
Que faut-il retenir de l’affaire UNIS?
Le premier ministre Justin Trudeau a comparu devant le comité des finances de la Chambre des communes le 30 juillet sur l’affaire UNIS. Il a témoigné dans le cadre de l’octroi d’une entente de contribution avec l’organisme UNIS pour lequel il fait l’objet d’une enquête par le commissaire aux conflits d’intérêts. Le Devoir revient sur les relations complexes de l’organisme des frères Kielburger avec la famille Trudeau et avec celle de son ministre des Finances, Bill Morneau.
Qui sont les acteurs impliqués dans l’affaire ?
Le mouvement UNIS L’organisme de charité UNIS a été fondé en 1995 par les frères Marc et Craig Kielburger. L’organisation vient notamment en aide aux enfants dans les pays défavorisés. Elle met en œuvre des programmes de développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine axés sur l’éducation, l’eau, la santé, l’alimentation ainsi que dans le secteur économique. Elle est toujours administrée par les frères Kielburger aujourd’hui.
Justin Trudeau et sa famille Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’est retrouvé mêlé à la controverse soulevée par le scandale UNIS. Certains membres de sa famille, dont son épouse, Sophie Grégoire Trudeau, sa mère, Margaret Trudeau, ainsi que son frère, Alexandre Trudeau, ont eu affaire à UNIS par le passé.
Bill Morneau et sa famille Le ministre des Finances du gouvernement fédéral, Bill Morneau, est également impliqué dans le conflit en raison des liens existant entre ses filles, Clare Morneau et Grace Acan, son épouse, Nancy McCain, et l’organisation caritative.
Le cabinet Trudeau Plusieurs membres du cabinet Trudeau sont mêlés au scandale, dont Mary Ng, ministre du Commerce international et ministre de la Petite Entreprise et de la Promotion des exportations, Rachel Wernick, sous-ministre adjointe principale d’Emploi et Développement social Canada, et Bardish Chagger, ministre fédérale de la Jeunesse.
Le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique fédéral Le commissaire Mario Dion est indépendant. Il relève du Parlement et non du gouvernement. Il est chargé de faire appliquer la Loi sur les conflits d’intérêts et le Code régissant les conflits d’intérêts des députés. Par le passé, il a déclaré le premier ministre Trudeau coupable d’avoir violé la loi dans l’affaire SNC-Lavalin.
De quelle manière sont-ils impliqués ?
Le 25 juin dernier, le gouvernement libéral a accordé l’entente de contribution à UNIS afin de gérer un programme de bourses pour étudiants d’une valeur de 912 millions de dollars. Le projet avait pour but d’aider les jeunes dans le contexte de la pandémie de COVID-19 en leur offrant jusqu’à 5000 $ en échange d’heures de bénévolat auprès d’organismes communautaires. UNIS aurait reçu 43,5 millions de dollars pour la gestion du programme.
Or, le 3 juillet, des liens entre la famille Trudeau et l’organisme ont été révélés. L’épouse du premier ministre, Sophie Grégoire Trudeau, est notamment ambassadrice pour UNIS. Le frère et la mère de Justin Trudeau ont également reçu 282 000 $ au total de la part d’UNIS entre 2016 et 2020.
Margaret Trudeau a touché 250 000 $ en honoraires pour avoir pris part à une trentaine d’activités de l’organisme. Pour sa part, Alexandre Trudeau a pris la parole à huit occasions, pour une rémunération de 32 000 $. Ces liens étroits entre la famille Trudeau et UNIS soulèvent alors des questions quant à un possible conflit d’intérêts.
Quelques jours plus tard, d’autres filiations entre le gouvernement libéral et UNIS sont révélées. Les deux filles du ministre des Finances, Bill Morneau, sont liées à l’organisme de charité. L’une d’elles y a prononcé un discours en 2016 et l’autre, Clare Morneau, est une employée contractuelle de l’organisation.
La famille du ministre des Finances a également effectué des voyages humanitaires en Équateur et au Kenya organisés par UNIS en 2017. Le ministre Morneau a avoué avoir accepté plus de 40 000 $ en frais de déplacement de la part de l’organisme caritatif.
Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêts ?
Le commissaire à l’éthique, Mario Dion, enquêtera sur de « possibles contraventions » aux articles de la Loi sur les conflits d’intérêts. Cette loi interdit à « tout titulaire de charge publique de prendre une décision ou de participer à la prise d’une décision dans l’exercice de sa charge s’il sait ou devrait raisonnablement savoir que, en prenant cette décision, il pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts ».
Elle interdit également aux ministres et à leur famille d’accepter des voyages payés, parce que cela pourrait être vu comme une tentative d’influence.
L’entente de contribution
Le 7 avril, la ministre du Commerce international, de la Petite Entreprise et de la Promotion, Mary Ng, discute avec UNIS. Les frères Kielburger évoquent le programme d’entrepreneuriat social qu’ils ont développé pour aider les jeunes à lancer de petites entreprises. Deux jours plus tard, ils envoient à la ministre Ng ainsi qu’au ministre de la Jeunesse, Bardish Chagger, et au ministre Bill Morneau une copie de leur programme.
Le 19 avril, des fonctionnaires indiquent à M. Morneau qu’un partenariat avec un tiers serait nécessaire pour la gestion du programme de bourses. UNIS est mentionné en tant qu’organisme effectuant déjà ce genre de travail auprès de jeunes bénévoles. Le ministre Morneau considère que c’est la première fois qu’il participe à des discussions liées à UNIS et au programme de subventions.
Le 22 avril, Justin Trudeau annonce une enveloppe de 9 milliards de dollars, dont le programme de subvention canadienne pour services aux étudiants de 912 millions de dollars. Le même jour, UNIS envoie à Rachel Wernick, la sous-ministre adjointe principale d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), une proposition qui explique comment il pourrait gérer un tel programme.
Vers la fin du mois d’avril, Wernick et ses collègues décident qu’UNIS est le meilleur groupe pour offrir le programme de subventions. Elle envoie l’ébauche de la proposition du Cabinet à sa sous-ministre, et le bureau de sa sous-ministre l’envoie ensuite à Chagger.
Lors d’une réunion du Cabinet, Chagger présente la première proposition de programme de subventions, qui inclut UNIS comme administrateur privilégié. Morneau indique qu’il n’était pas présent à cette réunion.
Les négociations avec UNIS sur l’accord de contribution sont entamées à la mi-mai. Les jours suivants, des réunions entre les fonctionnaires, Justin Trudeau et Bill Morneau ont lieu afin de discuter et de présenter le programme de subventions. Le 3 juin, Morneau approuve le financement final du programme. Le 25 juin, l’organisme reçoit 19,5 millions de dollars du gouvernement, qui a octroyé l’entente de contribution sans appel d’offres.
Les contrecoups
À la suite des révélations sur les liens qui existent entre le gouvernement libéral et UNIS, MM. Trudeau et Morneau ont tous deux admis qu’ils avaient fait une erreur en ne s’excluant pas du processus, étant donné également la proximité de l’organisme avec des membres de leurs familles respectives.
Depuis le scandale, Bill Morneau a annoncé avoir fait un chèque de 41 366 $ à l’organisme pour rembourser les dépenses liées aux voyages auxquels sa famille et lui ont participé en 2017.
La démission de Justin Trudeau et de Bill Morneau est réclamée par le Parti conservateur et le Bloc québécois. Ce dernier est d’ailleurs prêt à faire tomber le gouvernement libéral, dont l’appui a chuté de 11 points de pourcentage dans la foulée de cette affaire.
Le témoignage
Lors de sa comparution devant le comité des finances, le premier ministre a martelé qu’il n’a pas fait pression pour accorder un traitement de faveur à l’organisme UNIS. Il affirme avoir au contraire réclamé plus de vérifications.
« Ni moi ni mon personnel n’avons tenté de dicter la directive émise par la fonction publique pour recommander l’organisme UNIS », a-t-il indiqué.
En raison de la crise de la COVID-19, le premier ministre a insisté sur l’importance d’agir et de prendre des décisions rapidement et sur le fait qu’« agir lentement aurait été aussi mauvais que ne rien faire du tout ».
Il a ajouté n’avoir jamais parlé à son personnel de l’entente de contribution du gouvernement avec UNIS avant le 8 mai ni aux cofondateurs de l’organisme. Interrogé sur ses liens avec les frères Kielburger, M. Trudeau a rétorqué qu’il n’entretenait aucune relation personnelle avec ces derniers. Il les aurait seulement côtoyés lors d’événements publics.
Quant aux liens entre le ministre Morneau, sa famille et l’organisme, Justin Trudeau a affirmé qu’il « ne savait pas particulièrement » que le ministre avait voyagé avec UNIS par le passé. « Mais je ne suis pas surpris, car M. Morneau est impliqué dans bien des causes », a-t-il ajouté.