Le Devoir

Athlète olympique contre amateur : une course en données

Athlète olympique contre amateur :

UNE COURSE EN DONNÉES

Dans un bassin d’athlètes de haut calibre, où une seule seconde sépare parfois la médaille d’or et la quatrième place, il peut être difficile de saisir le caractère exceptionnel des performances comme celles qu’on peut observer aux Jeux olympiques.


Pour mieux saisir le prodigieux niveau des athlètes, Le Devoir a comparé la performance du fondeur canadien le plus décoré de l’histoire avec celle d’une de nos journalistes lors d’un sprint de 500 mètres en ski de fond classique.

Sur la ligne de départ : Alex Harvey, athlète olympique de 33 ans, qui ne tentera pas de monter sur le podium pour la première fois en 15 ans. Cinq fois médaillé aux Championnats du monde, et 20 fois en Coupe du monde, il n’a toutefois jamais réussi à accomplir cet exploit lors des JO.

Son opposante, Clémence Pavic, 25 ans, est journaliste spécialisée en économie au Devoir et adepte de plein air dans ses temps libres. Elle a commencé le ski de fond il y a trois ans à raison d’une fois par semaine en saison hivernale.

Portrait Alex Portrait Clémence
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Sans surprise, Alex est ressorti vainqueur de l’épreuve en parcourant la boucle d’un demi-kilomètre en seulement 1 minute et 29 secondes.

Notre journaliste a quant à elle franchi la ligne d’arrivée en 3 minutes et 39 secondes, soit plus du double du temps de son adversaire.

Clémence a effectué le parcours à une allure moyenne de 8,2 km/h, une vitesse qui s’apparente tout à fait aux performances attendues d’un skieur occasionnel, note Myriam Paquette, elle-même skieuse de fond d’élite et physiologiste de l’exercice à l’Institut national du sport du Québec (INS).

Lors des 100 premiers mètres, Clémence s’est élancée à une vitesse de 9,5 km/h, la plus rapide de toute sa course. Sa vitesse a diminué de 11 % entre le premier et le deuxième segment de 100 mètres.

Pour sa part, Alex Harvey a skié à une vitesse moyenne de 20,2 km/h. Au pic de sa course, le fondeur a même atteint une vitesse de 25,4 km/h, selon sa montre intelligente.

Avec un départ à 21,2 km/h, il a été deux fois plus rapide que Clémence lors des 100 premiers mètres. Il a également su stabiliser cette vitesse tout au long de son sprint : sa vitesse n’a pas varié entre le premier et le deuxième segment du parcours, puis a diminué d’à peine 6 % entre le deuxième et le troisième.

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Cette stabilité est aussi reflétée dans la fréquence cardiaque, et c’est la différence la plus frappante entre un athlète et un sportif du dimanche, selon Myriam Paquette : en une vingtaine de secondes, Alex a atteint une zone de fréquence cardiaque élevée qu’il a maintenue jusqu’à la fin de la course.

La vitesse de l’augmentation de sa fréquence cardiaque et la stabilité de celle-ci tout au long de l’effort sont caractéristiques d’un athlète de haut niveau, assure la physiologiste de l’exercice, qui ajoute que le fondeur aurait pu maintenir sa fréquence cardiaque élevée bien au-delà du demi-kilomètre, contrairement à Clémence.

Fréquence cardiaque d'Alex Harvey, selon le temps


« La stabilité de l’effort a un rôle important à jouer quand on est un athlète de haut niveau », indique Myriam Paquette. C’est beaucoup moins exigeant d’effectuer un effort stable au cours de la course que de tenir un rythme qui varie constamment, indique-t-elle.

La fréquence cardiaque de notre journaliste n’a pas pu être mesurée en raison d’erreurs de captation de la montre intelligente utilisée lors du sprint.

Au moment où les fondeurs s’élancent de la ligne de départ, ils doivent opter pour une des deux techniques propres au ski de fond classique : le pas alternatif ou la double poussée. En opposition au pas de patin, où le mouvement imite le patin à glace sur une piste damée, les skis restent parallèles en classique, une technique pratiquée sur une piste avec des rails tracés mécaniquement dans la neige.

Le pas alternatif, semblable à la marche, est la technique privilégiée par les fondeurs amateurs. Notre journaliste, Clémence Pavic, l’a utilisée tout au long de sa course. « Ça demande un transfert de poids d’une jambe à l’autre, on doit glisser sur le ski à chaque enjambée donc l’effort se situe surtout au niveau des jambes », explique Myriam Paquette.

Au temps du cycliste et fondeur Pierre Harvey, le père de notre athlète volontaire, c’était la technique la plus utilisée lors des compétitions. Pourtant, de nos jours, grâce à la technologie qui a amélioré l’équipement, le pas alternatif n’est utilisé que lors de montées très abruptes.

« L’équipement est plus rapide et plus léger, indique Louis Bouchard, l’entraîneur-chef du Centre national d’entraînement Pierre-Harvey. On a amélioré nos méthodes d’entraînement, donc la masse musculaire est beaucoup plus développée dans le haut du corps. » La raison ? La prépondérance de la méthode de la double poussée, beaucoup plus rapide et beaucoup plus engageante pour les bras.

Pour preuve, Alex Harvey a utilisé la double poussée pendant 54 % de la durée de la course, contre seulement 28 % en pas alternatif (le reste du temps étant attribué aux virages).

Cette technique n’implique pas de mouvements d’aller-retour des jambes ; le corps bascule plutôt entièrement vers l’avant, puis est propulsé grâce à la force appliquée sur les bâtons. Les amateurs privilégient cette technique dans une pente légèrement descendante, puisqu’elle permet d’optimiser l’effort et la vitesse.

« La double poussée demande un développement musculaire plus solide, souligne Louis Bouchard. Les gens qui sont moins entraînés n’arrivent pas à maintenir un tel effort, c’est pour ça qu’ils choisissent le pas alternatif. »

Pour optimiser l’effort — et pour être aussi rapides que possible —, les fondeurs tentent d’aller chercher un maximum d’amplitude dans leurs mouvements, car une plus grande enjambée permet de glisser le ski plus longtemps.

Lors des 100 premiers mètres de la course, chaque pas d’Alex mesurait en moyenne 2,94 mètres. « On voit qu’Alex est très à l’aise dans sa technique, il a beaucoup d’équilibre, donc il fait son transfert de poids au bon moment pour glisser le plus longtemps possible », commente son ancien entraîneur.

Alex
Clémence
2,94m
1,3m

C’est plus du double de la longueur des pas de Clémence, qui mesuraient plutôt 1,3 mètre. « Son timing de transfert de pas n’est pas encore adéquat. Elle est plutôt craintive parce qu’elle manque d’équilibre, donc elle change rapidement d’un ski à l’autre », explique-t-il.

Pour parcourir les 100 mètres, Alex a ainsi effectué 34 pas, contre 77 pour Clémence. « Son équilibre et son agilité ne sont pas développés au point où elle peut vraiment se laisser aller sur un ski pendant longtemps, ajoute Louis Bouchard. Une personne moins entraînée a moins de puissance, donc elle doit s’en remettre à des plus petits pas. »

Alex
Clémence
999 pas
999 pas

Après plusieurs années d’entraînement, la posture des athlètes se perfectionne afin de mieux performer. Bien qu’approximatifs, les angles de certaines parties du corps de nos compétiteurs révèlent les différences entre leurs maîtrises de la technique.

Lors de sa phrase de glisse, le tronc de Clémence s’incline très légèrement. Quand son pied droit glisse vers l’avant, le haut de son corps demeure relativement droit, et ses pieds, toujours au sol. « Les skieurs amateurs vont rester sur leurs skis. C’est beaucoup plus facile, il n’y a pas de déséquilibre », explique Myriam Paquette.

À l’inverse, le haut du corps d’Alex est beaucoup plus incliné vers l’avant au même point de la phase de glisse. « Quand il embarque sur son ski, on voit que son genou est vis-à-vis de ses orteils, ou à mi-pied. C’est cette flexion pour embarquer sur le ski qui va lui permettre de glisser », observe-t-elle.

L’ex-fondeur professionnel n’hésite pas non plus à soulever son pied arrière dans les airs, en ramenant tout son poids sur sa jambe droite.

Au moment où les deux fondeurs piquent au sol, il est possible d’observer les différences entre les angles de leurs bâtons : celui de notre journaliste est davantage incliné vers l’arrière et s’ancre ainsi derrière son talon gauche. Un piqué du bâton à la hauteur du pied avant permettrait un peu plus de jeu pour se propulser vers l’avant.

Par conséquent, pour optimiser le temps de leur poussée, les fondeurs voudront aller chercher une force horizontale le plus longtemps possible. Au moment de piquer au sol, le bâton d’Alex vient quant à lui se placer vis-à-vis de ses orteils, une distance qui lui permet d’exploiter plus de longueur au sol.

Amplitude Tronc initial Amplitude Tronc Clémence Amplitude Tronc Alex Clémence Amplitude baton initial Clémence Amplitude baton initial Alex Clémence

Au-delà des conclusions présentées dans cette analyse, l’exercice de comparaison demeure ludique et n’a pas de prétention scientifique vu les imprécisions qu’il comporte. Notamment, la différence physiologique entre nos deux participants : Alex mesure 184 cm et pèse 75 kg, alors que Clémence mesure 154 cm et pèse 54 kg.

Il aurait ainsi préférable de comparer deux physionomies semblables, «parce qu’on se rapprocherait plus de la réalité», admet Louis Bouchard, qui explique qu’une personne plus grande fait de plus grands pas, ce qui facilite une plus longue période de glisse. Il ajoute par ailleurs que les hommes sont prédisposés à avoir plus de force musculaire à cause des hormones.»

« Si tu veux aller chercher le maximum d’une performance, la grandeur de la personne, la force musculaire, et la VO2 max[AB1] [la quantité d’oxygène que le corps peut utiliser] jouent pour beaucoup. »

D’ailleurs, même s’il performe bien au-delà de la moyenne, Alex Harvey n’arrive plus à réaliser les mêmes prouesses qu’il y a quatre ans. Louis Bouchard juge qu’Alex aurait pu « facilement » franchir les 500 mètres avec quelque 15 secondes en moins lors de ses belles années.

Sa qualité musculaire a diminué, remarque son entraîneur, qui note toutefois qu’il a pu conserver sa technique et son agilité. « Pour lui, c’est comme marcher. »

Plusieurs facteurs n’étaient donc pas à l’avantage de notre journaliste pour gagner son sprint contre l’ex-athlète professionnel. Les différences physiologiques d’Alex l’ont avantagé dès le départ, sans parler de son expérience et ses années d’entraînements intensifs. Et peut-être même quelques prédispositions génétiques.

« Si tu n’as pas pigé les bonnes cartes dans la génétique, tu as beau t’entraîner comme tu voudras, tu vas devenir en forme, mais jamais au niveau d’Alex Harvey », concède Myriam Paquette en riant.