30 ans après Polytechnique, retour sur la violence par armes à feu au Canada
Cette semaine marque les trente ans de la tuerie de Polytechnique. Depuis, survivantes et proches de victimes ont milité pour un contrôle plus serré des armes à feu.
S’il y a eu la création du Registre des armes à feu en 1995, il y a aussi eu son abolition en 2012. Trente ans de réglementations et de déréglementations plus tard, « Le Devoir » dresse le portrait de la violence par arme à feu au pays afin de comprendre son évolution.
Tuerie de Polytechnique
Le 6 décembre 1989, un tireur s’introduisait dans l’École polytechnique de Montréal, faisant 14 victimes et autant de blessés. Les victimes, des femmes. Un féminicide qui demeure toujours aujourd’hui la tuerie en milieu scolaire la plus meurtrière de l’histoire au pays.

L’arme du crime : un Ruger Mini-14, une carabine semi-automatique. Une arme à feu toujours disponible, puisque classée dans la catégorie des armes de chasse. « Une absurdité », selon l’enseignant en histoire au Cégep de Trois-Rivières et chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand Francis Langlois, rappelant que certaines armes utilisées lors de tueries sont toujours disponibles. « Si on accepte le fait qu’elles ne sont pas automatiques, ce sont des versions civiles du fusil d’assaut », juge l’enseignant qui se spécialise sur la question des armes à feu aux États-Unis et au Canada.
À la suite de la tuerie, survivants et proches de victimes militent pour un meilleur contrôle des armes à feu sur le territoire canadien. En découle l’adoption du projet de loi C-68, la Loi sur les armes à feu, qui crée, notamment, le Registre canadien des armes à feu.
Fusillade à l’Université Concordia
Trois ans après Polytechnique, une autre fusillade survient en milieu scolaire au Québec. Un professeur du Département de génie de l’Université Concordia tue quatre collègues et en blesse une autre.

Il s’agit de la troisième tuerie la plus meurtrière en milieu scolaire de l’histoire du Canada.
La création du Registre canadien des armes à feu
En 1995, le Registre canadien des armes à feu est créé. À partir de ce moment, les Canadiens sont dans l’obligation d’enregistrer toutes leurs armes.
À la suite de la tuerie de Polytechnique, des survivantes et des proches des victimes ont activement milité pour qu’un registre de la sorte soit créé.
Bien qu’elle soit la plus connue, la loi C-68 faisait suite à plusieurs mesures visant un contrôle accru des armes à feu sur le territoire canadien.
Par exemple, la loi C-51 de 1977 obligeait les Canadiens à obtenir un permis pour l’acquisition et la possession d’une arme.
Fusillade à la W. R. Myers High School
Huit jours à la suite de la fusillade de Columbine aux États-Unis, un élève de quatorze ans s’introduit dans l’école secondaire W. R. Myers High School en Alberta, y tuant une personne avec une carabine semi-automatique.

Les enquêtes révéleront que le tueur avait été sévèrement intimidé avant d’abandonner l’école. « Les auteurs de massacres sont souvent victimes du rejet de leurs pairs », explique la professeur adjointe de criminologie à l’Université Saint-Mary’s Rachael E. Collins. Celle qui se spécialise dans la recherche entourant le comportement des tueurs de masse ajoute que ceux-ci décideront parfois « d’obtenir une arme à feu puisque cela constitue une forme de pouvoir et de contrôle — ce qui manque dans leur propre vie ».
Fusillade au collège Dawson
En septembre 2006, un homme ouvre le feu au collège Dawson de Montréal. La fusillade fera une victime et 19 blessés.

La Loi visant à favoriser la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des armes à feu a été promulguée l’année suivante par le gouvernement du Québec. Cette loi interdit la possession d’arme à feu, entre autres, en milieu scolaire. Les sanctions contre les contrevenants sont renforcées.
Abolition du Registre
En 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper abolit le Registre des armes à feu non restreintes. Plusieurs groupes de chasse et de pêche appuyaient l’abolition de cette catégorie qui inclut principalement les carabines et les fusils de chasse. À l’opposé, bon nombre d’experts de la santé, organisations policières et groupes favorables à un contrôle plus serré des armes à feu s’y opposaient.
Depuis, le Québec s’est doté de son propre Registre des armes à feu.
Fusillade au parlement d’Ottawa
En octobre 2014, un tireur ouvre le feu dans les environs du Monument commémoratif de guerre à Ottawa, tuant un réserviste des Forces armées canadiennes. L’homme se rend ensuite au parlement, où il échange plusieurs coups de feu avec les forces de l’ordre avant d’être abattu.

Fusillade de La Loche
En janvier 2016, à La Loche, en Saskatchewan, un adolescent tue quatre personnes et en blesse sept autres, faisant de cette fusillade la plus meurtrière s’étant produite dans une école secondaire au Canada.

Attentat à la Grande Mosquée de Québec
Six personnes perdent la vie et huit sont blessées lorsqu’un homme ouvre le feu au Centre culturel islamique de Québec en pleine heure de prière.

Le tireur utilise une arme de poing obtenue légalement. Il avait pourtant prévu d’utiliser une arme semi-automatique. Celle-ci s’est enrayée peu avant l’événement et il n’a donc pu l’utiliser.
L’abolition du Registre a-t-elle entraîné une hausse d’homicides?
Si une augmentation du nombre d’homicides par arme à feu est observable depuis 2013, elle ne peut être directement attribuable à l’abolition du Registre des armes à feu non restreintes en 2012 par le gouvernement Harper, selon l’enseignant qui se spécialise sur la question des armes à feu au Canada, Francis Langlois.
Alors que l’abolition du Registre des armes non restreintes de 2012 par le gouvernement Harper touchait majoritairement les armes de chasse, c’est l’arme de poing qui est aujourd’hui la plus utilisée lors d’homicides.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions, croit l'enseignant. « Nous verrons peut-être une tendance dans dix ou quinze ans », avance-t-il.
Les armes de poings au cœur des homicides
Depuis 1989, les homicides commis avec une arme de poing sont en constante augmentation. Cette année-là, ils étaient en cause dans près de 29 % des homicides par arme. La majorité (70 %) des homicides par arme était alors attribuable aux carabines et aux fusils de chasse.
Trente ans plus tard, c’est tout le contraire. Les armes de poing représentent 65 % des armes utilisées lors d’homicides, alors que les armes de chasse y sont pour 26 %.
L’origine de ce revirement pourrait se trouver dans un changement de culture orchestré par les fabricants d’armes à feu au milieu des années 1980, lorsque ceux-ci ont « délaissé le marché de l’arme de chasse au profit d’armes de type militaire et policière », relève l’enseignant en histoire au Cégep de Trois-Rivières Francis Langlois.
S’il y a « effectivement une dynamique dans l’augmentation du taux d’homicides par arme à feu, particulièrement dans les grands centres urbains […], il y a [aussi] une dynamique assez importante liée au monde criminel », estime Francis Langlois.
Gangs de rue, armes illégales et homicides
En effet, parmi les homicides par arme à feu au Canada en 2018, près de la moitié sont attribuables à des gangs. En 14 ans, la proportion a augmenté d’environ 20 %, passant de 29 % en 2014 à 51 % aujourd’hui.
La proportion de ces homicides commis à l’aide d’armes à feu illégales est inconnue. Or, le nombre d’armes à feu illégales serait en augmentation au pays selon plusieurs corps de police.
De façon générale, les armes à feu illégales sont plus souvent en cause dans les cas d’homicides attribuables aux gangs. « Les gangs ont tendance à s’en débarrasser pour éviter de traîner une preuve avec eux, explique l’enseignant Francis Langlois. Ils vont aussi moins réfléchir avant de les utiliser puisque l’arme est plus facile à remplacer. »
À la suite d’une modification de la définition d’« homicide attribuable à une bande » en 2003, les données colligées avant cette période et celles qui l’ont été après ne peuvent être comparées.
Un flou statistique
D’où proviennent les armes à feu utilisées pour commettre des crimes ? Voilà une question à laquelle plusieurs chercheurs aimeraient bien obtenir une réponse.
Pourtant, « la GRC ne collige pas de façon systématique quelles armes ont été amassées sur une scène de crime et leur origine. C’est fait de façon sporadique », explique Francis Langlois. Impossible, donc, de connaître leur provenance ou de savoir si elles ont été faites maison.

Un flou statistique qui nuit non seulement aux universitaires dans leurs recherches, mais aussi aux parlementaires dans l’élaboration de réformes.
« Ça me fait penser à ce qu’a fait la National Rifle Association dans les années 1970 aux États-Unis », remarque celui qui se spécialise sur la question des armes à feu aux États-Unis et au Canada. À l’époque, l’association avait réussi à obtenir l’interdiction d’études sur les armes à feu aux États-Unis. « Cela avait asséché la recherche universitaire », assure-t-il.
Les armes à feu catégorisées
Au Canada, les armes à feu sont catégorisées en trois groupes. La classification dicte les exigences légales et sécuritaires liées à sa possession ou à son obtention.
Les armes prohibées
Dans cette catégorie se classent les armes automatiques, les petits pistolets, ainsi que les armes transformables en armes automatiques. Il n’est plus possible de se procurer ce type d’armes au Canada depuis 1978 pour les armes automatiques, et 1998 pour certaines armes de poing. Or, les détenteurs de ce type d’armes au moment de l’adoption des législations jouissent d’une clause de droits acquis.
Le terme « arme automatique » désigne toute arme étant conçue pour tirer des projectiles en rafale par une simple pression de la détente. Son rechargement est également automatique. Ces armes sont principalement utilisées à des fins militaires.
Les armes de poing, c’est-à-dire de petits pistolets dont la longueur du canon ne dépasse pas 105 mm, sont incluses dans cette catégorie.
Cette catégorie fait partie du Registre des armes à feu canadien, en vigueur depuis 1995. Ces armes doivent donc être enregistrées auprès de la Gendarmerie royale du Canada.
Les armes restreintes
Cette classification comprend les armes de moins de 660 mm de longueur et dont le canon est inférieur à 470 mm.
Entrent ainsi dans cette catégorie bon nombre d’armes de poing n’étant pas classées comme prohibées.
Pour pouvoir se procurer et posséder une arme restreinte, il est impératif de détenir un permis de possession d’arme à feu et acquisition à autorisation restreinte.
Comme les armes prohibées, elles font toujours partie du Registre canadien des armes à feu et doivent être enregistrées.
Les armes non restreintes
Une arme est non restreinte si elle n’est pas classée comme prohibée ou restreinte. Plus précisément, cette catégorie regroupe les armes dont le canon est supérieur à 470 mm, soit principalement les carabines et les armes de chasse.
Il est obligatoire de posséder un permis de possession d’arme à feu pour détenir de telles armes, mais elles n’ont plus à être enregistrées dans le Registre canadien des armes à feu depuis 2012.
Au Québec, la situation est différente. La province s’est dotée en 2018 de son propre registre des armes non restreintes à la suite de son abolition au fédéral. Environ 900 000 armes avaient été enregistrées sur un total avancé par le gouvernement de 1,6 million.
Législation actuelle
En plus des registres des armes à feu prohibées et restreintes, plusieurs règlements régissent le transport, l’entreposage, la possession et l’achat d’armes à feu au Canada.
Des règlements qui pourraient subir quelques modifications au courant des prochaines années, le gouvernement Trudeau ayant promis des réformes en campagne électorale.
Que changeront ces modifications ? Coup d’œil sur de possibles réformes gouvernementales et des suggestions des groupes militant pour un contrôle plus serré des armes à feu.
Interdiction des armes de poing au municipal
En campagne électorale, Justin Trudeau s’est engagé à permettre aux villes canadiennes de bannir les armes de poing sur leur territoire si telle était leur volonté. Une demande devenue récurrente au cours des dernières années des villes telles que Montréal et Toronto.
Cela serait « un pas dans la bonne direction », croit Francis Langlois. S’il estime que la vaste majorité des propriétaires d’armes à feu font très attention aux moyens d’entreposer leurs armes, il rappelle que selon plusieurs études réalisées aux États-Unis, plus il y a d’armes à feu en circulation, plus il y a de risques de violences.
En vertu des législations actuelles, les armes de poing sont restreintes et contrôlées.
Interdiction des armes automatiques
Au Canada, les armes automatiques sont déjà strictement régies. Elles ne sont plus accessibles depuis 1978.
Cependant, il n’est pas impossible qu’une arme autrefois achetée légalement soit revendue par son propriétaire sur le marché noir. Le numéro de série est effacé et les autorités perdent sa trace.
Dans cette optique, les libéraux avaient promis lors de la dernière campagne d’interdire les armes d’assaut de type militaire. Ils le feront vraisemblablement au courant de la prochaine année.
Un programme de rachat des armes devrait être mis sur pied pour indemniser les propriétaires.
Au début du mois de novembre, le groupe pour le contrôle des armes PolySeSouvient a interpellé le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Bill Blair, afin qu’il mette en œuvre un « moratoire immédiat sur la vente d’armes d’assaut ». Une interdiction permanente sur l’importation et la fabrication des armes de poing a aussi été réclamée.
Interdiction des armes de poing à l'échelle nationale
Il s’agit d’une demande formulée par plusieurs groupes favorables à un contrôle plus restreint des armes à feu sur le territoire canadien, dont PolySeSouvient. Le groupe estime qu’une interdiction des armes de poing au municipal serait « inefficace ».
L'enseignant Francis Langlois abonde dans le même sens. « Si à Montréal on dit qu’on interdit la possession d’armes de poing sur le territoire et qu’on interdit les champs de tir, il n’y a rien qui empêche les champs de tir d’aller s’installer à Repentigny », explique-t-il.
Pour la professeur adjointe de criminologie à l’Université Saint-Mary’s Rachael E. Collins, les simples interdictions ne sont pas efficaces. « Dans les faits, si les gens veulent des armes, ils en trouveront », écrit-elle dans un échange de courriels avec « Le Devoir ». Néanmoins, elle juge qu’« une plus grande éducation sur les armes à feu jumelée à des lois plus strictes peut s’avérer efficace si elles sont combinées à une augmentation des services en aide mentale ».
Interdiction des armes semi-automatiques
Il ne s’agit pas d’une réforme prévue au Canada, mais bien d’un durcissement législatif promulgué en Nouvelle-Zélande à la suite du massacre de Christchurch dans lequel 51 personnes ont perdu la vie.
Cette réforme est devenue un exemple mondial et une inspiration pour plusieurs groupes qui militent pour un contrôle plus serré des armes à feu.
Il existe un flou quant à savoir quelles armes devraient être considérées comme des « armes d’assaut », mais PolySeSouvient dit préconiser le modèle néo-zélandais « qui interdit toute arme à feu semi-automatique à l’exclusion des carabines à percussion annulaire de calibre .22, de même que certains fusils à pompe ». Parallèlement, le groupe recommande de limiter les chargeurs à cinq balles, plutôt que dix comme le fait la Nouvelle-Zélande.
Rappelons que les armes à feu semi-automatiques peuvent projeter une munition par pression de la détente.
Chose certaine, les législations instaurées depuis le drame de Polytechnique, il y a trente ans, ont permis aux autorités canadiennes de mieux contrôler la circulation des armes sur le territoire canadien. Or, selon l’enseignant qui se spécialise sur la question des armes à feu au Canada, Francis Langlois, les lois sont maintenant « un peu archaïques » ; « on retrouve maintenant des armes sur le marché qui ne s’y retrouvaient pas dans les années 1990 ».
Le gouvernement Trudeau pourrait faire un pas dans cette direction en réalisant ses promesses électorales. Il a d’ailleurs réaffirmé ses intentions lors du discours du Trône. Mais encore, le gouvernement devra donner les moyens aux corps policiers d’appliquer la loi, rappelle Francis Langlois, ajoutant qu’« il faut que les bottines suivent les babines ! »