Les Chinois s'avancent dans le multimédia
La salle est pleine. Des jeunes, des plus vieux, quelques têtes grisonnantes, des étudiants, des gens de l'industrie. Or parmi les délégations inscrites au festival international Möbius, qui récompensera demain la crème de ce qui se fait dans le multimédia, une délégation est nettement plus grosse que les autres: celle des Chinois.
Une trentaine d'années après que le Japon eut investi l'industrie de l'automobile, troquant progressivement le bonnet d'apprenti pour l'habit du maître, voilà que la Chine fait ses armes dans la conception multimédia (CD-ROM, DVD-ROM et sites Web) et la production de jeux vidéos. Un pays bouillonnant qui commence à peine à s'initier au monde virtuel.Réunie au Musée Juste pour Rire hier, la délégation chinoise, qui compte environ 25 personnes et a soumis quatre des 27 oeuvres présentées au concours, se fait humble.
«Nous sommes ici pour étudier, étudier, et encore étudier», dit son chef Xie Mingqing, vice-président de l'Association des éditeurs chinois, dont le discours est un étonnant mélange de références au développement du multimédia et au docteur Norman Bethune.
Cet apprentissage doit se faire vite, car l'appétit des Chinois pour le jeu vidéo est vorace, surtout pour les jeux en ligne où ils peuvent se mesurer à leurs amis. Selon une étude publiée en avril par la firme de recherche Niko, le marché croîtra de 25 % par année au moins jusqu'en 2010. Il aura alors triplé en seulement cinq ans pour atteindre 2,1 milliards $US. En guise de comparaison, l'ensemble du marché américain, y compris les consoles de jeu et les accessoires, était l'an dernier d'environ 10 milliards $US. Les trois grands producteurs chinois — Shengda, Netease et Nine Cities — sont d'ailleurs déjà cotés sur le Nasdaq...
Le festival Möbius, qui a déjà eu lieu à Athènes, Paris et Pékin, est un lieu de partage, une occasion de récompenser les progrès dans la conception d'outils interactifs, d'encyclopédies 3D, de jeux, de DVD-ROMs et de sites Web provenant d'un peu partout dans le monde.
Parmi les autres pays participant figurent le Canada, la France, la Grèce, la Finlande, l'Allemagne, le Brésil, l'Espagne, l'Italie et la Suisse.
Pour la première fois, cependant, l'événement a ajouté une demi-journée de nature «professionnelle». Pourquoi? Les Chinois. Ils souhaitaient rencontrer les gens du milieu montréalais, et pas seulement les autres délégations.
«Nos gens viennent pour apprendre, dit Xie Mingqing lors d'un entretien avec une interprète. C'est comme ça qu'ils améliorent leurs techniques. Nous ne pouvons pas tout faire tout seuls!» Lorsque les constructeurs automobiles japonais ont augmenté leur production dans les années 70, les Américains ont ri. Trente ans plus tard, Toyota fait trembler Détroit. La Chine fera-t-elle de même dans le jeu vidéo? «Nous n'avons pas tellement l'ambition de dominer le marché, dit Xie Mingqing, dont l'association compte 550 éditeurs. Nous avons nos points forts, vous aussi.»
Marché en or
Chose certaine, les Chinois ont fait des progrès immenses, dit Jean-Paul Lafrance, titulaire de la Chaire Unesco-Bell en communication et développement international, à l'UQAM. C'est la Chaire qui organise les prix Möbius cette année, et M. Lafrance en est donc le commissaire. Ce qu'ils faisaient au début n'a rien à voir avec leurs soumissions aujourd'hui. «C'est ultra-léché», dit-il.
Les Chinois, pour acquérir les techniques venant de l'extérieur, ont en quelque sorte ouvert la porte. Le marché chinois représente par conséquent une occasion fantastique pour les créateurs montréalais, dit M. Lafrance. «Mais il faut de la patience, il faut tisser des liens, il faut gagner leur confiance.»
En avril dernier, l'étude de Niko indiquait en effet qu'une entreprise étrangère voulant mettre le pied en Chine devait comprendre quelques éléments essentiels. «Non seulement est-il impératif de saisir les préférences et les demandes des joueurs chinois, mais les compagnies étrangères doivent aussi développer des jeux qui se conforment en tous points à la réglementation sévère du gouvernement chinois.» Le marché chinois, pouvait-on lire, est «différent» des autres, et demande «persévérance et innovation dans les modèles d'affaires pour y connaître du succès». Sans oublier la langue...