Dissensions européennes dans le monde de l'énergie

Bruxelles — La fusion entre Gaz de France et Suez, perçue comme la dernière en date d'une série d'actions protectionnistes de Paris, a déclenché la fureur de Rome, mettant un peu plus en lumière les dissensions européennes sur un sujet pourtant hautement stratégique comme l'énergie.

Pour la classe politique italienne, la décision précipitée de fusionner Gaz de France et le groupe d'énergie et d'environnement Suez pour protéger ce dernier d'un raid de l'italien Enel constitue une violation criante des règles du Marché intérieur européen. «Nous nous trouvons face à une énorme violation du droit communautaire et du libre marché», a dénoncé le ministre italien de l'Industrie, Claudio Scajola.

La Commission européenne «peut et doit intervenir durement pour casser cette course à la renationalisation des économies», a renchéri Romano Prodi, chef de l'opposition italienne et ancien président de l'exécutif européen. L'Italie a d'ailleurs clairement demandé à Bruxelles d'intervenir. Et son ministre de l'Économie, Giulio Tremonti, devait plaider sa cause hier et aujourd'hui devant les commissaires à la Concurrence, Neelie Kroes, et au Marché intérieur, Charlie McCreevy.

La Commission européenne fait depuis le début preuve d'une grande prudence dans cette affaire. Seuls quelques commissaires, en particulier l'Italien Franco Frattini, responsable des questions de Justice, sont sortis du bois. «Il faut être un peu plus européen, un peu moins protectionniste», a-t-il estimé, mettant en garde contre le risque de tomber dans un cycle de «barrières» et de «représailles» entre pays européens. «Sur la forme, l'opération n'est pas illégale» mais elle «porte un coup à l'esprit du marché commun européen», a-t-il renchéri.

L'exécutif européen voit généralement d'un mauvais oeil les incursions du monde politique pour préserver leurs «champions nationaux».

Sans évoquer le cas Suez/GDF, Bruxelles a fait savoir hier qu'elle envisageait d'ouvrir une procédure d'infraction contre Paris, incapable jusqu'à présent de justifier un décret anti-OPA publié fin décembre au journal officiel. Par ce décret, la France s'offre la possibilité d'interdire toute OPA dans 11 secteurs industriels qualifiés de «stratégiques», couvrant des activités aussi variées que les casinos ou la biotechnologie.

La semaine dernière, la Commission a aussi mis en garde l'Espagne contre toute utilisation illégale d'outils anti-OPA pour contrer une autre offensive, celle de l'allemend E.ON sur Endesa. Madrid n'a en effet pas caché son intention de défendre l'«intérêt national» du pays dans cette affaire.

La bataille de concentrations que se livrent certains gouvernement européens dans l'énergie secoue encore un peu plus une Europe en panne, qui ne parvient plus à rallier la confiance de ses citoyens et que les non français et néerlandais à la Constitution a sérieusement ébranlée au printemps dernier.

Pour l'ancien député européen communiste, Philippe Herzog, président de l'association Confrontations Europe, ces manoeuvres nationales ne sont «pas étonnantes dans la mesure où il n'existe pas de véritable politique européenne énergétique».

Mais le gouvernement français n'aurait jamais dû «brandir le patriotisme économique» pour justifier l'opération, poursuit-il, estimant qu'il aurait mieux valu que les «deux patrons» des groupes présentent eux-mêmes la fusion, son intérêt pour la France mais aussi l'Europe.

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