La France met au point la fusion entre GDF et Suez

Les grands acteurs de cette importante fusion dans le domaine de l’énergie. De gauche à droite: le p.-d.g. de Gaz de France Jean-François Cirelli, le ministre français délégué à l’Industrie François Loos, le p.-d.g. du géant Suez Gérard Me
Photo: Agence France-Presse (photo) Les grands acteurs de cette importante fusion dans le domaine de l’énergie. De gauche à droite: le p.-d.g. de Gaz de France Jean-François Cirelli, le ministre français délégué à l’Industrie François Loos, le p.-d.g. du géant Suez Gérard Me

Paris — Les autorités françaises mettaient au point hier les modalités de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez destinée à créer un géant européen de l'énergie, une opération surprise qui a suscité la colère en Italie et l'inquiétude en Belgique.

Cette opération, qui doit être finalisée au cours du deuxième semestre 2006, a été annoncée ce week-end par le premier ministre Dominique de Villepin pour barrer la route au groupe italien d'électricité Enel, qui s'était déclaré intéressé quelques jours plus tôt par un rachat de Suez.

Le ministre français des Finances Thierry Breton a indiqué hier que la création de la nouvelle entité se ferait par «fusion absorption» du groupe d'énergie et d'environnement privé Suez par GDF, détenu à 80 % par l'État.

Le nouveau groupe, fort d'un chiffre d'affaires de 64 milliards d'euros (86,5 milliards $CAN)et d'une capitalisation boursière de plus de 70 milliards d'euros (95 milliards $CAN), emploiera près de 200 000 personnes dans le monde. Il figurera dans les tout premiers rangs des acteurs européens de l'énergie, juste derrière un autre géant français du secteur, Électricité de France (EDF).

Selon M. Breton, la part de l'État dans le nouvel ensemble sera comprise «entre 34 % et 35 %», soit la minorité de blocage nécessaire pour empêcher toute tentative de prise de contrôle hostile.

L'initiative a été très mal vécue en Italie, l'alliance franco-française bloquant les projets d'expansion de son champion national, Enel, troisième groupe d'énergie sur le Vieux continent en valeur boursière.

Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a appelé la Commission européenne à intervenir et a dépêché à Bruxelles son ministre de l'Économie Giulio Tremonti. Le ministre italien de l'Industrie Claudio Scajola a dénoncé «une énorme violation du droit communautaire et du libre marché», évoquant une «action gravissime du gouvernement français».

La Commission étudiera la décision française «avec détermination», a assuré un porte-parole de l'exécutif européen. Mais il a indiqué qu'il n'y avait pas à ce stade «d'indice de violation de la libre-circulation des capitaux».

La Belgique suit également le dossier de très près, Suez étant la maison-mère d'Electrabel, premier producteur d'électricité du royaume. Pour le quotidien bruxellois Le Soir, «le ministère belge de l'Énergie sera à Paris», puisque l'État français sera «le premier actionnaire» du nouveau groupe et règnera donc par ricochet sur Electrabel.

Le ministre belge des Finances, Didier Reynders, s'est dit favorable à l'opération, mais les Verts ont dénoncé l'attitude du gouvernement belge, «plus libérale que jamais dans un secteur qui n'a jamais été aussi stratégique».

«Tout ce qui concourt au renforcement de l'industrie française ne peut que bénéficier à l'ensemble de l'Europe», a plaidé de son côté le ministère français des Affaires étrangères.

En France même, l'opération a été vivement critiquée du côté des syndicats, que le gouvernement va recevoir à tour de rôle pendant la semaine.

La CGT, le syndicat le plus important en France, a dénoncé une décision prise dans la «précipitation» qui aboutira à la privatisation de Gaz de France, en dépit des promesses du gouvernement lors de la récente ouverture au privé du capital du groupe gazier. Le gouvernement devra d'ailleurs faire modifier une loi prévoyant que l'État doit conserver au moins 70 % du capital de GDF.

Le premier ministre français Dominique de Villepin s'est défendu de tout protectionnisme dans l'affaire de la fusion Suez-GDF pour barrer la route au groupe italien d'électricité Enel, estimant que le gouvernement «est dans son rôle» en défendant les intérêts économiques de la France.

«Tous les pays à travers la planète défendent leurs intérêts économiques: pourquoi serions-nous les derniers à le faire?», avance le chef du gouvernement, citant notamment les États-Unis, le Japon ou l'Espagne, dans un entretien à paraître aujourd'hui dans le journal régional Ouest-France.

«Défendre les intérêts vitaux du pays, ce n'est pas élever des barrières, c'est se doter d'outils pour défendre dans les meilleures conditions nos intérêts et ceux de l'Europe», affirme-t-il. «Il s'agit de mobilisation, de combativité, d'efficacité.»

«C'est cela le patriotisme économique: le rassemblement de toutes nos forces dans le respect des règles européennes», ajoute-t-il, rappelant sa formule élaborée en juillet lors des rumeurs de rachat de Danone par l'américain PepsiCo. Face aux «évolutions très rapides sur le marché de l'énergie», M. de Villepin affirme que «la première responsabilité d'un gouvernement» consiste à «garantir les capacités d'investissement, de production et d'approvisionnement du pays comme de desserte de nos concitoyens en énergie».

«Notre indépendance énergétique est un enjeu stratégique majeur. Le gouvernement est donc dans son rôle quand il mobilise ses forces pour préparer l'avenir», dit-il.

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