S'adapter ou périr

L'industrie québécoise du textile commence à se faire à l'idée qu'elle devra dorénavant s'adapter sans cesse aux conditions changeantes du marché et des règles commerciales.
Il fut un temps, pas si lointain, où des entreprises du secteur pensaient pouvoir fabriquer le même produit pendant 30 ans, a rappelé hier François Lapierre, vice-président de Cosoltex, le plus important fabricant de textile au Canada, en marge de l'événement HIGHTEX 2006, qui réunit encore aujourd'hui plus de 500 professionnels de l'industrie au Centre des sciences de Montréal. «Maintenant, on n'imagine pas continuer de faire le même produit plus de trois ou quatre ans. Cela n'a rien d'extraordinaire. Bombardier non plus ne pourrait pas se permettre de toujours faire les mêmes avions d'année en année.»Il ne serait venu à l'idée de personne de comparer l'industrie textile et l'aéronautique avant l'entrée en vigueur de l'Accord nord-américain de libre-échange (ALENA) et l'arrivée de nouvelles puissances commerciales comme la Chine. Depuis, l'industrie canadienne du textile, qui est aux deux tiers québécoise, a été brutalement placée devant l'alternative de s'adapter ou de périr.
À la fin des années 80, la compagnie JB Martin était réputée pour son velours de grande qualité. «Nous avions une usine au Canada, une aux États-Unis et une au Mexique, se souvient son président, Nicolas Juillard. Après l'ALENA, il est apparu clair que les activités des installations au Canada étaient condamnées. Il a fallu se diversifier.»
Aujourd'hui, JB Martin fabrique des textiles techniques employés dans la fabrication de pales d'éoliennes, de camions, d'avions, de trains, ou encore de vestes pare-balles. Consoltex fabrique de son côté les tissus spéciaux employés entre autres dans la fabrication des vêtements des militaires, des pompiers et des techniciens d'Hydro-Québec. D'autres font des «tissus intelligents» qui s'adaptent aux conditions climatiques ou des matériaux utilisés lors de greffes.
L'industrie canadienne n'est pas toute passée aux textiles techniques et industriels. Ce type de produits constitue un peu plus du quart d'un chiffre d'affaires total de huit milliards et des quelque 140 000 emplois du secteur. Mais il se classe tout de même aujourd'hui devant les trois autres principaux secteurs d'activité, qui sont la production de tapis, celle des textiles utilisés pour les meubles, les rideaux ou les draps des maisons, et surtout la fabrication de textiles vestimentaires, qui comptait encore pour le tiers de la production il y a dix ans et qui n'en représente plus que le cinquième.
Quel que soit le domaine de spécialité, les entreprises ont compris depuis belle lurette qu'elles ne peuvent plus compter que sur le marché canadien, note Richard Cormier, vice-président du Groupe CTT, l'organisme que s'est donné l'industrie pour l'aider à faire de la R&D, à développer de nouveaux marchés et à mieux se concerter.
La part de leur production qui est exportée est ainsi passée de 18 % en 1990 à près de 50 % aujourd'hui.
Le principal marché étranger reste évidemment les États-Unis, mais on cherche ailleurs. La levée de nouveaux obstacles commerciaux ces dernières années, par les Américains, a en effet servi de réveil, dit-il. «On a organisé 15 missions commerciales depuis 2003. On s'est rendus en Europe, mais aussi en Chine, au Brésil, et on se prépare à aller en Inde.»
«Les règles commerciales internationales sont des choses mouvantes, constate Nicolas Juillard. Il faut être prêt à réagir afin de trouver de nouveaux marchés et de nouveaux produits»
Plus petite et plus efficace
La partie est loin d'être gagnée, même si le Québec et le Canada sont en train de se forger un belle réputation à l'étranger. Le recul du volume total de la production canadienne n'a été que de 4 % au cours des dix dernières années, mais il a dépassé les 20 % au cours des cinq dernières années.
Il faudra se faire à l'idée, dit Richard Cormier, que l'ère des grandes usines comptant 500 ou 600 employés est révolue et que l'avenir appartient désormais à de petites entreprises de 40 à 60 employés capables d'occuper des créneaux spécialisés et de s'adapter rapidement aux changements de circonstance. «Il est possible que notre chiffre d'affaires total baisse encore dans les prochaines années. Mais si cela veut dire une production à plus forte valeur ajoutée avec de meilleures marges de profit, je crois que c'est plus sain.»
François Lapierre partage cette opinion. Consoltex a déjà compté sept usines au pays. Elle n'en a plus que deux. «La production de masse est terminée au Canada. Il faut avoir la vision de choisir les types de produit qui nous semblent les plus prometteurs et être capable de changer lorsque les besoins du marché évoluent.»
Nicolas Juillard aimerait bien que les gouvernements fassent preuve de la même capacité de réaction au moment de venir en aide à l'industrie canadienne. Comme les autres, cette dernière a besoin d'un urgent coup de pouce pour faire face à l'envolée du dollar canadien et à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Elle ne dédaignerait pas non plus, dit-il, qu'on la défende plus férocement lorsque des partenaires commerciaux prennent des libertés avec le principe de libre-échange, ou qu'on pense à elle lorsque se présente l'occasion, par exemple, de lui donner des contrats d'éoliennes.