Le Devoir

Les nouveaux partisans du Parti conservateur du Québec

Les nouveaux partisans du Parti conservateur du Québec

3 mai 2022

Depuis les dernières élections provinciales, le Parti conservateur du Québec (PCQ) a réussi à attirer une nouvelle cohorte de donateurs pour remplir ses coffres. Le Devoir a analysé l’ensemble des contributions versées aux entités politiques québécoises ces huit dernières années. Parmi ceux qui ont donné au PCQ, 94 % sont de nouveaux donateurs, soit des citoyens qui ont effectué leur tout premier don depuis 2019.

L’écart est frappant : à peine 700 des 13 354 donateurs du PCQ avaient déjà fait une contribution à un parti politique dans le passé. En ayant mobilisé une proportion aussi considérable de nouveaux partisans, le Parti conservateur se différencie de ses adversaires qui, eux, comptent davantage de donateurs de plus longue date.

Québec solidaire (QS), le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) comptent tous plus de 70 % de ces donateurs, tandis que la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault comptabilise presque autant d’anciens que de nouveaux donateurs depuis son arrivée au pouvoir.

« Ça peut vouloir dire que le PCQ est capable de mobiliser un électorat qui était justement un peu en retrait, qui n’était pas prêt à s’engager. Ça ne veut pas dire qu’ils ne votaient pas, mais ça peut être un signe qu’ils étaient peu mobilisés par les questions politiques », observe le professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily.

Parmi cette écrasante majorité des nouveaux donateurs, 17 % ont donné plus d’une fois durant les quatre dernières années. Les autres ont plutôt choisi de financer le parti une seule fois — ou à coups de quelques contributions au sein d’une seule année.

Notons toutefois que ces donateurs n’ont peut-être pas encore eu l’occasion de contribuer à nouveau, considérant que la presque totalité des dons récoltés par le parti au cours des huit dernières années l’a été en 2021 et 2022.

Nouveaux donateurs selon l'allégeance politique

Portrait d'Éric Duhaime

Avec 7438 dons amassés depuis le début de l’année, le PCQ a déjà récolté 21 fois plus de dons qu’en 2018. De quelle façon ce parti, dont la formation était pourtant marginale au dernier scrutin, a-t-il réussi à courtiser cette foule de nouveaux venus ?

L’élection d’Éric Duhaime à la chefferie du parti, la notoriété dont il bénéficie et son opposition aux mesures sanitaires dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ont certainement été des facteurs qui ont contribué à la montée du parti, selon les experts consultés par Le Devoir.

« Ce qui manquait au PCQ, c’était d’avoir une figure connue, d’avoir un chef avec un certain charisme qui est capable d’aller chercher l’intérêt. Auparavant, les chefs [du PCQ] étaient peu connus, alors que le fait d’avoir une figure publique, c’est très certainement un atout », croit la professeure de l’Université d’Ottawa en sciences politiques Geneviève Tellier.

La politologue ajoute que l’effet de la pandémie de COVID-19 n’est pas à négliger puisque la crise a poussé plusieurs citoyens à manifester leurs insatisfactions. Éric Duhaime — élu chef en avril 2021 — et son parti sont alors devenus un « mécanisme » pour le faire.

L’année 2021 a par ailleurs été marquée par un bond substantiel du nombre de dons pour le PCQ, avec 7162 contributions récoltées. C’est plus de 5 fois plus que l’année d’avant, et même 80 fois plus que deux années auparavant, en 2019.

Le phénomène est par ailleurs observable parmi les autres partis « de droite », souligne le professeur Frédéric Boily. « Ils parviennent souvent à mobiliser des électeurs qui estiment que l’offre politique est insuffisante, que [les autres partis] ne disent pas les vraies choses, qu’ils ne mènent pas les véritables combats. Par conséquent, les partis politiques qui sont un peu plus à la marge de la droite traditionnelle parviennent parfois à réveiller et à canaliser ce sentiment-là. »

Mettre le parti sur la carte

En ce début d’année électorale, le PCQ se démarque considérablement de ses adversaires en nombre de dons amassés. En quatre mois, le parti a pris bien de l’avance sur ses concurrents, avec près de 7500 contributions en poche.

Loin derrière lui se trouve le PQ avec 2975 dons, QS avec 1949 dons et la CAQ de François Legault avec 1269 dons. Le PLQ arrive au bas de la liste, avec 889 dons accumulés depuis le début de l’année. Ces résultats reflètent-ils un intérêt marqué pour le PCQ à l’approche de la campagne ?

Pour la professeure Geneviève Tellier, il s’agirait surtout d’une question de stratégie de financement. « Ça se peut que pour les autres partis, ce soit une stratégie d’attendre et de faire les levées de fond plus tard, pour motiver les troupes plus près des élections. À vouloir partir trop tôt, ceux qui ont donné [tôt dans l’année] vont peut-être moins penser aux élections en octobre. »

Nombre de dons par année pour les cinq principaux partis politiques

* Pour 2022, les données vont du 1er janvier au 13 avril
Carte de membre PCQ

Même si, en ce qui concerne le nombre de dons cumulés, l’avance du PCQ peut diminuer au fil des prochains mois, la recherche hâtive de financement pourrait bien s’avérer un atout pour le parti. « C’est quand même une bonne stratégie parce que ça les met sur la carte. Ça montre qu’il y a un certain sérieux, ce qui est souvent le grand problème avec les formations politiques », affirme Frédéric Boily.

Force est de constater que le parti a bel et bien été « mis sur la carte » depuis l’arrivée d’Éric Duhaime. L’an dernier, le nombre de ses membres est passé de 500 à 37 000, selon une déclaration du chef en octobre 2021. On compterait maintenant 57 346 membres en date du 17 avril 2022, toujours selon les chiffres du parti.

La formation d’Éric Duhaime rassemble aujourd’hui plus de membres que tous les autres partis — la CAQ comptait « dans les environs de 50 000 membres » au début de l’année 2022, et le PQ 42 665 en date du 9 mars. Le Parti libéral du Québec (PLQ), qui avait atteint un creux historique de quelque 20 000 membres au début de l’année 2020, n’a pas voulu confirmer ses chiffres les plus récents au Devoir.

Allocations

L’écart entre le nombre de dons collectés par le PCQ et ceux des autres partis pourrait aussi s’expliquer par le peu d’allocations qui leur sont accordées, croit Jean-François Godbout, professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal.

« Le financement des allocations avantage les partis qui ont obtenu beaucoup de votes aux dernières élections. Ils peuvent être hyper impopulaires dans les sondages, mais ils vont quand même continuer à recevoir leurs chèques jusqu’à la prochaine élection. Éric Duhaime et son équipe, eux, doivent faire ça autrement pour se financer, ils n’ont pas le choix », explique-t-il.

Rappelons qu’aucun des 101 candidats du Parti conservateur du Québec n’a été élu lors des dernières élections provinciales. Le parti, qui n’avait récolté que 1,46 % des voix, a ainsi reçu un peu moins de 150 000 $ en allocations en 2021, derrière le Parti vert du Québec et toutes les autres principales formations politiques.

Allocations versées du 1er janvier au 31 décembre 2021

52,25$

C’est la valeur moyenne des dons faits au Parti conservateur du Québec en 2022.

Champion des petits dons

Bien que plus nombreux, les dons faits au PCQ sont néanmoins les plus petits : en moyenne, le don moyen versé au parti d’Éric Duhaime était de 52,25 $ depuis le début de l’année.

C’est moins que la moitié des montants moyens reçus par les autres partis, qui récoltent tous des dons moyens de plus de 100 $. La CAQ du premier ministre François Legault surpasse tous les autres concurrents, avec un don moyen à la hauteur de 138 $.

Ces « petits » dons seraient le résultat de la stratégie singulière du PCQ, selon la professeure de science politique Geneviève Tellier. « Ce qu’on appelle l’effet grassroot politique, c’est d’aller chercher des électeurs à la base, qui ne sont ni mobilisés ni très à l’aise financièrement. On n’est pas dans le secteur financier, le commerce ou les grands secteurs économiques, mais plus dans un activisme “populiste” où on va chercher des contributions à coups de 5, 10 ou 15 $. »

« En étant constamment en contact avec nos partisans et nos membres et en leur demandant de petits montants, on les écoute en même temps et on sait pour quelle cause ils vont donner leur appui. Ça nous permet de nous adapter rapidement », ajoute Geneviève Tellier.

Ces résultats sont donc tout à fait en lien avec ce que le parti d’Éric Duhaime cherche à faire, selon la professeure : « Taper sur le mécontentement des gens fréquemment, et à petite dose. »

Petites sommes ne sont toutefois pas synonymes de mauvaises nouvelles, souligne-t-elle. « Si les dons moyens sont plus petits, mais que les sommes amassées sont quand même plus grandes, ça veut dire qu’ils ont été capables d’aller rejoindre beaucoup de gens. »

Certes, malgré les petites sommes recueillies, le parti d’Éric Duhaime a déjà amassé plus de 388 000 $ auprès de ses donateurs depuis le début de l’année.

Le PCQ se classe ainsi juste devant le PQ, qui a reçu 319 000 $ de ses partisans depuis le début de l’année. C’est d’ailleurs le parti souverainiste qui avait réalisé le meilleur financement issu des donateurs lors des dernières élections sous Jean-François Lisée, avec 1,33 million de dollars.

Valeur moyenne des dons par année pour chaque parti

* Pour 2022, les données vont du 1er janvier au 13 avril

La prochaine opposition ?

Le bastion d’Éric Duhaime se situe sans contredit dans la région de la ville de Québec et ses abords. Le chef du PCQ tentera de gagner la circonscription de Chauveau, située dans la région de la Capitale-Nationale, cet automne.

Au prorata de population, c’est dans la ville de Lévis que l’on retrouve le plus grand nombre de donateurs au PCQ depuis 2015, avec 59 dons par 10 000 habitants.

Même si Montréal se classe au deuxième rang pour le nombre total de dons (après Québec), la métropole arrive au dixième rang en ratio de population.

Reste que le PCQ compte des appuis dans plusieurs autres villes de la province — même dans des régions plus éloignées, comme le Saguenay. La ville d’à peine 150 000 habitants est la cinquième en importance dans la province quant au nombre de dons effectués au PCQ par habitant.

« C’est une position élevée et c’est important, parce qu’il faut se souvenir qu’avant, le Saguenay–Lac-Saint-Jean était une région essentiellement dominée par le PQ. Pour le PCQ, d’avoir des appuis régionaux dans des régions pas très éloignées de Québec et Lévis, ça peut être un avantage », croit le politologue Frédéric Boily.

Top 10 des villes avec le plus de dons

Le nombre de dons est normalisé par 10 000 habitants
Macaron membre PCQ

Mais l’atout principal pour un parti comme le PCQ, c’est d’avoir ses appuis concentrés dans certaines régions, selon le professeur de l’Université de l’Alberta.

Avoir une importante base militante dans la région de Québec — là où Éric Duhaime s’est d’ailleurs fait connaître du grand public à la radio — pourrait donc être à l’avantage de son parti, croit M. Boily, qui fait la comparaison avec le Parti populaire de Maxime Bernier, au fédéral.

« C’était justement ça, son grand problème : [ses appuis] étaient trop éparpillés sur l’ensemble du territoire. Il vaut mieux, dans une première phase, être concentré dans certains endroits pour être capable d’en tirer des gains électoraux. »

Des gains électoraux, ce sera là le défi pour le parti. Car s’il a réussi à mobiliser de nouveaux donateurs et à recruter des milliers de nouveaux membres, encore faut-il que ces nouveaux partisans se rendent au bureau de vote en octobre. Le feront-ils ? La question se pose, selon Geneviève Tellier de l’Université d’Ottawa.

« Ce sont des gens qui sont contre l’establishment, contre les règles actuelles, ils ne sont donc pas portés à participer à ce système-là et à prendre le temps d’aller voter, puisqu’ils dénoncent les institutions et les résultats des élections », argue-t-elle. Or, il reste possible que le nouveau chef soit capable d’aller chercher les gens « cyniques et insatisfaits » et de les faire voter, ajoute-t-elle.

Ce ne sont d’ailleurs pas que les électeurs qui s’opposent aux mesures sanitaires qui risquent d’appuyer le parti : « [Éric Duhaime] a commencé à changer son discours. Au début, c’était très anti-mesures sanitaires, mais dernièrement, il parle plus des questions de santé, d’ouvrir ça au secteur privé… C’est plus une attaque contre l’État en général, ça risque d’attirer les gens à plus long terme », observe Mme Tellier.

Pour Frédéric Boily, le PCQ devra maintenant trouver de bons candidats pour garder son « sérieux ». « C’est vraiment une étape fondamentale, parce que si on réussit à attirer des candidats assez solides, même si on ne leur accorde pas nécessairement la victoire, ça vient donner encore plus de force du parti, comme quoi il est en train de s’imposer comme étant possiblement la véritable opposition officielle », conclut-il.