
L’assiette québécoiseentre autonomie et mondialisation Le Québec peut-il se nourrir de manière autonome?
La réponse en cartes animées.
Ce printemps, la pandémie a jeté une nouvelle lumière sur la notion d’autonomie alimentaire. Comment manger local à longueur d’année? Et à quel point notre industrie est-elle dépendante de l’exportation?
De prime abord, on pourrait croire que le Québec dépend en grande mesure d’autres pays pour s’alimenter. Le 3 avril, alors que les chaînes d’approvisionnement paraissaient vulnérables, le premier ministre François Legault exprimait sa volonté de renforcer l’autonomie alimentaire de la province. « On sait que, nous, en hiver, on dépend beaucoup des pays où c’est plus chaud », disait-il en conférence de presse.
S’il est vrai que le Québec est un grand importateur de fruits et de légumes frais lors de la saison froide, il est aussi un important exportateur en été. Globalement — et cela peut paraître étonnant —, son solde commercial pour l’année entière est positif.
En 2019, des produits valant 8,8 milliards de dollars ont été vendus à l’international depuis le Québec. La même année, les fournisseurs de la province achetaient pour 7,5 milliards de l’étranger.
Par ailleurs, aussi bien les importations que les exportations sont en forte progression au Québec. Entre 2009 et 2019, elles ont augmenté respectivement de 55% et de 95%. L’accroissement de la mondialisation dans le domaine alimentaire n’est cependant pas propre à la province.
« Les marchés sont beaucoup plus intégrés qu’ils ne l’étaient, soulève Daniel-Mercier Gouin, un professeur d’agroéconomie retraité de l’Université Laval. Le commerce international est en croissance. Et les goûts des consommateurs se sont énormément diversifiés. L’avocat est presque devenu un produit de consommation quotidienne. »
Le Devoir vous propose ici une série de cartes interactives montrant les flux internationaux de nourriture en direction ou en provenance du Québec pour l’année 2019. Les données ont été fournies par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Il est important de noter que ces données font abstraction du commerce interprovincial. C’est-à-dire qu’une exportation ou une importation figure au bilan québécois si elle traverse des douanes canadiennes donnant sur la province. Par contre, une laitue produite au Québec et exportée vers l’Illinois en passant par l’Ontario n’est pas prise en compte.

Exportations
La grande majorité des exportations du Québec vont vers les États-Unis. L’an dernier, des produits valant plus de 6 milliards de dollars y ont été acheminés.
La viande porcine figurait au premier rang des produits exportés vers nos voisins du sud.
Ce même produit constitue 20% des exportations totales du Québec. Il représente aussi la plus grande partie des exportations vers le Japon et la Chine.
La transformation des aliments détermine aussi de manière importante les exportations alimentaires du Québec.
Alors qu’il enseignait encore, le professeur Gouin avait l’habitude de poser une colle à ses étudiants: quel est, après le porc, le second produit d’exportation alimentaire du Québec?
La réponse: le chocolat.
Cette drôle de spécialité tient beaucoup aux hasards de l’histoire. Il y a plusieurs décennies, des usines se sont installées au Québec, notamment à Saint-Hyacinthe. Elles importent leur cacao d’un peu partout dans le monde. Au Canada, elles bénéficient d’un prix avantageux sur le sucre par rapport aux États-Unis, qui protège sa production nationale. Les transformateurs québécois vendent ensuite au sud de la frontière.
C’est une bizarrerie, mais ça montre bien la complexité de la question.
L’Union européenne est également un client privilégié du Québec. En 2019, des produits valant 668 millions y ont été exportés.
Parmi les catégories d’aliments les plus vendues là-bas, on compte les oléagineux (comme le soya) et les sucres (pensons au sirop d’érable).

Importations
Environ les trois quarts des importations alimentaires québécoises sont des produits transformés (comme des boissons, des bonbons, des grignotines, etc.) et le quart restant regroupe les produits frais.
En termes financiers, la plus grande partie des importations alimentaires entrant au Québec proviennent de l’Union européenne. Parmi celles-ci, plus d’un milliard de dollars sont consacrés aux boissons — notamment alcoolisées.
Le Québec importe aussi beaucoup de produits laitiers de l’Europe. Signé en 2017, l’Accord économique et commercial global (AECG) permet cette année aux producteurs européens de vendre plus de 10 000 tonnes de fromage au Canada en payant des droits de douane négligeables.
Les importations de fruits et de noix proviennent quant à elles d’une multitude de pays dans le monde (seulement 25% sont en provenance des États-Unis ou de l’Union européenne).
Quant aux légumes, ils sont principalement échangés dans le circuit nord-américain.
« Les légumes verts viennent en grande partie de la Californie durant l’hiver. On leur exporte la même chose durant l’été, une période où leur cycle de production est terminé », explique Michel Saint-Pierre, qui a été sous-ministre au MAPAQ de 2003 à 2008.
Parmi les légumes les plus importés, on retrouve les poivrons (24 millions de dollars en 2018) et les tomates (9 millions).

Production et consommation
Au-delà des échanges internationaux, quelle proportion des aliments consommés au Québec provient de la province? D’autres statistiques compilées par le MAPAQ fournissent une réponse à cette question.
En tout et partout, lorsqu’on considère les prix payés par les distributeurs, environ la moitié des aliments consommés dans la province proviennent du Québec; un peu plus d’un quart d’ailleurs au Canada; et un peu moins d’un quart d’ailleurs dans le monde.
Pour encore mieux cerner la question de l'autonomie alimentaire, on peut aussi comparer la production de chaque aliment à sa consommation dans la province. Même si cette approche fait fi de la saisonnalité des récoltes, elle informe du potentiel qu’aurait le Québec à se nourrir lui-même en faisant un usage optimal de la conservation en entrepôts, de la congélation et de la mise en conserve.
Certains produits destinés à l’exportation affichent de larges surplus. On produit par exemple 13 fois plus de sirop d’érable qu’on en consomme.
Pour certains produits soumis à la gestion de l’offre, comme le lait et la crème, la production colle de près à la consommation.
À l’autre bout du spectre, on constate la grande dépendance du Québec à l’importation internationale ou interprovinciale, comme dans le cas des céréales et des produits céréaliers.
En somme, le Québec est un acteur dynamique sur le marché international de l’alimentation… pour le meilleur et pour le pire.
Je suis inquiet de voir comment le commerce international est utilisé pour exercer des pressions géopolitiques, surtout pour un petit pays comme le Canada. C’est dangereux, surtout lorsqu’il est question d’alimentation.
En contrepartie, ce spécialiste du développement rural croit que les pays choyés par la nature doivent fournir leur part d’efforts pour nourrir le monde. « Au Canada, on a des ressources en terres bien supérieures à nos besoins. En Asie, des pays vident des nappes phréatiques millénaires pour faire pousser des céréales. »
« Je ne fais pas un objectif de l’autonomie alimentaire, ajoute M. Mundler. Ce qui est important, c’est la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire d’avoir le contrôle sur nos choix. »