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Naître Autochtone au Québec : quand l’avenir écope du passé

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Naître Autochtone au Québec : quand l’avenir écope du passé
Une personne autochtone au Québec subira tout au long de sa vie les conséquences d’un système défaillant.

13 juillet 2020

Le Québec compte 11 nations autochtones, composées des Premières Nations, des Inuits et des Métis, principalement réparties au sein de 55 communautés. Bien que chacune ait ses particularités, elles font toutes l’objet de nombreux préjugés.


Widia Larivière
Photo : Adil Boukind Le Devoir

Une des premières questions qu’on me pose lorsque je dis que je suis d’origine autochtone, c’est : « Est-ce que tu paies des taxes ? » Et lorsque je bois de l’alcool, on me fait des petits commentaires sur ma capacité à tolérer l’alcool. Plus jeune, ça a eu un impact sur l’affirmation identitaire, sur l’estime. Cela demande un travail de réaffirmation, de réappropriation de sa fierté identitaire.

WIDIA LARIVIÈRE, MILITANTE ANISHNABE, COFONDATRICE DU MOUVEMENT IDLE NO MORE QUÉBEC ET DE L’ORGANISME MIKANA

Enfance

Éducation

73 % des Autochtones âgés de 25 à 64 ans ont un diplôme ou un certificat scolaire, tandis que ce taux n’atteint que 10,9 % pour les diplômés universitaires, d’après le recensement de 2016 effectué par Statistiques Canada. Les causes sont multiples et systémiques selon une revue du Bureau international du droit des enfants parue en 2015. La langue d’enseignement en milieu urbain est différente de celle pratiquée dans le cadre familial et rares sont les enseignants capables d’utiliser les deux. De plus, la structure éducative canadienne encourage l’obtention d’un diplôme dans un temps imparti et n’offre pas de matières correspondant aux savoirs traditionnels autochtones.

Cela contribue à un désengagement de la culture d’origine ou à un décrochage scolaire, auxquels s’ajoutent la discrimination et l’intimidation subies en classe ou dans la cour de récréation. Bien que des établissements scolaires au sein des communautés existent, leur financement est minime, ce qui entraîne un manque de formation des enseignants et d’infrastructures adéquates nuisant à la qualité de l’apprentissage.

Services de protection de la jeunesse

Les jeunes autochtones sont cinq fois plus souvent pris en charge par les services de protection de la jeunesse (SPJ) que les autres. Comme l’évoque le rapport Viens publié en 2019, les traumatismes engendrés par les pensionnats et la rafle des années 1960 ont laissé des séquelles intergénérationnelles. Une situation de dépendance et de précarité est pointée, source de négligence infantile, tant sur le plan physique que sur les plans de la santé ou de l’éducation. Par ailleurs, les intervenants des SPJ ignorent bien souvent les principes culturels autochtones. On attend des parents et des familles d’accueil qu’ils se conforment aux valeurs occidentales. Cependant, laisser si peu de place aux conceptions familiales et aux pratiques culturelles autochtones ne fait qu’augmenter le nombre de prises en charge et de placements. De plus, le même rapport souligne que les services sociaux préventifs, intensifs ou spécialisés au sein des communautés sont souvent déficients ou inaccessibles, voire absents. D’après Régine Laurent, présidente de la Commission Laurent, un personnel correctement formé fait également défaut, de même qu’un fort taux de roulement.

Ma mère a été en pensionnat. Elle a eu sept enfants dont elle ne pouvait pas s’occuper du fait des conséquences du pensionnat. Mes parents adoptifs ont essayé de m’éduquer de façon à ce que j’éprouve de la honte pour ma culture d’origine. Ils me disaient toujours que la plupart des Autochtones, quand ils deviennent adultes, sont alcooliques, toxicomanes ou prostitués et que je deviendrais comme eux.

NAKUSET, DIRECTRICE DU FOYER POUR FEMMES AUTOCHTONES DE MONTRÉAL

Revenu et emploi

Revenu

Le revenu total médian des Autochtones n’atteint que 34 634 $. La Loi sur les Indiens confère à ceux qui peuplent les réserves des droits différents, comme l’a souligné l’anthropologue Pierre Lepage. Exempté du droit de saisie, ils ne peuvent emprunter de l’argent, contracter une hypothèque ou recourir au crédit à la consommation. Ce cadre est peu propice au développement d’entreprises et entrave l’essor de l’activité économique.

Emploi et chômage

Leur accès et leur participation au marché du travail sont limités. Celui-ci est d’ailleurs quasi inexistant dans nombre de réserves, souvent éloignées des grands centres. Les obstacles à la scolarisation et à la diplomation, de même que les préjugés sont aussi en cause. D’autres facteurs sont culturels, telles les différences linguistiques, ou viennent des politiques gouvernementales, comme le mentionne une recherche menée par le Comité consultatif des Premières Nations et des Inuits relatif au marché du travail en 2016.

Il y a une perception que les Autochtones sont des moins que rien, des alcooliques… C’est une vision très négative. De plus, au Québec, la langue est un problème majeur ; les gens doivent parler français pour travailler et se conformer à la société.

Nakuset

Logement

Itinérance en milieu urbain

Il n’y a pas assez de services publics, de logements, d’hôpitaux, d’écoles dans les réserves. Quand ils viennent à Montréal, c’est un vrai choc culturel. Ils sont généralement ciblés par les créanciers, n’ont plus d’argent, sont à la rue. Ils viennent dans des refuges pour essayer de trouver un moyen de survivre.

Nakuset

En raison des conditions socioéconomiques difficiles dans les réserves, de tensions relationnelles ou de l’attrait pour la ville, le Mouvement pour mettre fin à l'itinérance à Montréal indique que beaucoup d’Autochtones migrent vers le milieu urbain. Ce sont principalement les jeunes, en nombre grandissant, ainsi que les Inuits. À leur arrivée en ville, ils peuvent cependant se heurter à d’importants obstacles en matière d’accès au logement et aux services sociaux culturellement adaptés, comme l’indiquait un rapport de l’ODENA en 2018. Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, précise que beaucoup d’Autochtones n’ont pas accès à un logement en raison de leur origine, bien que cela soit illégal.


Données Itinérance Montréal

Pénurie de logements et vétusté des lieux

33 020 Autochtones au Québec au total logent dans un habitat nécessitant des travaux majeurs, qu’il s’agisse d’une plomberie ou d’une installation électrique défectueuse, de problèmes structurels aux murs, au sol ou au plafond.

De plus, les investissements gouvernementaux sont insuffisants pour enrayer la crise du logement dans les réserves, notamment dans les villages nordiques de la province. Comme le souligne Véronique Laflamme, il y a eu un sous-investissement durant des années, donc les besoins d’aide sont colossaux.

Manque d’espace et surpeuplement

Dès lors, 14,2 % des Autochtones vivent dans des logements surpeuplés, selon un rapport du FRAPRU publié en 2018. Il est courant de devoir dormir à tour de rôle afin que chacun puisse disposer d’un lit. Dans ce cadre de vie, les jeunes n’ont pas d’environnement adéquat pour étudier. L’apparition de maladies y est également favorisée, de même que la violence et les suicides. Une analyse commandée par le ministère de la Santé et des Services sociaux et publiée en 2017 dénombrait 360 cas de tuberculose pour 100 000 habitants inuits de 2012 à 2015. La moyenne québécoise se situait à 2,9 cas pour 100 000 habitants.

Police

Rapports avec la police en milieu urbain

D’après un rapport commandé par le SPVM et publié en 2019, les conditions de vie précaires de nombreux Autochtones favorisent les interventions policières. Celles-ci font état d’une surveillance et d’un interventionnisme excessifs, influencés par des stéréotypes.




Données Itinérance Montréal

Les principales causes des constats d’infraction sont la consommation d’alcool, l’ivresse, les injures lancées aux agents de la paix et le fait de se coucher dans un endroit public. Ces contraventions sont souvent données aux personnes itinérantes, qui, faute de pouvoir les payer, se voient parfois emprisonnées. Cependant, la Ville de Val-d’Or a depuis suspendu les incarcérations pour non-paiement d’amendes.

Sous-financement des corps policiers dans les réserves

En plus d’un écart de salaires allant jusqu’à 40 % ou 50 % avec les autres corps policiers du Québec, les équipements et les infrastructures sont obsolètes ou absents, comme le mentionne le rapport Viens. Le sous-financement des services policiers est un problème majeur puisque le manque d’effectifs se répercute sur les conditions de travail et la qualité des services rendus. Les distances peuvent être longues à parcourir lorsqu’une urgence a lieu, attisant l’insécurité et les situations dangereuses. De plus, la proximité sociale entre les membres des communautés tend à entraver les interventions et la dénonciation des abus.

Formation des corps policiers dans les réserves

Afin de s’assurer une relève, les corps policiers autochtones assument généralement les frais de formation en patrouille-gendarmerie — plus de trois fois plus élevés que pour les allochtones — de leurs candidats. Cet écart de coûts s’explique notamment par le fait que les premiers ne sont pas tenus de verser l’équivalent de 1 % de leur masse salariale à l’École nationale de police du Québec (ENPQ), contrairement aux seconds. La différence est alors comblée par le montant payé pour la formation. L’indisponibilité de certaines formations en anglais représente aussi un obstacle puisque les traductions se font souvent à leurs frais.

Santé

Problèmes de santé et accès aux soins médicaux

64,3 % des membres des Premières Nations, 63,6 % des Métis et 66,9 % des Inuits disent avoir un ou des problèmes de santé chroniques, comme le diabète, les maladies respiratoires et contagieuses ou la dépression, d’après une étude de l’IRIS publiée en 2019. Différents facteurs y sont évoqués. Les conditions socioéconomiques sont déplorables, comme en témoignent l’insalubrité des logements et les revenus modestes. Le recours aux soins médicaux est quant à lui limité, tant au chapitre de l’effectif du personnel soignant qu’au chapitre de la prise en charge des frais engagés par le programme fédéral de Services de santé non assurés, comme l’indique le rapport Viens. De plus, les communautés sont souvent dépourvues d’établissements pratiquant des interventions d’urgence et offrant des soins spécialisés, comme les services ambulatoires d’urgence ou de réadaptation destinés aux personnes nécessitant un suivi psychosocial spécifique.

Le poids du passé

D’après la revue sur les enfants autochtones du Québec du Bureau international du droit des enfants parue en 2015, la sédentarisation forcée a généré des bouleversements profonds. On note par exemple le passage d’une alimentation traditionnelle à un régime alimentaire majoritairement composé d’aliments transformés. La vie dans les réserves a imposé la promiscuité dans les logements, engendrant des dysfonctionnements familiaux nuisibles à la santé mentale et physique, comme la violence familiale.

De surcroît, les répercussions relatives à l’acculturation des Autochtones dans les pensionnats et lors de la rafle des années 1960 sont toujours prégnantes aujourd’hui. Selon un rapport du MMFIM publié en 2015, lorsqu’un traumatisme culturel survient et s’ajoute à d’autres, les incidences sur la santé physique et psychologique se transmettent entre les générations. Elles sont influencées par les moyens d’adaptation mis en œuvre, les comportements parentaux transmis et les réactions neuronales et comportementales de chacun. Cela peut se traduire par l’anxiété, la dépendance, la dépression, la perte d’estime de soi et peut même aller jusqu’au suicide. Ces expériences ont creusé un fossé générationnel, brisant les formes d’éducation traditionnelles autour de la transmission des savoirs ancestraux par l’expérience et l’observation.


Nakuset
Photo : Courtoisie Marie-Claude Fournier

Ma sœur a été placée en famille d’accueil, en foyers et dans des centres d’hébergement. Elle avait de nombreux problèmes de santé mentale, donc elle a fait plusieurs tentatives de suicide. Quand le gouvernement a décidé de verser des indemnités après la rafle des années 1960, elle n’était pas admissible. Cela l’a vraiment bouleversée parce que ce qui lui est arrivé a ruiné sa vie. Sonya s’est suicidée il y a presque deux ans.

Nakuset

Naître et grandir Autochtone au Québec est loin d’être un long fleuve tranquille. Les discriminations, nombreuses, existent tant dans la vie quotidienne que dans les rouages administratifs d’un système inadapté aux enjeux autochtones.

Des acteurs s’engagent chaque jour à briser ce cercle vicieux, comme Nakuset et Widia Larivière. Cliquez ici pour lire leur histoire.