Suez: d'un canal à l'énergie en passant par la finance
Paris — Bâtisseur d'un canal en Égypte avant de dominer de sa puissance le monde financier français, Suez, aujourd'hui groupe associé à l'environnement et à l'énergie, risque de perdre son identité avec sa fusion attendue avec Gaz de France.
Suez a forgé son destin au bord de la mer Rouge, quand un Français, Ferdinand de Lesseps, a eu l'idée de creuser une voie pour rallier rapidement l'Extrême-Orient.À partir de 1858, les travaux du canal de Suez sont lancés. Ils dureront une dizaine d'années avant l'inauguration, en 1869, par l'impératrice Eugénie d'un ouvrage long de 160 kilomètres.
L'affaire est très vite rentable, la «Compagnie universelle du canal maritime de Suez» prélevant sa dîme à chaque passage de navire. Pour les fortunés actionnaires français et britanniques, les titres «Suez» sont considérés comme un investissement de référence.
En 1956, coup de tonnerre: le président Nasser nationalise la société maritime de Suez, à qui il verse de confortables indemnités. Avec ce pactole, la société dénommée à présent «Compagnie financière de Suez», va se lancer dans de grandes manoeuvres qui la propulsent au sommet du monde des affaires dans les années 70.
En 1972, par exemple, la Compagnie arrache à la Banque de Paris et des Pays-Bas le Crédit industriel et commercial (CIC) à l'issue d'une bataille boursière homérique. Quelques mois plus tard elle achète la Banque de l'Indochine qu'elle fusionnera avec la «banque de Suez» pour donner naissance à «Indosuez» (banque de dépôts aux côtés du CIC), une des plus prestigieuses de la place.
Nationalisée en 1982 par la gauche au pouvoir et présidée à partir de 1983 par Jean Peyrelevade, Suez retrouve cinq ans plus tard le secteur privé (gouvernement Chirac) avec à sa tête Renaud de la Génière (ancien gouverneur de la Banque de France) secondé par quelques directeurs généraux dont Gérard Worms, Gérard Mestrallet et un ancien conseiller technique de Laurent Fabius, Patrick Ponsolle.
La Compagnie mène alors une politique agressive de croissance externe: elle souffle à l'italien Carlo de Benedetti, la Générale de Belgique (aujourd'hui détenue à 100 %) présente dans les mines, l'armement, les services (électricité Tractebel), la banque et l'assurance (ce conglomérat détient à lui seul un tiers de l'économie belge) sur laquelle l'Italien avait lancé une OPA.
En 1989, Suez renforce son pôle d'assurances en s'emparant du français Victoire, qui vient de nouer des accords avec l'allemand Colonia et qui est convoité par l'UAP, géant du secteur.
Suez se lance également à corps perdu dans l'immobilier, un secteur voué à une âpre spéculation à la fin des années 80. La Compagnie rachète par exemple au prix fort des immeubles qui abritent les Nouvelles messageries de la presse parisienne (MNPP) près de la Bourse. Quelques mois plus tard l'immobilier s'effondre...
Alors que le monde est en proie à la récession, les résultats ne sont plus au rendez-vous pour la compagnie qui vacille. Elle doit ainsi céder en 1996 au Crédit Agricole son fleuron bancaire Indosuez alors bien mal en point.
Deux ans plus tard, la compagnie abandonne définitivement la finance en cédant la Sofinco.
Sous la férule de Gérard Mestrallet, son patron depuis 1995, Suez change une nouvelle fois de métier. Après sa fusion avec la Lyonnaise des Eaux (Suez avait pris une participation dans cette affaire de traitement des eaux 30 ans plus tôt) Suez devient le premier groupe mondial de services de proximité (énergie, environnement et services. Pour échapper aux griffes de l'italien Enel (électricité) le groupe Suez est aujourd'hui appelé à se marier à Gaz de France.