Chacun cherche son char

Certains véhicules laissent deviner de très loin qui se cache derrière leur volant. Il suffit, par exemple, d'apercevoir le capot d'une petite voiture décapotable rouge pour aussitôt conclure qu'une femme y est au contrôle. Est-ce une impression ou les Cabrio, Miata et New Beetle de ce monde sont réellement des «chars de filles»?

Présentée comme prototype au salon de l'auto de Detroit en 1994, la New Beetle a fait un tabac. Tant et si bien que Volkswagen décidait de la fabriquer à grande échelle en 1998. On pensait ainsi plaire aux jeunes comme aux nostalgiques. «La voiture a été lancée sans groupe-cible en tête», confirme Patrice Attanasio, porte-parole au Québec pour la compagnie Volkswagen.

Pourtant, le design arrondi, le pot à fleurs et les couleurs ont attiré une foule de conductrices. Aujourd'hui, les femmes conduisent plus de 60 % de ces véhicules. «Ç'a été un problème majeur pour eux parce que aucune compagnie ne veut s'aliéner la moitié du marché», souligne Jacques Duval, l'auteur bien connu du Guide de l'auto. «Les dirigeants ont essayé de réparer leur erreur par la suite en introduisant des moteurs plus performants et en organisant une série de courses avec des New Beetle.»

À partir du moment où un véhicule est reconnu pour être un «char de filles», cela peut causer des problèmes, admet Patrice Attanasio. «Pourquoi? Parce que plusieurs gars et même certaines femmes arrêtent tout simplement d'acheter ce modèle. Il y a plusieurs voitures qui ont disparu du marché à cause de cela. Dans le cas de la New Beetle, on a rectifié le tir pour atteindre un certain équilibre. Sans tomber dans les clichés, les hommes sont plus attirés par les aspects technologiques, alors on a développé des modèles plus performants.»

Il n'y a pas grand-chose dans le design d'une automobile qui soit laissé au hasard, pense de son côté Jean-Charles Chebat, professeur aux HEC et titulaire de la chaire de commerce Omer De Serres. Il souligne que des études sur les formes des bagnoles ont démontré que les modèles plus ronds plaisaient davantage aux femmes. En revanche, les modèles plus allongés trouveraient preneurs auprès de la gent masculine. «Ceci dit, je ne suis pas tout à fait convaincu que tout soit aussi blanc et noir, même s'il y a une forme de sexualité liée à l'automobile», nuance-t-il.

Déclinaisons

Selon lui, les compagnies déclinent souvent un même véhicule pour l'adapter à différents marchés. Le spécialiste donne la Pontiac Aztek et la Buick Rendez-Vous en exemple, deux véhicules qui ont une composition mécanique identique. Avec sa tente incluse et son prix plus bas, la première vise à plaire à un public plus jeune alors que la seconde est plus dispendieuse et cherche à charmer un public plus âgé, plus enclin à jouer au golf qu'à s'adonner à des activités de plein air.

«L'idée d'atteindre différentes strates de la population date des débuts du développement de l'automobile, insiste M. Chebat. [Ernest] Dichter, un disciple de Freud, a été conseiller auprès de Chrysler. C'est lui qui a eu l'idée de mettre des miroirs dans les salles de montre et qui a suggéré qu'on pouvait fabriquer différents modèles à partir d'une même automobile de base.»

Caricaturons. On pourrait ainsi associer la voiture familiale à l'épouse et la décapotable à la maîtresse. Dans ce scénario, le coupé serait un compromis entre les deux. Avec la même voiture, on ouvrirait donc plusieurs portes du marché. «Le jeu est de trouver des niches et de les exploiter», précise Jean-Charles Chebat.

Il en va ainsi de la Cabrio de Volkswagen, une voiture décapotable. Elle est conduite à plus de 80 % par des femmes. «C'est une voiture de niche même si nous ne faisons pas de marketing distinct pour vendre ces voitures auprès de notre clientèle féminine, souligne Patrice Attanasio. Dans ce cas, la segmentation n'est pas un facteur négatif. Ce le serait si c'était une voiture à grand volume comme la Golf.»

Les baby-boomers auraient également la cote. «Il y a beaucoup de design qui se réfère à la nostalgie, fait remarquer Jean-Charles Chebat. On veut plaire à ceux qui sont dans la cinquantaine et qui se rappellent des voitures lorsqu'ils avaient 20 ans. On voit donc des véhicules comme la Mustang et la Thunderbird qui ont le nom tout en ayant des caractéristiques technologiques et mécaniques qui n'ont rien à voir avec leurs ancêtres.»

Jeunes hommes

La nouvelle Mini Cooper de BMW est un autre exemple de cette stratification du marché de l'auto. «J'ai visité un concessionnaire ce printemps et j'y ai passé trois ou quatre heures pour observer, souligne Jacques Duval. Il n'y a eu que des hommes qui sont venus en faire l'essai. Cela n'est bien sûr pas une étude scientifique, mais il semble que le modèle plaise à des hommes jeunes du même style que ceux qui achètent la Golf GTI ou la Honda Civic. Les jeunes veulent des voitures qui sont belles, qui vont vite et qui ne coûtent pas trop cher.»

Il y a donc des chars de gars, des chars de jeunes et des chars de jeunes gars. En suivant cette logique, on peut dire qu'il y a donc aussi des «chars de filles». Jacques Duval éclate de rire. «J'ai eu une mauvaise expérience il y a quelques années. J'avais alors préparé un guide de l'auto conçu spécialement pour les femmes. Ç'a été un four monumental! Les femmes ne veulent pas être traitées comme une classe à part, même si on observe que certains modèles leur plaisent plus que d'autres.»

Bref, que l'on soit femme ou homme, jeune ou vieux, gino ou ginette, que l'on ait les cheveux longs ou courts, chacun cherche son char.

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