Sondage Léger Marketing - Le Québec se méfie de la mondialisation
Société distincte tenace, le Québec n'a abandonné le titre de province canadienne la plus ouverte à la mondialisation que pour se hisser aussitôt au rang de la province la plus critique.
Rapportés sommairement dans les journaux en début de semaine, les résultats d'un récent sondage Léger Marketing constituent, à l'examen détaillé, un choc pour quiconque avait retenu, depuis l'Accord canado-américain de libre-échange, que les Québécois étaient les plus fervents partisans du processus de mondialisation en cours. En effet, ceux-ci ressortent, dans ce nouveau portrait, presque chaque fois comme les plus sceptiques au pays quant aux retombées positives que peut apporter la mondialisation, comme les plus critiques quant à ses principaux bénéficiaires et comme les plus impatients de voir les citoyens tenir de nouveau le haut du pavé.On y apprend notamment que moins de la moitié des Québécois (48 %) estiment que «la mondialisation de l'économie assure de nombreux marchés à nos entreprises», contre 58 % en Ontario, 53 % en Alberta ou 62 % dans les provinces atlantiques, pour une moyenne de 54 % au pays. D'un autre côté, ils sont 40 % à y voir «une menace contre nos emplois et nos entreprises», contre seulement 28 % en Ontario, 35 % dans les Prairies ou 31 % en Colombie-Britannique, pour une moyenne de 31 % dans l'ensemble du pays.
Au bénéfice des multinationales
Plus de 40 % estiment d'autre part que ce sont les multinationales qui profitent le plus de la mondialisation, alors que la moyenne canadienne se situe à 31 %; 23 % disent craindre par-dessus tout qu'elle accroisse les inégalités entre les pays du Nord et du Sud, alors que la moyenne canadienne se fixe à 13 %.
Le Québec est la province où l'on s'inquiète le plus de l'influence dont dispose le secteur des affaires sur l'économie mondiale, notamment la haute finance (65 % contre une moyenne canadienne de 58 %) et les multinationales (71 % contre une moyenne de 60 %). C'est aussi l'endroit au pays où l'on en appelle le plus à un renforcement des gouvernements (41 % contre une moyenne de 30 %), des syndicats (36 % contre une moyenne de 26 %) ou des associations de citoyens (70 % contre une moyenne canadienne de 58 %). C'est, enfin, la seule province au pays où une majorité de répondants (51 %) disent approuver l'organisation de manifestations contre la mondialisation à l'occasion de réunions internationales.
Réalisée du 17 au 23 septembre dernier auprès de 1500 personnes, cette première enquête de Léger Marketing sur le sujet comporte une marge d'erreur de 2,5 %, 19 fois sur 20.
Ces résultats constituent un net revirement par rapport au portrait que l'on obtenait lors des élections fédérales de 1988 et qui avaient pris des airs de référendum sur la question. À cette époque, le Québec était la seule province au pays, avec l'Alberta, dont la population appuyait le projet d'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Des années plus tard, un sondage CROP-Radio-Canada-La Presse réalisé à la veille de la tenue du Sommet des Amériques au printemps 2001 montrait qu'il y avait encore 60 % de Québécois à se dire favorables à l'idée de créer une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), soit légèrement plus que la moyenne canadienne de 57 %. Le Québec se révélait alors être la seule province où au moins 50 % de la population dressait un bilan positif de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Comme un malaise
«On parle beaucoup plus de la mondialisation au Québec depuis deux ou trois ans qu'on ne le faisait auparavant, constate Marcela Escribano, directrice de la mobilisation à Alternatives, une organisation québécoise vouée à la coopération Nord-Sud et impliquée de près dans la lutte contre le processus de mondialisation en cours. Avant, les gens étaient moins bien informés. Les négociations se déroulaient toujours derrière des portes closes. Lorsque l'on parle de l'appui des Québécois à l'Accord de libre-échange à la fin des années 1980, je serais portée à croire que c'était surtout dû au fait qu'il avait l'appui du gouvernement libéral, du Parti québécois, des gens d'affaires... »
Elle ne se dit pas surprise d'apprendre que, dans le dernier sondage de Léger Marketing, les Québécois sont aujourd'hui les plus rares à se dire indécis devant les différentes questions sur la mondialisation qui leur sont soumises. Quelques jours avant la tenue du Sommet des Amériques à Québec, le sondage CROP-Radio-Canada-La Presse révélait que seulement 45 % des Québécois disaient connaître les concepts de mondialisation, de libre-échange ou d'accords commerciaux, contre 61 % au Canada anglais.
Comme elle, Christian Deblock, directeur du Centre Études internationales et mondialisation à l'Université du Québec à Montréal, estime que la réunion à Québec des chefs d'État au printemps 2001 ainsi que l'organisation d'un contre-sommet par les syndicats et les mouvements populaires dans la basse ville ont eu pour effet d'éveiller ici bien des esprits quant à la nature des forces en présence et de leurs arguments respectifs. «Le sommet a attiré beaucoup d'attention et a été une révélation pour beaucoup de monde, dit-il. Même des fonctionnaires impliqués dans les négociations de la ZLEA ont eu la surprise de voir leurs propres enfants descendre dans la rue pour protester contre le projet d'entente. Pour la première fois, on a senti comme un malaise.»
Il constate à son tour que la compréhension et le sens critique des Québécois se sont affinés ses dernières années en ce qui concerne les enjeux liés à la mondialisation. «J'hésite habituellement à porter ce genre de jugement, mais on doit bien reconnaître qu'il y a ici une richesse de débat, une qualité de réflexion que l'on ne trouve pas ailleurs au pays. Au Canada anglais, les préoccupations des gens se limitent souvent à la préservation de l'identité nationale canadienne. Comme si pour le reste, ça ne dérangeait pas. Au Québec, on aborde la question de façon beaucoup plus large. Si l'enjeu de l'identité nationale ne semble pas inquiéter les gens, ils se préoccupent de l'impact de la mondialisation sur les inégalités, sur les programmes sociaux, sur le respect des droits de la personne.»
Ce plus grand sens critique des Québécois ne signifie cependant pas qu'ils rejettent l'idée d'une plus grande intégration des peuples, note Marcela Escribano. «Cela veut juste dire que les gens se sont rendu compte, avec le temps, que le grand miracle annoncé n'a pas eu lieu et que d'autres modèles d'intégration sont possibles.»