Les courtiers touchés par la correction actuelle - Sueurs froides en Bourse

Photo: Agence Reuters

Sueurs froides, ulcères d'estomac et crises d'angoisse. Plusieurs courtiers en valeurs mobilières vivent, et pour des raisons évidentes, la débâcle des marchés financiers de façon horrible. Les temps sont durs pour ceux dont les revenus dépendent directement de l'actif boursier sous leur responsabilité.

«L'ambiance n'est pas diable, et c'est normal, raconte un conseiller financier d'expérience. Ça ressemble à ce qu'on a vécu en 1987. Que voulez-vous? Cela fait partie du métier. L'argent est au coeur de notre profession et il y a des cycles dans le marché.»

Cette réflexion plutôt philosophique, plusieurs autres courtiers se la font. Reste cependant que le climat est morose et qu'une bonne tranche d'entre eux engrangent moins de sous qu'avant. «Le moral n'est pas très fort, mais on réalise que les conseillers les plus expérimentés et qui ont des actifs sous gestion plus importants s'en tirent mieux», souligne un autre courtier.

Pour les jeunes, c'est une tout autre histoire, ajoute-t-il. «La plupart sont entrés dans le métier quand les marchés allaient bien et ils n'ont connu que la croissance. Maintenant, les indices reculent et ils ont peur parce que les clients sont mécontents et qu'il leur faut un coupable. Et comme le conseiller est au centre de tout cela, on les met au banc des accusés. Plusieurs culpabilisent, même si une foule d'analystes et de fellow en valeurs mobilières n'ont rien vu venir.»

Ainsi, peu d'investisseurs acceptent la responsabilité d'avoir perdu de l'argent en Bourse. «On ne joue pas à la Bourse, on y investit, rappelle un courtier. Cet investissement vient avec des risques. Si votre maison valait 350 000 $ l'an dernier parce que le marché immobilier était en effervescence et qu'elle ne vaut plus que 250 000 $, allez-vous blâmer votre agent immobilier de ne pas vous avoir appelé? C'est exactement ce que le client nous demande et c'est difficile de rationaliser tout cela.»

Une purge

Le mot qui circule dans le milieu présentement est que la crise qui secoue les marchés va servir de purge, soutient Claude Breton, rédacteur en chef du Magazine Finance. «On dit souvent que la moitié des représentants financiers ont l'éthique douteuse ou sont mauvais vendeurs. D'un côté, c'est triste qu'il y ait des gens qui ont de la difficulté à mettre du pain sur la table, mais d'un autre côté, cette épuration est peut-être saine.»

Oui, il y a bel et bien des gens qui partent volontairement, confirment les conseillers financiers interrogés par Le Devoir. «Il faut avoir les reins financiers assez solides pour tenir le coup, explique un représentant. Et il faut ajuster son train de vie en fonction de ce qui se passe. Plusieurs ont de la difficulté à le faire. Chez nous, la plupart des gens détiennent plusieurs permis. Alors, si ça ne va pas bien dans les valeurs mobilières, on se tourne vers autre chose en attendant.»

Mais encore, le départ des moins bons favorise ceux qui restent en place. «Si 20 % des conseillers disparaissent demain matin, qui va hériter de leurs clients? C'est la loi de la jungle, souligne un courtier. Ce n'est pas le premier krach que je vis, c'est mon troisième. Le problème cette fois-ci est cependant tout autre. On vit une correction et personne ne sait quand la situation va changer.»

Le mode de rémunération est peut-être le grand coupable de cette morosité au sein de la profession. Encore aujourd'hui, la majorité des courtiers encaissent uniquement des commissions. Leur salaire fluctue donc en fonction du nombre de transactions qu'ils effectuent. «Ça pousse le conseiller à multiplier les ventes. Et quand le marché va mal, c'est de plus en plus tentant de le faire», souligne Claude Breton.

Il ajoute que la tendance aux États-Unis est d'offrir un salaire correspondant à un pourcentage de l'actif sous gestion. De cette façon, pense-t-on, les travailleurs sont moins dépendants des fluctuations du marché. Et ils ont les coudées franches pour travailler vraiment à l'érection d'un actif à long terme.

L'approche prudente

Un courtier a confié au Devoir qu'il se trouvait dans une situation plutôt particulière. Contrairement à la vaste majorité, sa petite boîte a refusé de monter à bord du navire des technologies. Résultat: la tempête financière l'affecte peu. «Il a fallu se battre très longtemps pour convaincre les gens. On a même perdu un certain nombre d'actifs en chemin. Aujourd'hui cependant, nos clients reconnaissent notre discipline et notre rigueur. Le plus difficile dans notre métier, c'est de marcher à contre-courant et d'empêcher les gens de faire des folies.»

Et il n'y a pas que cela. Échaudés par la déconfiture boursière, des investisseurs reviennent frapper à la porte de cette boîte à l'approche prudente. «On reçoit beaucoup de gens qui ont perdu des sommes faramineuses et qui ont dû repousser l'âge de leur retraite. Nos affaires vont à l'opposé de ce qui se passe ailleurs. Depuis un an, les actifs sous notre gestion ont augmenté de 14 %, ce qui est énorme. Et ce n'est pas parce que la Bourse est en progression.»

Mais tout n'est pas gris. Comme la plupart des firmes de courtage en valeurs mobilières sont propriété d'institutions financières, elles bénéficient du fait que les banques ne vont pas si mal et du fait qu'elles ont un important réseau de distribution. «Leur stratégie de développement est d'être capables d'offrir tous les produits financiers à leurs clients, signale Claude Breton. Le planificateur financier est au centre de cette stratégie. Si cette personne n'a pas tous les permis, elle doit référer son client à un courtier en valeurs mobilières.»

Prudence. Tel semble cependant être le mode d'emploi actuellement au sein de la profession. «Il faut décider d'un montant qu'on ne veut absolument pas perdre afin d'être très prudent avec cet argent et prendre des risques avec le reste, croit un courtier. La plupart de mes clients sont tristes, mais ils ne sont pas frustrés contre moi. Ils sont conscients que le marché ne peut pas demeurer négatif. [...] Et ce n'est pas parce que le marché va mal que les gens n'ont pas besoin de conseils.»

À voir en vidéo