Perspectives - Le contraste

Le contraste demeure. Le Canada refuse toujours de se laisser entraîner par la morosité économique des États-Unis. Avec un marché de l'emploi suscitant toujours la surprise, on ne peut qu'apprécier les subtilités d'un taux de change flexible. Avis aux tenants de la dollarisation...

Quoique faisant ressortir une certaine décélération, les données sur l'emploi de septembre confirment cette vigueur surprenante du marché du travail au Canada depuis le début de 2002. Elles viennent s'ajouter à cette liste d'indicateurs militant en faveur d'un durcissement des conditions monétaires de ce côté-ci de la frontière. Mais pour l'heure, la Banque du Canada est condamnée à la retenue avec une Réserve fédérale américaine (Fed) prisonnière de ses taux ramenés à leur plus bas en 40 ans.

Le marché de l'emploi canadien continue de défier bien des scénarios. Avec une création nette de 427 000 emplois entre janvier et septembre, en hausse de 2,8 % dans l'intervalle, les prévisionnistes s'étonnent encore de cette capacité de l'économie canadienne à conserver ses distances par rapport aux ratés observés au sud de la frontière. L'économiste de la Financière Banque Nationale, Vincent Lépine, a fait remarquer que, depuis le début de la récession américaine, le Canada a gagné 452 000 nouveaux emplois alors que les États-Unis en ont perdu 1,6 million.

Le contraste est encore plus frappant dans le compartiment manufacturier. Après neuf mois, le nombre d'emplois dans ce secteur était en hausse de 132 000, ou de 5,9 %, au Canada. Mais en baisse de 2,4 % aux États-Unis. «Au cours de la dernière année, il semble que plusieurs emplois du secteur manufacturier ont été transférés des États-Unis vers le Canada», a ajouté Vincent Lépine.

Tout un contraste, donc, qui se vérifie également par une reprise encore balbutiante aux États-Unis alors que l'économie canadienne trône au premier rang du G7 au chapitre de la croissance. Qui se vérifie également par cette possibilité qu'a eue la Banque du Canada de prendre ses distances par rapport à son homologue américain en empruntant le chemin de l'austérité monétaire en avril dernier, comparativement au statu quo de la Fed.

Mais après trois hausses de 25 points, et un écart entre les taux directeurs creusé à 100 points, la banque centrale canadienne peut difficilement poursuivre dans son isolement. Elle ne peut faire fi des risques externes même si les pressions internes demeurent fortes. D'autant plus que l'on mise encore, au sud, sur un nouvel allégement des taux d'ici la fin de l'année.

Le contraste est frappant, donc, et peut difficilement être dissocié de cette différence observée dans les moyens d'action. L'arme de la politique monétaire trouve sa pleine efficacité lorsqu'une action sur le loyer de l'argent est accompagnée d'un réajustement des taux de change. Une appréciation de la monnaie vient amplifier l'effet d'une hausse des taux, l'inverse étant vrai.

On l'a vu lors de cette détente monétaire de 2001, l'une des plus importantes pratiquées par la Fed. Il y a eu 11 replis du taux directeur, pour un recul total de 475 points, dans ce qui a été qualifié d'assouplissement monétaire historique. Or, avec un dollar américain demeurant fort, la Fed a été poussée dans ses derniers retranchements, atteignant une zone où tout assouplissement additionnel devient symbolique. Au plus grand désarroi des manufacturiers américains.

La marge de manoeuvre était plus grande pour la Banque du Canada, qui a pu compter sur un recul du dollar canadien pour limiter la diminution de son taux directeur. Avec pour conséquence qu'aujourd'hui la Fed ne peut qu'espérer alors que la Banque du Canada ne peut qu'attendre.

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