas de capitaux extérieurs. Et puis, Médicus a un bon banquier. Et la bourse? «Ce serait la dernière des options.» Médicus a reçu cette année un prix Genesis, dans la catégorie Entrepreneurship et Technologies de la santé.